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Moyen-Orient - Reportage

En Syrie, la grande détresse des pêcheurs de l'Euphrate

À cause du réchauffement climatique, le lac Assad, la plus grande réserve d'eau du pays, est menacée. Les premiers concernés sont les pêcheurs, qui sont parfois forcés à abandonner leur métier.

Ismail Hilal, 50 ans, qui a pris sa retraite après 37 ans de pêche, est assis sur un bateau sur les rives du lac Assad, près du village de Jaabar, dans le gouvernorat de Raqqa en Syrie, le 9 juillet 2023. Photo Delil Souleiman/AFP

Assis sur sa barque échouée sur le rivage, Ismaïl Hilal regarde avec amertume les eaux scintillantes du plus grand lac artificiel de Syrie : ce pêcheur a dû abandonner le métier qu'il pratiquait depuis 37 ans, car l'Euphrate s'assèche et les poissons se raréfient.

"J'ai passé toute ma vie dans le lac, depuis que j'ai douze ans", dit l'homme à la barbe grisonnante. "Mais j'ai été forcé de le quitter cette année. Je ne pouvais plus vivre de la pêche". Le lac Assad, créé sur l'Euphrate par la construction d'un barrage avec l'aide de l'Union soviétique il y a une cinquantaine d'années, constitue la plus grande réserve d'eau de Syrie. Il se trouve dans les zones qui échappent au contrôle du régime, dans le nord du pays. Mais la baisse du niveau de l'eau et l'assèchement du fleuve, ainsi que la pollution qui s'aggrave et la pêche illégale ont considérablement réduit la richesse halieutique.

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"Beaucoup de pêcheurs ont abandonné le métier, en raison de la réduction du nombre de poissons et de la hausse du coût du matériel", explique Ismaïl Hilal. "Aujourd'hui, on peut à peine avoir cinq pour cent de ce qu'on pêchait par le passé", dit-il, ajoutant que les pêcheurs ont désormais du mal à trouver certaines variétés de poisson comme le mulet.

A cinquante ans, ce père de sept enfants a dû se résigner à travailler dans un restaurant de la ville de Tabqa, où il écaille patiemment des poissons avant de les faire griller. Selon PAX, une ONG travaillant pour la paix basée aux Pays-Bas, le niveau de l'eau a baissé de quatre mètres entre 2022 et 2023 dans le lac Assad, qui s'étend sur plus de 600 km2. L'ONG, qui se base sur des données satellitaires et les rapports sur le terrain de ses partenaires, souligne que "le manque d'eau entraîne des déplacements, des maladies et porte les germes de nouveaux conflits".

Situation désastreuse

Dans la seule région de Raqqa, où se trouve le lac, les chiffres de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) montrent que les précipitations annuelles ont chuté entre 2020 et 2021, passant de 232 mm à 106 mm par mois avant de remonter à 208 mm par mois en 2022.

Ismail Hilal, 50 ans, qui a pris sa retraite après 37 ans de pêche, parle à un homme assis sur un bateau sur les rives du lac Assad près du village de Jaabar dans le gouvernorat de Raqa en Syrie, le 9 juillet 2023. Photo par Delil Souleiman/AFP

Depuis plusieurs années, la construction par la Turquie, où les deux fleuves prennent leur source, d'une série de barrages sur le Tigre et sur l'Euphrate a déjà fait diminuer le débit pour ce fleuve de 40% en Syrie. Au-dessus du lac, des corbeaux tournoient, alors que des poissons morts flottent à la surface. Les correspondants de l'AFP ont constaté une prolifération des algues, qui absorbent l'oxygène selon les experts, provoquant l'asphyxie des poissons.

Sur une des rares barques glissant sur le lac, Ali Chebli, un pêcheur de 37 ans, remonte péniblement ses filets, au soleil couchant. "Par le passé, on pouvait attraper 50 kilos, voire 40 ou 30, et cela était suffisant pour les dépenses familiales", affirme-t-il. "Mais aujourd'hui, nous pêchons à peine un ou deux kilos, et parfois rien (...) en raison de la baisse du niveau de l'eau et de la pollution du lac", explique l'homme au teint basané. "La situation des pêcheurs est désastreuse, nous travaillons un jour et nous arrêtons pendant quinze autres jours", ajoute le pêcheur qui fait vivre sa femme, ses trois enfants et son père malade. Il craint de ne pas pouvoir transmettre son métier, menacé de disparition, à ses enfants. 

Biodiversité en danger

"Les communautés syriennes ressentent les effets en cascade de la guerre, du changement climatique et de l'échec de l'action multilatérale pour faire face à ces impacts", affirme à l'AFP Wim Zwijnenburg, un chercheur de PAX. "La pénurie d'eau, aggravée par la pollution (..) entraîne une nouvelle perte de biodiversité le long des lacs et des rivières du nord et de l'est de la Syrie", explique-t-il. Au marché aux poissons de Raqqa, les vendeurs se plaignent de la baisse de leurs revenus.

Un jeune homme porte un poisson dans un magasin, dans la ville de Raqqa, dans le nord-est de la Syrie, le 9 juillet 2023. Photo par Delil Souleiman/AFP

Le poisson, placé sur de grands blocs de glace en raison de la chaleur, est vendu à la criée et nettoyé devant les acheteurs. "Les poissonneries avaient des tonnes de poissons, mais aujourd'hui la plus grande n'en propose pas plus de 200 kilos, à cause de la sécheresse, du manque d'eau et des températures élevées", affirme Ragheb Ismaïl, un vendeur de 45 ans. "Avant, il y avait de grandes quantités de poissons dans l'Euphrate. Aujourd'hui, il y a des clients mais plus assez de poisson".
Assis sur sa barque échouée sur le rivage, Ismaïl Hilal regarde avec amertume les eaux scintillantes du plus grand lac artificiel de Syrie : ce pêcheur a dû abandonner le métier qu'il pratiquait depuis 37 ans, car l'Euphrate s'assèche et les poissons se raréfient. "J'ai passé toute ma vie dans le lac, depuis que j'ai douze ans", dit l'homme à la barbe grisonnante....
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