Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Conférence

Au Moyen-Orient, la peine de mort est un instrument de répression par les régimes autoritaires

Trois pays de la région sont responsables de 90 % des exécutions recensées à l’échelle mondiale : l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Égypte.

Au Moyen-Orient, la peine de mort est un instrument de répression par les régimes autoritaires

Photo de famille des participants à la conférence de Amman organisée par l’ECPM, les 10 et 11 juillet 2023. Photo Antoine Ajoury

Le cinéaste franco-irakien Layth Abdulamir avait à peine dix ans quand il a été confronté pour la première fois à la peine capitale. « On nous avait emmenés à l’école sur la place Tahrir à Bagdad pour aller chanter et danser devant les cadavres de quatre “espions” exécutés devant le public », se rappelle-t-il au cours d’une conférence organisée à Amman les 11 et 12 juillet par l’organisation ECPM (Ensemble contre la peine de mort). « Je me suis faufilé parmi la foule pour me trouver devant l’un de ces hommes morts, pendus. C’était une image atroce qui m’a traumatisé durant toute ma vie », ajoute le réalisateur du film La larme du bourreau. À cette époque, raconte-t-il, il n’avait pas trouvé les mots qu’il fallait pour exprimer son désarroi. « Aujourd’hui, je sais quel terme utiliser pour formuler mes émotions : c’est la barbarie », explique Layth Abdulamir.

Cet état de barbarie plane toujours, plus de 50 ans plus tard, sur la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) où la grande majorité des pays sont encore réticents à abolir la peine de mort, à contre-courant de la tendance mondiale. Jusqu’en 2022, ce sont 142 pays au total qui ont aboli la peine capitale dans leur législation ou en pratique : 110 États l’ayant abolie en toutes circonstances, 7 ne conservant la peine de mort que pour des crimes commis en temps de guerre et des crimes contre l’humanité tandis que 25 autres États sont considérés comme abolitionnistes de facto, car n’ayant procédé à aucune exécution ces dix dernières années et qui semblent avoir pour pratique établie de s’abstenir d’y procéder. Mais 53 pays la pratiquent encore, dont la majorité se trouvent au Moyen-Orient, à l’exception de la Turquie qui l’a complètement abolie, et du Liban qui est en situation de moratoire de facto depuis 19 ans – la dernière exécution remonte à 2004. En Jordanie, aucune exécution capitale n’a eu lieu depuis 2017.

Lire aussi

La police iranienne relance ses patrouilles pour arrêter les femmes non-voilées

Par contre, la quasi-totalité des pays du Proche-Orient pratiquent sans modération la peine de mort pour punir des crimes divers, notamment le trafic de drogue. Pire : si l’on exclut la Chine, trois pays de la région sont responsables de 90 % des exécutions recensées à l’échelle mondiale : l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Égypte.

Des records d’exécutions

La République islamique d’Iran a ainsi exécuté 582 personnes en 2022. En 2023, le nombre a nettement augmenté, approchant les 300 depuis le début de l’année. Près de 44 % des jugements concernent les stupéfiants. Par ailleurs, les pauvres et les minorités religieuses et ethniques sont clairement discriminés, notamment les Kurdes et les bahaïs. Sans oublier qu’en Iran, les procès inéquitables sont légion.

En Arabie saoudite, la peine de mort est appliquée à grande échelle. Là aussi, il n’y a pas de transparence dans les procès, les droits de la défense sont violés et la torture est fréquemment employée. En outre, les jugements relatifs au terrorisme sont régulièrement utilisés pour condamner des opposants et des minorités religieuses. Des discriminations ont lieu concernant les ouvriers expatriés. Le nombre d’exécutions a triplé en Arabie saoudite entre 2021 et 2022, passant de 65 à 196, soit le plus élevé enregistré par Amnesty International en 30 ans. Tandis que l’Égypte a exécuté 24 personnes en 2022. En revanche, entre 345 et 538 jugements – selon deux sources différentes – ont été prononcés l’année dernière. Plus de 100 articles concernent la peine de mort dans ce pays.

Lire aussi

Le Liban « très proche de l’abolition de la peine capitale »

De son côté, la Syrie est également pointée du doigt par les défenseurs des droits de l’homme, concernant les exécutions capitales, mais aussi pour les disparitions forcées et la torture dans les prisons du régime.

La situation dans les territoires palestiniens est complexe, avec la présence de trois acteurs. D’abord Israël, qui a aboli la peine de mort mais qui, sous l’actuel gouvernement le plus à droite de l’État hébreu, considère de la relancer concernant les Palestiniens. Ensuite, le gouvernement de facto du Hamas à Gaza qui poursuit les exécutions capitales. Enfin, l’Autorité palestinienne qui, sous la direction de Mahmoud Abbas, applique un moratoire depuis 2007. Même les tribunaux palestiniens ne prononcent plus de peines de mort, sachant qu’elles ne seront pas appliquées.

En Jordanie, la peine de mort est rarement appliquée. À part un intervalle entre 2014 et 2017, quand plusieurs personnes ont été exécutées pour terrorisme, le roi – qui doit les approuver – y semble réticent. Actuellement, 239 peines de mort n’ont pas été appliquées.

Régimes autoritaires

Pour l’ancien ministre libanais de la Justice Ibrahim Najjar, également vice-président de la Commission internationale contre la peine de mort (CIPD), « la peine capitale n’est pas utilisée comme une punition pour combattre la criminalité. Elle est un instrument de répression employé par des régimes autoritaires. Celle-ci est en corrélation étroite avec les dictatures ».

« La peine de mort est utilisée par les autorités pour créer un climat de peur et d’oppression parmi la population, renchérit Shérif Azer, responsable au sein de la Commission égyptienne pour les droits et la liberté, afin d’absorber la colère populaire d’une part, ou pour se venger et abuser des opposants politiques d’autre part. »

De son côté, Assem Rababa, président de Adaleh Center for Human Rights Studies en Jordanie, réfute la justification de la charia pour refuser l’abolition de la peine de mort. Selon lui, « une grande partie des pays de la région ont un code pénal fondé sur le droit positif et non pas sur le droit islamique ».

Que dit l’islam ?

Dans ce contexte, Ammar Dweik, directeur général de la Commission indépendante des droits humains en Palestine (NHRI), estime qu’il « est faux de dire que les droits humains sont une invention occidentale. Il convient de mettre en valeur le lien entre la culture islamique et arabe, et le discours des droits de l’homme ».

On argumente souvent que les pays musulmans ont leur spécificité, à savoir leur religion qu’il faut prendre en considération. Or en islam, la sanction de la peine capitale est très restrictive et son application très stricte. Par ailleurs, il existe plusieurs arguments coraniques qui appuient la non-application de la condamnation à mort.

Selon Mohammad Habash, président du Centre d’études islamiques à Damas, le Coran ne mentionne qu’une seule fois la peine de mort, comme punition (kissas) pour les cas de meurtre volontaire. Exit ainsi tout ce qui a rapport avec la drogue, l’espionnage, les relations homosexuelles, l’adultère, l’apostasie et autres homicides non volontaires. Mohammad Habash cite au moins 14 cas utilisés par le fiqh musulman pour ne pas appliquer la peine capitale. La charia propose ainsi à plusieurs reprises une compensation financière importante pour dédommager les victimes ou leurs proches afin d’éviter autant que possible la peine de mort. Ainsi la charia propose la solidarité de toute la tribu du meurtrier pour compenser la victime afin d’éviter la punition corporelle. « À chaque fois que le kissas est mentionné dans le Coran, vient avec lui le concept du pardon », insiste M. Habash. Par ailleurs, la condamnation à mort doit recueillir l’unanimité des juges, sinon il faut chercher une autre sanction. Le Coran interdit en outre la vengeance.

D’autres observateurs estiment de leur côté qu’il y a une souplesse dans la charia pour évoluer avec la société, et ainsi trouver les solutions adéquates pour abolir ou suspendre l’application de la peine de mort.

Obstacles et recommandations

Malheureusement, les obstacles restent importants pour abolir la peine de mort dans la région, notamment dans l’opinion publique qui appelle souvent à punir les meurtriers, surtout s’ils ont commis des crimes odieux. « Quand la peine de mort a été abrogée en France en 1981, la majorité de la population était contre », se rappelle ainsi l’ambassadeur français à Amman, Alexis Le Cour Grandmaison.

D’où l’intérêt des ONG de défense des droits humains à faire du lobbying auprès des députés et des partis politiques pour présenter leurs arguments afin de surmonter le manque de volonté politique de la part des gouvernements et des élus dans des pays où l’influence de la religion et des coutumes tribales est difficile à juguler.

Certains militants préconisent ainsi un travail par étape, afin d’aboutir à l’abolition des condamnations de mort, en commençant par convaincre les gouvernements d’appliquer un moratoire sur la peine capitale, et dans une seconde étape d’œuvrer à réduire le champ d’application de cette sanction aux crimes graves uniquement. Des campagnes de sensibilisation doivent aussi être lancées pour créer un débat public autour de la question et briser les réticences populaires.

Enfin, la représentante de l’Union européenne en Jordanie, Maria Hadjitheodosiou, préconise le dialogue entre les États abolitionnistes et rétentionnistes pour pousser ces derniers à réduire cette sanction inhumaine, en leur faisant miroiter des gains diplomatiques et économiques ou une meilleure image à l’international, pouvant encourager le tourisme et les investissements. « Pourquoi tuer quelqu’un pour montrer qu’on ne peut pas tuer quelqu’un ? » conclut-elle.

Le cinéaste franco-irakien Layth Abdulamir avait à peine dix ans quand il a été confronté pour la première fois à la peine capitale. « On nous avait emmenés à l’école sur la place Tahrir à Bagdad pour aller chanter et danser devant les cadavres de quatre “espions” exécutés devant le public », se rappelle-t-il au cours d’une conférence organisée à...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut