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Société - Portrait du 4-Août

Aline Salloum : Tant que je le peux, je reste

Défigurée le 4 août 2020, cette mère de trois enfants aurait pu quitter le pays, mais elle a choisi de rester et de reconstruire son magasin, sa famille et sa vie.

Aline Salloum : Tant que je le peux, je reste

Aline Salloum, 40 ans, dans l’allée de l’immeuble où elle résidait avec sa famille à Gemmayzé, avant le 4 août 2020. Photo Yasmina Abou-Haka

Trois années ont passé depuis l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. La justice et la vérité continuent de nous échapper, et les promesses de réponses sonnent creux. Pourtant, parmi ces zones d’ombre qui persistent, une lueur d’espoir émerge. Beyrouth, connue pour son art de vivre, son art de recevoir, reprend lentement des couleurs, avec des touristes et des expatriés qui affluent en masse. Une renaissance rendue possible par le dévouement de personnes, d’associations et d’ONG qui se sont rassemblées pour soutenir la ville.

Cette année, « L’Orient Today » a choisi de mettre en lumière les histoires de ceux qui sont restés et se sont battus, chacun à sa façon. Dans une série de six portraits, nous partageons avec vous leur parcours, leur lutte et leurs ambitions.

Assise sur son lit, au 4e étage d’un immeuble à Gemmayzé, Aline Salloum est en plein appel vidéo avec sa meilleure amie. Nous sommes le 4 août 2020 et, pour cette propriétaire de l’épicerie Be Well située à Gemmayzé, cette journée d’été ressemble à toutes les autres. « Il faisait très chaud mais, à la surprise générale, il y avait de l’électricité, nous avions fermé les fenêtres et allumé l’air conditionné », se souvient cette mère de trois enfants.

Du rez-de-chaussée, où se trouve le magasin, Élia, l’aîné de 21 ans, remonte à toute allure dans l’appartement familial et entre dans la chambre de sa mère. « Il me dit qu’il y a un gros bruit d’avion, puis “Je pense qu’Israël nous bombarde” », se rappelle-t-elle mot pour mot. « Cela m’a surprise », explique-t-elle, le bruit de feux d’artifice toujours gravé dans sa mémoire.

Toutefois, plus le bruit s’amplifiait, plus le malaise s’installait chez Aline Salloum. Et puis : l’explosion. « Ma première réaction a été de mettre la main sur la bouche », se revoit-elle faire le geste. Quand elle a rouvert sa paume, « des dents en sont tombées ». Parcourant la pièce de ses yeux, Aline Salloum constate les blessures de ses enfants. « La main de Daniel, mon cadet de 17 ans, était pratiquement arrachée de son bras. Le visage d’Ayman, mon benjamin de 10 ans, était déchiré au milieu. »

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Mais elle n’a pas le temps de voir plus. La gravité de ses blessures se fait rapidement sentir et Aline Salloum perd connaissance à plusieurs reprises. « Ne t’avise pas de mourir », lui crie Élia en l’exhortant à rester éveillée. Au troisième évanouissement, la voix de son fils aîné fini par la sortir de sa torpeur et lui donne assez de force pour rassurer ses deux plus jeunes et réagir.

« Je leur ai dit de ne pas avoir peur et j’ai demandé à Élia d’enrouler son t-shirt autour du visage de son frère », raconte-t-elle. Puis, ensemble, ils arrivent à descendre les escaliers et à se frayer un chemin dans les rues en ruine à la recherche d’une assistance médicale. Le trajet jusqu’à l’hôpital du Rosaire, situé dans le même quartier, est difficile. En chemin, ils apprennent qu’il a été soufflé.

« Nous n’avions plus rien »

Deux semaines après, et contre l’avis de son mari Bilal, Aline Salloum décide de revenir sur les lieux. En voyant les ruines de son magasin, la volonté de repartir en Syrie, pays qu’elle a quitté il y a 26 ans, l’assaille. « Je voulais partir le lendemain matin », se rappelle-t-elle.

La supérette Be Well à Gemmayzé a retrouvé son ancien dynamisme trois ans après l'explosion. Photo Yasmina Abou-Haka

Alors que la crise économique au Liban avait déjà plongé la famille dans une certaine précarité, l’explosion au port de Beyrouth ce 4 août 2020 a rendu leur situation désespérée. « Nous n’avions plus de maison, plus de magasin, plus de voiture… Nous n’avions plus rien », se désole-t-elle. Entre les factures médicales, conséquence de cette journée tragique, et dont l’État n’a couvert que 50 %, les frais de subsistance et de scolarité, la pression financière était devenue extrême.

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Mais finalement, cette nuit-là, Aline Salloum se réveille et appelle son mari. « Je ne vais pas partir », lui annonce-t-elle. « Je n’allais pas tout laisser tomber. Je refusais de l’accepter », explique-t-elle à L’Orient Today. Convainquant son mari de rester aussi, le couple décide uniquement d’envoyer leurs fils en Syrie. Ils iront chez leurs grands-parents, le temps qu’Aline Salloum poursuive sa guérison et que Bilal lance la reconstruction du magasin.

Une reconstruction matérielle qui s’est tenue en parallèle de la reconstruction personnelle d’Aline Salloum. « Je n’avais plus de dents. Mes bras étaient complétement bandés. Mon visage et mes jambes avaient été recousus », décrit-elle. Mais malgré ses blessures, et une fois que sa décision de rester a été prise, elle explique avoir continué à rire et à être heureuse », quitte à susciter l’étonnement de beaucoup. « Les gens me demandaient comment je pouvais être aussi joviale », se souvient-elle. « J’ai le sentiment que Dieu m’a donné une seconde chance. Je suis toujours en vie, et mes enfants aussi », déclare-t-elle.

« Tout a changé depuis »

Pour reconstruire le magasin, « beaucoup de gens sont venus nous aider financièrement et moralement, même certains que nous ne connaissions pas », explique Aline Salloum. Si les ONG n’ont pas apporté de soutien financier, elles ont activement participé à la reconstruction matérielle « des murs, des plafonds, des lumières, etc. », souligne-t-elle. Jusqu’à faire renaître l’entreprise de la famille Salloum. Mais d’autres, autour d’eux, ont eu moins de chance. « Tout a changé depuis dans le quartier », constate-t-elle toutefois.

L’ancien appartement des Salloum à Gemmayzé, après l’explosion. Photo Yasmina Abou-Haka

Sorti indemne du 4 août, Bilal Salloum a redonné vie à son magasin. « Les gens qui sont restés dans le quartier ont apprécié que nous n’ayons pas abandonné. Nous avons une bonne réputation », poursuit-elle. Cela étant, Aline Salloum a quitté la gestion du magasin qu’elle tenait depuis 18 ans : « Je ne pouvais plus. Je ne pouvais plus répondre aux questions des gens sur l’explosion. » De même, la famille Salloum a déménagé à Mansouriyé. « Je ne supportais plus de rester dans l’appartement de Gemmayzé », admet-elle.

Au final, Aline Salloum est heureuse d’être restée. « J’aime le Liban autant que la Syrie », affirme-t-elle. Malgré l’explosion et la détérioration économique, poussant nombre de Libanais qui le peuvent à partir vivre à l’étranger, « le pays est encore plein de vie, beaucoup se battent pour rester », dit-elle, avant d’ajouter : « Je ne pense pas que le Liban se meurt. » Puis d’affirmer : « Tant que je le peux, je reste. »

Trois années ont passé depuis l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. La justice et la vérité continuent de nous échapper, et les promesses de réponses sonnent creux. Pourtant, parmi ces zones d’ombre qui persistent, une lueur d’espoir émerge. Beyrouth, connue pour son art de vivre, son art de recevoir, reprend lentement des couleurs, avec des touristes et des expatriés...
commentaires (2)

Un exemple au monde entier. C'est cela être patriote et héroïque Madame. Je vous admire. En espérant que les assassins directs et indirects soit punis aussi bien par la justice terrestre des Hommes que par la Justice Céleste. Ils ne perdent rien pour attendre. C'est une question de temps...

LE FRANCOPHONE

12 h 45, le 04 août 2023

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Commentaires (2)

  • Un exemple au monde entier. C'est cela être patriote et héroïque Madame. Je vous admire. En espérant que les assassins directs et indirects soit punis aussi bien par la justice terrestre des Hommes que par la Justice Céleste. Ils ne perdent rien pour attendre. C'est une question de temps...

    LE FRANCOPHONE

    12 h 45, le 04 août 2023

  • Sans vous en rendre compte, vous êtes une héroïne et une patriote. Les responsables et leurs laquais paieront cher ce qu’ils ont fait au Liban.

    Mohamed Melhem

    21 h 32, le 03 août 2023

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