Le gouverneur par intérim de la Banque du Liban ? Wassim Mansouri. Le ministre des Finances ? Youssef Khalil. Le procureur financier ? Ali Ibrahim. Le directeur général du ministère de l’Économie ? Mohammad Abou Haïdar. Tous ces postes-clés dans le secteur financier sont désormais occupés par des chiites, proches du président du Parlement. Pourtant, les visiteurs de Aïn el-Tiné sont unanimes. Loin de savourer sa toute-puissance, Nabih Berry semble inquiet et préoccupé. D’autant qu’il vient de perdre une bataille, et pas des moindres. Lâché par ses plus proches alliés, dont le Hezbollah, les Marada de Sleiman Frangié et le Parti démocratique libanais de Talal Arslane, il n’a pas pu obtenir la nomination d’un successeur à Riad Salamé à la tête de la BDL. Résultat : c’est le premier vice-gouverneur, son protégé, qui assure désormais l’intérim en cette période de crise économique et financière aiguë, un scénario que Nabih Berry a, paradoxalement, toujours craint.
Reculer l'horloge
Certes, les chiites occupent désormais une position inédite au sein de l’appareil décisionnel libanais. Certains accusent même les leaders de cette communauté, le tandem Amal-Hezbollah, de vouloir se retourner contre le système basé sur l’accord de Taëf. « Les chefs de la communauté chiite ont réalisé leur avancée politique sur les vestiges d’un État tombé en ruine », accuse un détracteur de Aïn el-Tiné. Mais Nabih Berry ne veut pas qu’on lui fasse porter, à lui et à sa communauté, la responsabilité de l’effondrement financier. Plus de trois ans après le début de la crise, les réserves de la banque centrale sont asséchées, le Trésor est sans le sou et aucune vision pour aller de l’avant n’a été adoptée. Maintenant que ses craintes sont devenues réalité, M. Berry s'efforce tout de même de protéger Wassim Mansouri – et le tandem chiite par ricochet – en poussant le gouvernement à prendre des engagements et à assumer une part de la responsabilité ou en se tournant vers le Parlement pour voter une loi couvrant les dépenses puisées dans les réserves obligatoires en devises. Sauf que le Premier ministre sortant Nagib Mikati, pourtant lui aussi proche de Nabih Berry, ne l'a pas retrouvé à mi-chemin. Alors que son cabinet était censé formuler un projet de loi répondant à la requête de Wassim Mansouri, il a fini par renvoyer la patate chaude à la Chambre, demandant à « un groupe de députés » de présenter plutôt une proposition de loi, histoire de « gagner du temps ». Encore un camouflet pour Nabih Berry...
Ce dernier se retrouve plus que jamais sous le feu des projecteurs, soumis à des pressions inédites tant au Liban qu’à l’étranger. Mais le chef du législatif est conscient des difficultés que le pays doit confronter, sans une sortie de crise en vue et à l'heure où les appels à l'adoption d’un système fédéral se multiplient. Il continue donc de mener sa bataille via ses mécanismes habituels : en multipliant les appels au dialogue et au compromis, tout en s’obstinant à soutenir la candidature de Sleiman Frangié à la présidence de la République. L’enjeu pour lui est crucial : après avoir survécu au mandat de Michel Aoun et réussi à neutraliser la contestation populaire du 17 octobre 2019 qui a fait de lui une cible de choix, il veut maintenant reculer l'horloge. Comme si la « thaoura » n’avait jamais eu lieu, comme si « le général » n’était jamais rentré après 15 ans d'exil, dans la foulée du retrait syrien en 2005. Et c'est dans cette optique qu'il s’accroche à la candidature du chef des Marada, figure-clé de l'époque de la tutelle syrienne, pour reconstituer un pouvoir sous l'ombrelle de Taëf, basé sur la coopération entre les chiites, les sunnites, les druzes et une partie des chrétiens qui s'allient à eux. « Avant le 17 Octobre, Nabih Berry jouait un rôle-clé de rassembleur des forces opposées au mandat de Michel Aoun, misant sur son poids en tant que président du Parlement, estime un proche de Aïn el-Tiné. Après la révolte, c'est Berry le chef du mouvement Amal qui a pris le dessus sur l'homme des institutions. Et c'est à ce moment qu'il a commis des erreurs, que ce soit dans la manière de réprimer les manifestants lors de la révolte d'octobre, ou dans son attitude vis-à-vis de l'enquête sur la double explosion au port de Beyrouth », qui a pointé du doigt des figures qui lui sont proches, notamment son conseiller Ali Hassan Khalil.
Perdre en apparence
Aujourd'hui, Nabih Berry veut prouver qu'il est quand même parvenu à sortir renforcé. C'est lui qui dirige l'État, son gouvernement et son Parlement, en l'absence d'un président de la République. Comme pour symboliser cette volonté de s'imposer de nouveau comme l'homme le plus fort, il a poussé (en mars dernier) le Premier ministre Mikati à retarder d'un mois le passage à l’heure d’été, dans l’objectif de faciliter le jeûne des musulmans pendant le ramadan. Face à la colère des chrétiens, et au silence assourdissant du Hezbollah, il a cependant dû faire marche arrière. Plus récemment, il a de nouveau donné son mot d'ordre au cabinet et à son chef, en annonçant lui-même un Conseil des ministres pour nommer un nouveau gouverneur de la BDL. Mais là aussi, les chrétiens lui ont rendu la tâche difficile en refusant de couvrir une telle démarche. Ce ne sera ni la première ni la dernière fois que les partis chrétiens font passer un mauvais quart d’heure à Nabih Berry. En juin 2022 déjà, le refus des Forces libanaises et du Courant patriotique libre de le reconduire à la présidence de la Chambre le réduit à son pire score électoral depuis 1992. Sans parler de leur volonté – jusqu'ici commune – de bloquer l’arrivée de Sleiman Frangié à Baabda. « M. Berry savait que la séance gouvernementale n'allait pas se tenir et que la nomination d'un successeur à Riad Salamé n'allait donc pas avoir lieu. Mais il a choisi de perdre en apparence et de gagner sur le fond. Il savait que tous les protagonistes allaient revenir vers lui dans cette affaire, comprendre vers Wassim Mansouri, et qu'il réussirait ainsi à s'afficher comme celui à qui l'on est redevable d'avoir accepté cette concession », commente le proche de Aïn el-Tiné.
Au niveau du dossier présidentiel, Nabih Berry maintient sa position, pariant surtout sur des avancées dans le dialogue entre le Hezbollah et le chef du CPL, Gebran Bassil. Il a ainsi demandé à tous les responsables et députés d’Amal de s'engager dans une trêve médiatique avec les aounistes, en attendant les résultats de ces négociations. C’est d’ailleurs à ce développement que le chef du législatif faisait allusion en évoquant une « percée » dans le mur présidentiel, suite à sa rencontre avec l’émissaire français Jean-Yves Le Drian la semaine dernière. Certes, le leader chiite ne peut pas accepter les requêtes de Gebran Bassil, qui réclame la décentralisation administrative et financière élargie et la création d'un fonds fiduciaire. Toutefois, il pourrait concéder la décentralisation administrative élargie, mais sans le volet financier. Quant au fonds fiduciaire, Nabih Berry veut l'étudier minutieusement, révèle le proche de Aïn el-Tiné, car le leader aouniste souhaite qu’il soit dirigé par un maronite, ce qui ne pose pas de problème en soi, mais l'essentiel réside dans les décrets d'application et les prérogatives du conseil d'administration de ce fonds et du Conseil des ministres.
Nabih Berry est-il alors en train de perdre ou de gagner du terrain ? Les lectures divergent. Lui-même se considère toujours comme ayant le principal rôle en tant que président du Parlement et avec son réseau solide au Liban et à l’étranger. « Il se voit comme le seul capable d'assurer les conditions propices à tout dialogue, solution ou compromis à la crise politique, et estime qu'il en sera le principal intermédiaire et parrain », commente le proche de Aïn el-Tiné. En revanche, d'autres estiment qu'il est sur le déclin, notamment suite aux nombreux revers qu’il a essuyés. Certains parient aussi sur la possibilité que les menaces de sanctions américaines le ciblant directement ou visant son cercle le plus proche se concrétisent. « M. Berry ne craint pas les sanctions et estime que les États-Unis ne voudront pas couper les ponts avec le président du Parlement et la seule personnalité chiite avec laquelle ils traitent directement », répond la source précitée. Toutefois, en 2020, Washington a bien sanctionné son bras droit et successeur désigné, Ali Hassan Khalil, plongeant l’avenir du mouvement Amal dans l’incertitude. « Nabih Berry sait très bien quand il faut gagner et comment, et dans quelle limite il faut perdre, résume son proche. Il sait tirer les lapins de son chapeau au bon moment pour avoir le dernier mot, y compris sur sa succession. »
TP, GP, FP, GV! ESPOIR! Il a le souffle long mon beau et vaillant Corbeau!
16 h 04, le 07 août 2023