Le centre historique d'Odessa, la célèbre ville ukrainienne fondée en 1794 sur les bords de la mer Noire, a été largement défiguré. Depuis le début de l’année, le site avait été classé sur la liste du patrimoine mondial, en raison de « la valeur exceptionnelle de la ville portuaire, de son architecture et de son histoire pour l’Ukraine et pour l’humanité », selon l’Unesco. Épargnée par les combats, cette cité du sud-ouest de l’Ukraine, conçue entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe par des architectes et des ingénieurs majoritairement italiens, a vu son centre historique pris pour cible en juillet dernier par des missiles russes.
Le site, à l’architecture éclectique, comprend des théâtres, des palais privés, des édifices religieux, publics et administratifs. Une soixantaine de ces bâtiments ont été défigurés par les bombardements, dont 26 considérés comme monuments historiques ou culturels. Une partie de la cathédrale de la Transfiguration, une des plus célèbres églises orthodoxes du pays, a été détruite, ses icônes brûlées, ses décorations et peintures murales abîmées. Vieille de plus de 200 ans, l'iconostase en marbre a été sérieusement endommagée.
L’emblème Blue Shield « violé »
L’Unesco, organisation de l'ONU pour la culture, la science et l'éducation, révèle que plusieurs musées situés au sein du site du patrimoine mondial ont subi des dommages en juillet, notamment le musée archéologique. Fondé en 1825, il renferme plus de 160 000 pièces retraçant l’histoire des cultures de la mer Noire depuis le néolithique jusqu’à l’Antiquité classique (Égypte, Grèce et Rome y sont représentées), et les peuples slaves. De même, le Musée de la flotte dont la collection comprend plus de 100 000 photographies, cartes, maquettes, et peintures couvrant l'activité depuis l'Antiquité à nos jours.
Or, tous ces bâtiments avaient été estampillés par l'Unesco et les autorités locales, de l’emblème du bouclier bleu (Blue Shield) utilisé pour le marquage des biens culturels à protéger en cas de conflits armés ou de catastrophes naturelles. Mais cet emblème distinctif de la Convention de La Haye de 1954 a été « violé », dénonce l’organisation.
Cette institution avait assuré la réparation des dégâts infligés depuis le début de la guerre avec la Russie au musée des beaux-arts et au musée d'art moderne d’Odessa. Odessa, ville multiculturelle à l’histoire très riche, abrite une pléthore de musées classés patrimoine en péril : le musée à ciel ouvert de la défense héroïque d’Odessa (un mémorial de la défense de la ville) ; le musée Pouchkine, installé dans l'appartement habité par le poète et dramaturge Pouchkine en 1823, qui abrite une des plus importantes collections artistiques d'Ukraine ; le musée d’histoire militaire ; le musée d’histoire locale ; le musée d’art occidental et oriental ; le musée Nicolas Roerich, peintre symboliste russe, père du tibétologue George Roerich et de l'artiste Svetoslav Roerich ; le musée de l’histoire des juifs et, pour couronner cet ensemble muséal, le musée de la monnaie numismatique.
Les catacombes servent d'abris à la population
Centre économique de l’Ukraine, Odessa est la troisième plus grande ville du pays et l’une des plus riches. Elle abrite des lieux destinés à être protégés pour leur valeur historique, culturelle et architecturale. Grâce à son architecture « occidentale », elle a servi de décor à des films historiques, d’aventure et d’espionnage. Son port légendaire et son monumental escalier aux 192 marches, construit entre 1837 et 1841, ont été immortalisés par Sergueï Eisenstein dans son film Le Cuirassé Potemkine, en 1926. Ce long métrage soviétique muet, longtemps classé « meilleur film de tous les temps », relate un épisode de la révolution russe de 1905, où l’équipage d'un bâtiment guerrier, brimé par ses officiers, se mutine et prend le contrôle du navire.
Le boulevard Primorsky qui surplombe le port est jalonné d’édifices de style néoclassique datant du début du XIXe siècle, dont celui de L’Opéra, bâti en 1810. Détruit par le feu en 1873, il fut reconstruit en 1887 dans un style rococo, puis rénové en 2007. Le bâtiment est célèbre pour son acoustique : le moindre chuchotement sur scène s’entend dans toutes les parties de la salle. Le parc Taras Chevtchenko, du nom du poète et écrivain ukrainien qui a marqué l’histoire littéraire et la culture du pays, est le poumon vert de la ville.
Odessa est aussi réputée pour ses catacombes. Creusées à 60 mètres sous terre, elles constituent un réseau de 2 500 km de galeries souterraines, dès le XVIIIe siècle, lorsqu'il fallait extraire des pierres pour construire la ville. Il s'agit de l'un des plus grands labyrinthes urbains du monde. Ceux de Rome font 300 kilomètres, ceux de Paris 500 kilomètres. Ce réseau de tunnels a été utilisé par les contrebandiers, puis par la résistance ukrainienne face à l’occupation nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Les catacombes servent aujourd’hui d’abris à la population ukrainienne.
Depuis le début de l'invasion russe, le 24 février 2022, l’Unesco a recensé des dommages sur 270 sites culturels à travers l'Ukraine.
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