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Lifestyle - Paysage urbain

Qu’est-ce qui se cache sur les toits de la ville ?

Les perchoirs de Beyrouth abritent mille et une histoires.

Qu’est-ce qui se cache sur les toits de la ville ?

Pigeons, coqs, barbecues, les toits de Beyrouth prennent des visages différents. Joseph Eid/AFP

Habiter, jardiner, se divertir ou se restaurer sur un toit… Différents usages se répandent sur ce lieu où des milliers de mètres carrés de surface sont réinvestis en projets et événements variés. Il y a évidemment les toits-terrasses, des rooftops branchés, aménagés en bars ou restaurants, où l’on prend de la hauteur pour siroter son cocktail et dîner en admirant Beyrouth-sur-mer. Ce sont aussi des espaces ouverts, dans une ville où l’on manque d’espaces verts. Il y a quelques années, rue Bliss, un petit garçon jouant à la balle a trouvé la mort après avoir chuté du toit d’un petit immeuble. Évacué en urgence, il n’a pas survécu à ses blessures. Depuis lors, chaque été son père installe un matelas sur le toit et dort à la belle étoile en serrant un ballon.

Sur le toit de son immeuble à Mar Élias, Khalil installe son lit de camp systématiquement dès le mois de juin. « J’étouffe chez moi, la chaleur est invivable. La clim’ ne me sert pas à grand-chose, puisqu’il n’y a pas d’électricité. Là au moins, une petite brise rafraîchit parfois l’air », confie-t-il d’une voix où transparaît l’angoisse de vivre un été compliqué, ajoutant : « Jamais je n’aurais pu penser que je devrais me percher sur un toit comme ça à 63 ans. »

« Plus de 35 degrés » dans son appartement. Julie vit un enfer. Elle n’est jamais pressée de rentrer chez elle. Et pour cause, son petit logement, à Aïn el-Remmaneh, se transforme en véritable bouilloire énergétique lorsque le mercure s’approche des 30 degrés. « En compagnie d’autres voisins, nous passons de longues soirées sur le toit. Et il m’est arrivé de me réveiller à l’aube sur ma chaise, toute courbaturée. »

Certains habitent sur les toits, d’autres les peignent en blanc afin de réduire l’impact de la canicule dans les quartiers surpeuplés. « Ma maison était une véritable bouilloire. Nous avons constaté une diminution de la température pendant les vagues de chaleur, allant jusqu’à trois degrés de moins », explique Levon, qui habite le dernier étage d’un bâtiment rue Der Melkonian, à Bourj Hammoud. Selon lui, cette astuce a fait des émules.  

Planter son potager sur les toits. Photo Josepg Eid/AFP

Un mariage sur le toit

T-shirt blanc sur un bermuda bariolé vaguement hawaïen et savates rouges, la robuste Antoinette investit tous les dimanches le toit de son immeuble rue el-Saydeh, à Achrafieh. Pour elle, les beaux jours riment avec grillades en plein air. Et tant pis si les odeurs, la fumée et la musique se font au détriment des voisins, parfois même du quartier ! « Mon mari a la flemme de sortir les week-ends, on a donc installé une grande bâche pare-soleil sous laquelle on se retrouve entre amis autour d’un bon barbecue. Un jour, la voisine du cinquième a rouspété et le ton est monté rapidement. Elle me reprochait d’avoir investi délibérément l’espace commun de l’immeuble. » Les deux femmes se sont écharpées devant leurs hommes médusés par leur comportement. « Finalement, nous nous sommes calmées. » Il semble même qu’elles se soient rabibochées. « Elle s’est jointe depuis à nos déjeuners », confie Antoinette, toute fière d’avoir gagné la partie.

Quant à Samar et Joe, ils ont repensé les usages et le potentiel de cet étage à ciel ouvert. Déplorant le prix de location des salles de mariage, inabordables pour lui, le couple n’a pas été en panne d’inspiration pour organiser la soirée de ses noces : « Elle s’est déroulée il y a un mois sur le toit de notre nouvel appartement à Rmeil. Le décor était composé de fleurs, de branchages accrochés aux chaises, de chandeliers pour donner une ambiance chaleureuse et une vue garantie sur les toits du quartier : une forêt d’antennes, de réservoirs d’eau et panneaux solaires ! » éclate de rire Samar, ajoutant qu’« il soufflait une brise d’air frais, prélude d’un bel espoir pour l’avenir ».

De la lecture et du yoga... Joseph Eid/AFP

Les poules prennent de la hauteur

C’est la campagne qui s’invite à Ras Beyrouth. Côté Koraytem, un grand immeuble pourvu de baies vitrées (sans balcon) abrite sur son toit des carrés de végétations. Randa savoure le plaisir du jardinage. « J’y plante des légumes qui grimpent et utilisent moins d’espace au sol, notamment du caviar de concombre, de la tomate, de l’aubergine, du basilic, de la menthe et autres. De grands bacs, beaucoup de fumier, du compost et voilà l’affaire en bon train. » Il y a même trois citronniers qui ont poussé et donnent des fruits et des fleurs tout au long de l’année. « Nous sommes trois parmi les onze copropriétaires à cultiver chacune son petit carré. Le toit est étanche, heureusement, et ne présente aucun problème de portance. Toutefois, l’arrosage de ces plantes hors sol est deux fois plus important », précise-t-elle. Contribuant à la biodiversité et au mieux-vivre dans les villes de demain, les toitures végétalisées doivent encore dépasser un certain nombre de freins pour se développer à plus grande échelle.

Plus près du rayonnement solaire, les high-buildings d’Achrafieh accueillent principalement des capteurs solaires photovoltaïques. Certains panneaux de qualité moyenne sont posés à la sauvette et sans élégance. D’autres combinent rendement énergétique et design. La laideur n’est donc pas une fatalité : le solaire peut se conjuguer avec le beau.

D’un lieu à l’autre, un panorama sans cesse différent. La cerise sur le gâteau ? C’est celle du poulailler sur un toit à Chiyah. Là, six poules gambadent en toute liberté. Ali leur a fourni un espace suffisant pour leur permettre de pondre en toute sérénité. Outre les caisses tapissées de paille, la mangeoire et l’abreuvoir, il a prévu « à chacune un perchoir, installé à la même hauteur afin d’éviter toute rivalité entre elles ». Dans son quartier, l’élevage des poules semble être de plus en plus populaire. « Pour nous, acheter des œufs coûte cher. Le prix d’une boîte de 12 est de deux dollars et demi et il peut grimper jusqu’à trois et demi. » De l’autre côté de la rue, une vue panoramique du linge qui sèche sur un fil tendu entre deux piliers de béton.

Dans un survol de la ville, entre paraboles, antennes, panneaux solaires et récipients de stockage d’eau, seuls les toits parés de tuiles rouges témoignent encore du charme pittoresque qu’offrait Beyrouth autrefois.

Habiter, jardiner, se divertir ou se restaurer sur un toit… Différents usages se répandent sur ce lieu où des milliers de mètres carrés de surface sont réinvestis en projets et événements variés. Il y a évidemment les toits-terrasses, des rooftops branchés, aménagés en bars ou restaurants, où l’on prend de la hauteur pour siroter son cocktail et dîner en...

commentaires (3)

Formidable sujet et reportage.

Eddé Dominique 4037

23 h 10, le 25 juillet 2023

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Formidable sujet et reportage.

    Eddé Dominique 4037

    23 h 10, le 25 juillet 2023

  • Oui dans Beyrouth!

    May Makarem

    20 h 50, le 25 juillet 2023

  • Bonjour, les photos qui illustrent votre article sont-elles bien prises dans Beyrouth même ?

    N.K.

    13 h 28, le 25 juillet 2023

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