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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

La dette syrienne envers l’Iran, une dépendance économique et politique

L’Iran pourrait avoir dépensé près de 50 milliards de dollars en soutien au régime syrien et se trouve désormais en position d’exiger un retour sur investissement.

La dette syrienne envers l’Iran, une dépendance économique et politique

Le président iranien Ebrahim Raïssi accueilli par son homologue syrien Bachar el-Assad à Damas le 3 mai 2023. Photo AFP

C’est le chiffre le plus important jamais évoqué concernant la dette syrienne envers Téhéran. De récentes estimations placent le montant dû par Damas à son parrain iranien à 50 milliards de dollars depuis le début de la guerre. L’information est tirée de documents attribués à la présidence iranienne, qu’un groupe d’activistes iraniens d’opposition baptisé « Uprising till Overthrow » aurait obtenus via un piratage informatique. Parues au mois de mai, ces révélations – qui n’ont pas pu être vérifiées de source indépendante – ont été reprises cette semaine par plusieurs médias régionaux, dont l’un basé en Israël. Un intérêt qui s’exprime suite à l’annonce d’un potentiel échange de prisonniers entre les États-Unis et l’Iran, qui pourrait conduire au dégel de 6 milliards de dollars appartenant à Téhéran, alors que la Syrie a officiellement réintégré le giron arabe, et au moment où une normalisation saoudo-israélienne est en négociation, pouvant accentuer la pression sur l’axe iranien au Moyen-Orient, dont Damas est un relai central.

Une dette au montant flou

Au-delà de l'instrumentalisation de l'information, le chiffre de la dette fait débat. En 2020, le député iranien Heshmatollah Falahatpisheh, qui présidait alors la commission parlementaire des Affaires étrangères, avait évoqué un montant compris entre 20 et 30 milliards de dollars. Bien en deçà de ces estimations, le média syrien prorégime SyrianStep avançait quant à lui la somme de 16 milliards le 2 mai dernier. Pour l’heure, aucune estimation indépendante de la dette syrienne auprès de la République islamique n’a pu être réalisée, d’autant que les échanges entre les deux régimes ne sont pas recensés auprès des principales institutions estimant le volume des transactions internationales.

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Seule certitude : « La plus grosse partie de cette dette s’est constituée par l’attribution de lignes de crédit pour l’importation de pétrole iranien », affirme Jihad Yazigi, rédacteur en chef du site spécialisé The Syria Report. Des accords qui se chiffrent en milliards de dollars, alors que la première lettre de crédit ouverte par Téhéran portait sur 3,6 milliards en 2013. « Il y a également l’aide de nature militaire et civile qui rend l’estimation plus compliquée. Comment l’aide militaire iranienne est-elle calculée, si jamais elle l'est ? » interroge Joseph Daher, professeur à l’Université de Lausanne en Suisse. Présente en Syrie à « l’invitation » du régime, la République islamique a permis au pouvoir dirigé par Bachar el-Assad de survivre face à l’insurrection armée qui a suivi le soulèvement de 2011, à travers ses supplétifs armés tels que le Hezbollah. Si elles provoquent régulièrement des frappes attribuées à Israël contre des lieux de transit et des dépôts de munitions en Syrie, l’Iran poursuit néanmoins ses livraisons d’armes vers le pays.

Un lien économique et politique

« Les financements iraniens ne doivent pas être considérés uniquement en termes économiques : ils font partie de la stratégie politico-militaire de l’Iran, avance Jihad Yazigi. La priorité est le contrôle continu sur Damas. » D’autant que la situation financière de la Syrie ne lui permet pas aujourd’hui d’honorer ses dettes. L’économie du pays est en effet exsangue après douze années de conflit, la livre syrienne ayant atteint récemment son plus bas niveau historique par rapport au dollar. Suite à la perte de contrôle sur le Nord-Est syrien, riche en champs pétroliers, Damas compterait désormais surtout sur le trafic illégal de Captagon, une amphétamine, pour renflouer ses caisses.

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« Le principal mécanisme de remboursement sera la privatisation de ressources nationales et de services publics, comme l'aéroport de Damas, au profit de compagnies iraniennes liées au régime », envisage Joseph Daher. Bien que limitée en termes de revenus, l’exploitation de certains gisements de phosphate a ainsi déjà été accordée à des sociétés iraniennes dès 2018. Une autre voie avait été abordée dès 2017 par les représentants des deux pays et confirmée cette année avant la visite du président iranien Ebrahim Raïssi à Damas. Elle consisterait en l'octroi par Damas d’un grand nombre d’hectares de terres arables à des investisseurs iraniens qui seraient alors chargés de leur exploitation. Des solutions qui ne plaisent pas à tout le monde au sein de l’establishment syrien. « Il y a des résistances internes en Syrie face à ces privatisations, rapporte Joseph Daher. Ces mesures ne bénéficient pas à l’État, les investissements sont très faibles ou inexistants, de plus, de nombreuses personnes sont limogées, ce qui crée des frustrations au sein du régime. »

La crainte d'une dépendance absolue

Côté iranien également, les solutions ne sont pas satisfaisantes pour tous. Depuis le retrait unilatéral en 2018 de Donald Trump de l’accord sur le nucléaire, la République islamique fait en effet l’objet d’une politique de « pression maximale » visant à couper l’économie iranienne du reste du monde. Des sanctions qui exacerbent la crise économique particulièrement douloureuse que traverse la population iranienne, laquelle doit notamment faire face à une inflation asphyxiante. C’est dans ce cadre que « des officiels iraniens, en particulier des députés, se sont plaints de la trop grande dette que l’Iran accordait à la Syrie. Implicitement, ils dénonçaient le fait que les Syriens n'étaient pas en capacité de rembourser », rappelle Jihad Yazigi. Suivant cette ligne, Téhéran a exigé au début de l’année que Damas paie désormais directement et au prix du marché le pétrole qu'il lui achète, selon des révélations du Wall Street Journal, allant à contre-courant de sa politique traditionnelle de vente à crédit.

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Mais dans le contexte de la normalisation arabe avec Damas, actée par l’invitation de Bachar el-Assad au sommet de la Ligue arabe à Djeddah le 19 mai dernier, l’Iran a souhaité réaffirmer son influence sur la Syrie. La visite d’Ebrahim Raïssi à Damas quelques semaines auparavant, la première d’un chef d’État iranien depuis 2010, signalait ainsi l’importance continue du pays pour la stratégie régionale de la République islamique. D’autant que les groupes affiliés à l’Iran ont regagné du terrain en Syrie depuis le début de la guerre en Ukraine, face à des troupes russes qui se sont retirées de certaines zones. Une perspective qui pourrait déplaire à Damas. « La pire chose qui pourrait arriver au régime est de se retrouver seul avec l’un de ses deux parrains russe et iranien. Il est donc important pour le régime syrien de jouer entre ces acteurs pour maintenir une certaine forme d’autonomie », suggère Joseph Daher.

C’est le chiffre le plus important jamais évoqué concernant la dette syrienne envers Téhéran. De récentes estimations placent le montant dû par Damas à son parrain iranien à 50 milliards de dollars depuis le début de la guerre. L’information est tirée de documents attribués à la présidence iranienne, qu’un groupe d’activistes iraniens d’opposition baptisé «...

commentaires (3)

En juillet 2014 , lors d'une visite du Président Poutine à La Havane, il annule 90 % de la dette cubaine envers Moscou (35 milliards de dollars) et le solde (environ 3,5 milliards de dollars) doit être remboursé sur dix ans et réinvesti dans l'économie cubaine. ça sera à mon avis pareil pour la Syrie dans le cadre d'une résolution du conflit ancestral arabo-perse, si solution il y aura. En tout cas il ne faut plus compter sur la diplomatie de carnet de chèque de l'Arabie et croire qu'un tel article de presse allait attendrir nos frères arabes, pas du tout, il ne payeront rien.

Céleste

09 h 09, le 17 août 2023

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Commentaires (3)

  • En juillet 2014 , lors d'une visite du Président Poutine à La Havane, il annule 90 % de la dette cubaine envers Moscou (35 milliards de dollars) et le solde (environ 3,5 milliards de dollars) doit être remboursé sur dix ans et réinvesti dans l'économie cubaine. ça sera à mon avis pareil pour la Syrie dans le cadre d'une résolution du conflit ancestral arabo-perse, si solution il y aura. En tout cas il ne faut plus compter sur la diplomatie de carnet de chèque de l'Arabie et croire qu'un tel article de presse allait attendrir nos frères arabes, pas du tout, il ne payeront rien.

    Céleste

    09 h 09, le 17 août 2023

  • 50 milliards de dollars, soit la moitié du montant de … la dette publique totale du Liban. Pas peu tout ça ! Comment un pays qui a un pib par habitant aussi faible que le nôtre peut supporter de telles créances… De tous les peuples du grand Israël chiite, quel est le seul qui a « un peu d’argent » ? De l’argent « bloqué en banque » ? Tiens tiens ça me dit quelque chose. Et avec tous ça on continue à croire que la « tutelle syrienne » sur le Liban c’est du passé. Certes cela fait près de 20 ans que les moukhabarat assadiens ne viennent plus tous les soirs vider les caisses du Casino du Liban, mais au moins à cette époque les gens savaient exactement où allait leur argent. Déjà que notre mazout nos billets verts et autres produits de première nécessité suivent grosso modo le même chemin que les billets du Casino du Liban vingt ans plus tôt. Notre argent « bloqué en banque » suit un chemin peut-être un peu plus détourné, mais finit toujours par arriver à bon port. Et le nitrate d’ammonium suit grosso modo le chemin inverse et arrive lui aussi toujours à bon port.

    Citoyen libanais

    07 h 48, le 17 août 2023

  • Au delà de ces chiffres approximatifs, qui ignorait que la Syrie était devenu une province iranienne ? La "société de gardiennage" du pays, l'autre créancier, a son siège à Moscou...

    IBN KHALDOUN

    02 h 28, le 17 août 2023

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