Critiques littéraires Bande dessinée

Surprises dans les confins glacés

Surprises dans les confins glacés

Le récit du capitaine Gordon Kentigern Oliphant et de son équipage, explorant l’antarctique au péril de leur vie se base sur l’histoire incroyable et vraie d’Ernest Shakelton, l’un des pionniers de l’exploration du cercle polaire, et plus spécifiquement, d’une expédition qu’il mena en 1914. Soumis au bon vouloir des éléments, son bateau s’est retrouvé embourbé dans les glaces. Il a fallu à l’équipage attendre des mois pour que l’hiver passe et que la glace se fende. Une attente durant laquelle le froid pousse les corps à leurs limites, où chacun pense à la mort et se retrouve livré à lui-même et à ce qui le fait tenir. Le bateau, hors d’état de marche, la folle aventure de la survie se poursuit en traineaux puis en canots, sur des distances qui relèvent du pari inconscient.

Loo Hui Phang, scénariste de l’album, s’empare de cette aventure hors normes dans laquelle s’entremêlent tous les extrêmes : voici l’équipage poussé dans ses limites psychologiques, émotionnelles, spirituelles et physiques. Le scénario aussi navigue entre ces quatre lectures des évènements, en les faisant co-exister de manière organique. Le récit est dense : les deux cent cinquante pages qui retracent ce combat pour la survie ne sont pas de trop pour mêler et démêler les fils qui se tissent entre les personnages. Pourtant, cette densité n’est pas étouffante : en effet, Loo Hui Phang tient son récit sur la longueur sans chercher à le cloisonner, comme on tiendrait sans vouloir le domestiquer un animal sauvage.

Son écriture traite la psychologie des personnages en veillant à ne pas l’expliquer de manière trop évidente et en leur permettant de nous échapper. Chacun des membres de l’équipage est autant présenté par ce qu’il a vécu que par le potentiel qu’il porte et le mystère qui se dégage de lui. C’est surtout le cas du capitaine Oliphant dont chaque prise de paroles participe à son aura. Un capitaine pourtant sans cesse mis au défi par un fils, Arcadi, qui hérite de sa force mentale, mais dont le cœur à vif cherche des expériences parfois plus destructrices. 

Quant à Benjamin Bachelier, il dessine comme on fait de la musique : ses grands espaces sont comme une partition dont le rythme ne semble jamais dompté. Il se laisse porter par les traces assumées de son pinceau, par les superpositions ou les transparences. C’est un dessinateur de la matière autant que du trait, et cette dualité se déploie dans des configurations sans cesse changeantes.  Il se donne la liberté de celui qui sait que la cohérence ne vient pas nécessairement d’une unité stylistique superficielle, mais d’une intuition tenue sur la longueur, et sert de moteur au dessinateur. Il change d’outil, de structure de pages selon ce que la scène dicte ou induit. Tourner une page d’un album et découvrir la suivante aura rarement été autant source d’attente et de surprise. Il avait montré tout le talent qu’il a pour représenter le monde physique lorsqu’il avait revisité la chaleur du Soleil des Scorta de Laurent Gaudé, aux éditions Tishina. Oliphant en est une nouvelle démonstration.

Oliphant de Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier, Futuropolis, 2023, 256 p.

Le récit du capitaine Gordon Kentigern Oliphant et de son équipage, explorant l’antarctique au péril de leur vie se base sur l’histoire incroyable et vraie d’Ernest Shakelton, l’un des pionniers de l’exploration du cercle polaire, et plus spécifiquement, d’une expédition qu’il mena en 1914. Soumis au bon vouloir des éléments, son bateau s’est retrouvé embourbé dans les...

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