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Culture - Concert

... Et Amr Diab repeint le Liban en blanc

C’était le concert que tout le monde attendait. Le Liban huppé, les touristes en transe ont accueilli samedi soir le roi de la pop arabe. Feux d’artifice d'extravagance et visages tirés à ce bal des vanités servant de pub géante, et pas toujours réussie, pour le pays.

« Vous m’avez tellement manqué ! » a lancé Amr Diab à ses fans dès son entrée, sous les ovations. Photo Nabil Ismaïl

Il était devenu fantomatique, il fallait Amr Diab pour le faire revivre. Samedi soir, le centre-ville de Beyrouth a vibré, sué, chanté sur les plus grands succès de l'icône égyptienne, de retour au Liban après 12 ans d’absence. Le temps d’un soir, les rues orphelines du nouveau front de mer se sont inondées de silhouettes blanches, de pèlerins allant voir leur  « saint ». « C’était un de mes objectifs de vie d’aller le voir en Égypte : c’est chose faite à la maison ! » résume Aline, venue du Akkar, qui ne comptait pas rater l’événement.

Amr Diab, tout de blanc vêtu, comme son public sur le front de mer de Beyrouth. Photo AFP

« Vous m’avez tellement manqué ! » leur a lancé leur idole dès son entrée, sous les ovations. Attendu, son concert l’a bel et bien été. Et avec les grands moyens : Waterfront entièrement réaménagé, bondé, des militaires tous les deux mètres. Depuis des semaines, la MTV était en boucle et gavait son public de reportages sur la préparation du « plus grand concert de l’été ». On a même vu Bassam Maoulaoui, ministre de l’Intérieur, nous expliquer qu’« accueillir une star comme ça, cela prouve que Beyrouth reste joyeuse »... Amr Diab, meilleure caution d’un pays exsangue.

Des milliers de dollars pour « Amarein »

Étaient-ils 14 000 ? 20 000 ? 60 000 ? Ce 19 août 2023, les pronostics allaient bon train. « Mais non, 60 000, ça fait tout Beyrouth ! » réplique un vigile à son collègue. Seul chiffre officiel, celui des étrangers ayant fait le déplacement. Les Jordaniens, Maghrébins, Syriens – et bien sûr, Égyptiens – étaient près de 6 000, selon Roger Zaccar, assureur de l'événement. « Je viens de Rabat et j’ai traîné ma fille depuis Paris », explique Noura, 56 ans, sourire aux lèvres, turban blanc fièrement arboré. « Amr est mon soleil, celui qui me rend la plus heureuse, n’en déplaise à mon mari », s’amuse cette fan de la première heure. Son Amr, elle l’a déjà vu 21 fois, en l’espace de 25 ans. Qu’importe le prix, l’occasion est trop grande.

Un public estimé à plus de 15 000 personnes sous les feux d'artifice dans le centre-ville de Beyrouth. Photo AFP

Car Noura a déboursé pas moins de 2 000 dollars pour le billet de sa fille. Comme elle, nombreux sont ceux qui avouent avoir acheté leur place au marché noir, les prix officiels variant entre 65 et 350 dollars. Celles des plateformes légales s’étaient évaporées en quelques heures seulement. Il faut dire que le public, financièrement confortable, représente l’image bien fade et trompeuse que donne ce Liban en crise. Se montrer, afficher sa plus belle robe Chanel comme ses pansements post-rhinoplastie, tout en snobant son prochain. Si Amr Diab s’attendait au bon vieux cliché bourgeois libanais, il a été servi.

Qu’on amène le Liban des gloires passées !

À l’entrée, un enfant handicapé en chaise roulante mendie auprès des passants qui l’ignorent. Un autre se faufile, tente de vendre des roses, se fait évacuer manu militari. Entre les grillages du Waterfront, deux mondes se croisent.

Dans une file d’attente trempée de sueur, des passants reconnaissent une ancienne Miss Liban et une actrice au chômage. Karen Boustany, qu’on croyait oubliée depuis son échec aux législatives de 2022, se souvient des shows privés de Amr Diab au Phoenicia. « Je le connais personnellement », confie-t-elle fièrement avant de rentrer dans l’arène.

Dans l’enceinte, le décor se veut titanesque. Pyramides énormes, jeux de lumière, drones vidéo, rien n’est trop beau pour le vrai roi d’Égypte qui se voit offrir un show à plus d’un million de dollars, selon Zaccar. Mais en l’attendant, le public doit subir deux heures d’un set de Rodge, le « DJ star » des soirées du Kesrouan. Il a préparé un show centré sur le Liban, entre remix disco de Feyrouz et vidéos de paysages libanais en rafale… Tout y passe. Même l’inévitable troupe de dabké est là. Il a aussi réussi à sortir Pascale Sakr des années 90. On notera aussi un passage de mauvais goût où des images du 4-Août sont diffusées sur un fond de techno… Une bonne partie du public fait silence, les sourires s’effacent. Ça n'arrête pas Rodge, alourdi par un patriotisme devenu ridicule.

La jeunesse en liesse au concert de la pop star égyptienne. Photo AFP

Toujours dans le ridicule, cette rumeur ayant circulé sur les réseaux sociaux, selon laquelle une note aurait été transmise à la presse lui interdisant « de critiquer le concert, ou la personnalité de Amr Diab »... L’Orient-Le Jour n’ayant reçu aucune directive, poursuivons.

Une diva au masculin

Bien qu’il soit l’artiste arabe ayant vendu le plus de disques au monde, « el-Hadaba » joue la carte de la proximité. Habillé en blanc, selon le même dress code qu’il a exigé de son public, la star lance des micro-conversations, entre Tamally Maak et Nour el-Aïn. « Il n’a pas beaucoup d’exigences », estime Roger Zaccar. Juste un convoi présidentiel, la fermeture d’une dizaine de rues, et un refus catégorique de parler à la presse.

Car les polémiques et les ragots, Amr Diab les a accumulés. En 30 ans d’une carrière jalonnée de succès et de récompenses, il s’est vu tour à tour accusé de s’approprier la culture d’autrui (par son utilisation de sonorités occidentales) et de jouer avec les codes de la culture queer, faisant de lui une icône gay malgré lui. Trempé dans une chemise serrée devenue transparente, le soixantenaire se veut séducteur. Entre deux prouesses vocales, il reçoit même un prix sur scène, qu’il expédie, un brin gêné : artiste le plus streamé sur Anghami, qui a l’exclusivité de sa discographie. Il a un show à terminer et un avion à prendre. Les applaudissements complaisants d’une industrie qu’il a déjà conquise, très peu pour lui.

Le père de la pop méditerranéenne se met aussi au piano, pour le plus grand plaisir de son audience. Moyenne d’âge : 35 ans. La nostalgie des années 90 fait toujours effet, son sex-appeal aussi. En cette soirée où la température tutoie les 35 degrés, le temps s’est figé ; les hommes sont en débardeur, cheveux gélifiés, tiennent leur compagne par les épaules.

Après une heure et demie à chanter le vent, le soleil et l’amour, la foule se redirige vers la sortie, comme une grande marée blanche. Ça pousse, crie un peu, des coudes frappent des côtes pour se frayer un chemin. L’égoïsme reprend ses droits après la grand-messe, comme si les Libanais ne pouvaient s’unir que le temps d’une fête. « Certains ont payé 2 000 dollars la place ? Il faudrait que je bosse deux ans pour rassembler ça ! » rit un chauffeur de taxi attendant ses clients dehors. À 150 dollars le mois, impensable pour lui de réserver le prochain concert de Amr Diab. Ou peut-être faudra-t-il attendre 12 ans, le temps que le Liban se trouve un nouveau prétexte pour oublier ses peines.

Il était devenu fantomatique, il fallait Amr Diab pour le faire revivre. Samedi soir, le centre-ville de Beyrouth a vibré, sué, chanté sur les plus grands succès de l'icône égyptienne, de retour au Liban après 12 ans d’absence. Le temps d’un soir, les rues orphelines du nouveau front de mer se sont inondées de silhouettes blanches, de pèlerins allant voir leur  « saint ». «...
commentaires (9)

Une honte cette mascarade la. Ils auraient du aller marcher pour la justice du 4 août. Cet argent gaspillé aurait du être distribué à Tripoli. Plus je connais le libanais. , plus je respecte le chien. Vous ne méritez même pas que l ´ on crache sur vous Aucun espoir de redressement

Robert Moumdjian

04 h 38, le 22 août 2023

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Commentaires (9)

  • Une honte cette mascarade la. Ils auraient du aller marcher pour la justice du 4 août. Cet argent gaspillé aurait du être distribué à Tripoli. Plus je connais le libanais. , plus je respecte le chien. Vous ne méritez même pas que l ´ on crache sur vous Aucun espoir de redressement

    Robert Moumdjian

    04 h 38, le 22 août 2023

  • Il ne faut pas cracher sur la soupe. En matière de discernement, le Libanais est vraiment myope! Cela fait 30 ans que les Libanais encensent ceux qui nous pillent. (Pas un million, des milliards, c'est une autre échelle) Mais un artiste...on peut s'y attaquer et à ses admirateurs (qui n'ont fait de mal à personne) aussi.

    Massabki Alice

    09 h 55, le 21 août 2023

  • Un peuple veule, m'a-tu-vu,pleutre, raciste et qui mérite tous les malheurs qu'il a reçu et tous ceux qu'il recevra encore ...en un mot ...Tfeh

    Emile G

    22 h 21, le 20 août 2023

  • Eli134399 Mr Diab cède la totalité de son cachet aux associations libanaises qui s’occupent des plus démunis, les spectateurs et spectatrices en trans et en blanc ( couleur amirale des instituts psychiatriques), jubilent à l’idée que le prix de leurs tickets contribue largement à rendre l’enfer de leur compatriotes moins infernal … les feux d’artifices sont remplacés par une ovation bruyante à tous les travailleurs humanitaires de l’ombre … que le réveil est amer, que cette musique sonne creux, tout comme l’espace entre les milliers d’oreilles dansantes, ô combien ces feux montrent la suprématie du futile sur l’essentiel. Il ne manquait plus à ce spectacle pathétique qu’une projection psychédélique de lumières sur les silos de la honte ! Ci-gît un pays abandonné par les siens, une nation au bonheur de poissons rouges et à l’éthique des macaques de zoos de banlieue. Le métronome de la faillite humaine tangue de gauche à droite et rythme la banalité devenue règle et l’insouciance amnésique devenue loi ! Vivent les bananes

    Ayoub Elie

    21 h 48, le 20 août 2023

  • Les libanais sont un peuple travailleur, qui aime la Vie et les plaisirs. Les libanais en entreprise sont en plus loyaux, qualifiés et bons organisateurs. Ils ne sont pas râleurs. Le concert de Amr Diab en est la preuve. . Bravo.

    Moi

    20 h 39, le 20 août 2023

  • Quelle honte! Un peuple pourri sans foi ni loi de quoi vomir. Aucune décence. N’ont-ils pas honte de festoyer quand il y a des gens qui fouillent dans les poubelles pour manger? Au lieu de donner 1 million de $ à Amr Diab ils auraient pu nourrir des centaines de famille. Avec un peuple pareil le Liban ne se relèvera jamais.

    Christiane Khoury

    18 h 22, le 20 août 2023

  • Pour moi, une seule chanson de Pascale Sakr qui a chanté durant ce show vaut tous les Amr Diab et l'autre DJ . Dommage que la production , les organisateurs n'aient pas pris la peine d'annoncer sa présence ...pour une seule chanson seulement. Elle a fait fureur rien qu'avec UNE seule chanson. Pour le Diab? Bof , tant mieux pour le centre ville de beyrouth mais pas ma tasse de thé.

    LE FRANCOPHONE

    18 h 15, le 20 août 2023

  • Pathétique comme le Liban d'aujourd'hui. Un peuple dans le déni avec un Stockholm syndrome associé. La prochaine fois on vous envoie Dieudonné (oups, c'est déjà fait) !

    Benjamin Le Biavant

    18 h 08, le 20 août 2023

  • Bonne illustration de la schizophrénie libanaise, et plus généralement arabe...pas sortis de l'auberge...Quant à ce DJ, apparemment spécialiste du "revival" de has been, qui se permet d'utiliser des images de l'explosion du port comme illustration de sa soupe, il a bien raison, puisque un public acquis n'a pas pas décidé, à ce moment précis, de le réduire au silence, voire même d'envahir la scène pour mettre un terme à cette infamie. Amr Diab, star de la pop internationale ? Pourquoi pas Annie Cordy ?

    IBN KHALDOUN

    17 h 39, le 20 août 2023

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