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Jour de paie


Fatidiques nombres que ces trente et voisins qui n’en finissent pas de paraître au calendrier, à la grande impatience des foules de salariés impuissants à boucler leur fin de mois. Et qui rongent leur frein en attendant de percevoir leur rémunération.

Il fut un temps où de telles affres n’étaient endurées que par les plus défavorisés des chefs de famille libanais, ou alors par les fêtards invétérés qui ne regardaient pas à la dépense. Plus de jaloux, désormais. Interdits de libre accès à leurs économies abusivement confisquées par les banques, affrontant une hausse insensée du coût de la vie, les salariés du pays sont hantés par la même obsession : l’arrivée, au jour dit, du précieux cash tout frais, et d’un beau vert pour les plus vernis. S’il est une chose en somme, une seule, dont nos dirigeants peuvent honnêtement(?) se vanter, c’est d’avoir supprimé le gros des inégalités sociales. C’est d’avoir démocratisé la pauvreté.

Or voici que par un ironique retour de bâton, c’est l’État lui-même que l’on voit maintenant faire le pied de grue aux guichets : l’État qui, à force d’incurie et de rapines, a déjà asséché le Trésor public ; l’État qui pourtant a un besoin pressant de fonds pour rémunérer les masses de fonctionnaires peuplant une administration comateuse et pour importer farine, médicaments et carburants; l’État qui, pour avoir criminellement boudé, trois ans durant, une assistance rapide du Fonds monétaire international, n’a plus d’autre recours qu’une banque centrale elle-même en plein processus de décomposition.

Il est vrai que nos dirigeants n’ont jamais brillé par leur sens aigu de l’urgence. Ils ont invariablement cherché à repousser, comme si ce n’était que broutilles, les échéances les plus impérieuses, y compris l’élection d’un président de la République. Même le danger mortel qu’est la présence sur le sol d’une inimaginable proportion de réfugiés étrangers ne les a pas secoués de leur torpeur, autrement qu’en plates protestations ; leur lâcheté est telle qu’il ne se trouve toujours pas de volontaire, parmi les officiels, pour conduire une délégation qui irait prier Bachar el-Assad de bien vouloir rapatrier ses sujets.

Non moins surréelle est toutefois cette aumône qu’un client notoirement insolvable mais pris à la gorge, l’État, se propose d’aller extorquer à un bailleur lui-même réduit à racler les fonds de tiroir et de surcroît guère épargné, lui non plus, par le scandale. Dans quelques jours prendra fin le mandat du gouverneur de la Banque du Liban, objet depuis plusieurs mois de poursuites judiciaires locales et internationales. Or c’est maintenant seulement que l’on met les bouchées doubles pour assurer la relève ; pire encore, on mise précisément sur l’urgence du moment pour tenter de faire avaler à l’opinion publique la plus sujette à polémique, la plus potentiellement explosive des solutions possibles.

Plutôt que de s’en remettre aux quatre vice-gouverneurs (qui risquent la perte de leurs droits civiques s’ils viennent à déserter leur poste), voici donc un gouvernement démissionnaire, diminué, aux prérogatives limitées, qui envisage sérieusement de nommer un gouverneur en titre. Une telle mesure est vivement recommandée au Premier ministre par le président de l’Assemblée. Décidée en duo par les deux pôles musulmans du pouvoir, elle ne pourrait toutefois qu’exacerber la frustration de la communauté chrétienne déjà orpheline de président.

Compte tenu de l’extrême médiocrité du personnel politique et de la désespérante absence de toute réforme, reste d’ailleurs à savoir quel kamikaze de la finance serait partant pour un gouvernorat qui tient de la mission impossible.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Fatidiques nombres que ces trente et voisins qui n’en finissent pas de paraître au calendrier, à la grande impatience des foules de salariés impuissants à boucler leur fin de mois. Et qui rongent leur frein en attendant de percevoir leur rémunération.Il fut un temps où de telles affres n’étaient endurées que par les plus défavorisés des chefs de famille libanais, ou alors par les...