« L’Aéroport René Moawad de Qoleïat vous souhaite la bienvenue. » Alors que le Liban s’enfonce dans une crise économique et politique inédite, cette phrase sonne comme un véritable mirage. Toutefois, les députés du bloc de la Modération nationale, comprenant les ex-haririens du Nord, semblent y croire. Ces élus ont en effet donné au Premier ministre sortant Nagib Mikati (lui-même originaire de Tripoli, capitale du Liban-Nord) deux mois pour lancer le projet de réhabilitation de cet aéroport, situé dans le Akkar et utilisé par l’armée. Perçue comme une opportunité économique importante pour des régions marginalisées, l’ouverture de cet aéroport (qui serait le second du pays) ne peut toutefois être dissociée de la polarisation politique ambiante, à l’heure où des termes comme fédéralisme, autonomie et divorce reviennent en force dans le paysage actuel.
« Le pétrole du Akkar »
« Nous nous sommes entretenus avec le Premier ministre au sujet de la réhabilitation de cet aéroport, et il était plutôt réceptif », raconte à L’OLJ Sajih Attié, député du Akkar, membre du bloc de la Modération nationale et président du comité parlementaire des Travaux publics et des Transports. Et d’abonder : « Pour l’inciter à se pencher sérieusement sur la question, nous lui avons donné un délai de deux mois pour l’ouverture du dossier. Faute de quoi, nous aurons recours à la pression populaire. » Surnommé « le pétrole du Akkar », l’aéroport de Qoleïat est une revendication centrale des habitants des régions appauvries du Liban-Nord, qui espèrent qu’il pourra créer des emplois et favoriser la croissance économique. « La réactivation de cet aéroport serait une très bonne idée pour le Nord en général et pour Tripoli en particulier, espère Achraf Rifi, député de cette ville. Elle permettrait en effet d’activer d’autres projets de développement pour la ville, comme la zone économique spéciale. » Membre du bloc du Renouveau, M. Rifi est proche de Michel Moawad, député de Zghorta. L’aéroport de Qoleïat porte le nom de son père, élu président de la République en 1989 dans l’enceinte de cet aéroport, mais assassiné quelques jours plus tard.
De nombreuses figures politiques appellent, depuis la fermeture de cet aérodrome dans les années 90, à sa réactivation au plus vite. Plusieurs ministres des Travaux publics et des Transports successifs ont d’ailleurs affirmé vouloir porter le projet. Toutefois, celui-ci n’a jamais vu le jour, même en pleine période de boom économique, portée par la reconstruction et le tourisme, par manque de volonté politique. « L’idée d’un aéroport à Qoleïat n’enchante pas le Hezbollah », affirme l’expert économique et directeur du think tank Kulluna Irada Albert Kostanian. Ce projet briserait en effet le monopole de l’Aéroport international de Beyrouth, situé dans la banlieue sud de la capitale, une région sous le contrôle du parti de Dieu. Ce dernier exerce une influence considérable sur l’aéroport et en tire « des dividendes politiques importants », affirme M. Kostanian.
Monopole
En 2008, le gouvernement de Fouad Siniora avait décidé de démettre de ses fonctions Wafic Choucair, proche du parti chiite, qui était alors responsable de la sécurité de l’AIB. Cette décision faisait suite à la révélation d’une faille sécuritaire à l’aéroport par le leader druze Walid Joumblatt. Il avait également lancé une croisade contre les réseaux de télécommunication illégaux du parti. Résultat, des miliciens du Hezbollah ont pris d’assaut des pans de la capitale et de la Montagne druze pour contraindre le gouvernement à revenir sur ses décisions. « Si la situation sécuritaire au Liban continue de dégringoler, le Hezbollah a stratégiquement intérêt à avoir un monopole sur les transports aériens, » analyse Achraf Rifi. Il fait allusion au grave incident qui a secoué le Liban-Nord il y a quelques jours, quand deux hommes originaires du village chrétien de Bécharré ont été tués sur fond de différend avec la bourgade sunnite voisine de Bkaasafrine sur une source d’eau. Certains au sein de l’opposition affirment que le Hezbollah est impliqué dans cette affaire, qui aurait pu tourner à la confrontation confessionnelle, ce que ce dernier dément.
Pour la Modération nationale, la formation pro-iranienne ne bloquera pas pour autant l’exécution du projet de l’aéroport de Qoleïat. « Nous avons parlé du projet avec les députés du parti, et ils étaient plutôt réceptifs », affirme M. Attié. Contacté, le ministre des Transports Ali Hamiyé, proche du Hezbollah, n’a pas donné suite. Toutefois, le député Hussein Jechi, membre du Hezbollah, affirme « ne pas mélanger la politique avec l’économie ». « Il faut étudier le coût et l’intérêt de ce projet, c’est tout », affirme ce membre de la commission parlementaire des Travaux. « Nous nous soucions du bien-être de nos concitoyens au nord », ajoute-t-il, alors que cette région ne compte pas de présence chiite significative.
Car certains doutent que le petit pays qu’est le Liban ait besoin d’un second aéroport. Cependant, « en partant du principe qu’il s’agit d’une infrastructure vitale pour un pays, il faut toujours un second aéroport au cas où le premier est endommagé ou mis hors service par une catastrophe naturelle ou l’instabilité politique », affirme Albert Kostanian. Et d’abonder : « Pour le reste, il faut faire des études chiffrées, mais on peut supposer qu’un second aéroport va renforcer la compétition et permettre d’améliorer la performance de l’aéroport de Beyrouth. Quant au coût, la norme, c’est que le secteur privé s’en occupe suivant un modèle de partenariat public privé. Il n’y a qu’au Liban que l’État pense pouvoir tout gérer. »
commentaires (7)
Il faut le bo3bo3 du Hezbollah pour qu'au Liban on pense à la possibilité de peut être faire quelque chose autre qu'à Beyrouth. Il faut pas oublier que la marginalisation du nord et son appauvrissement ne sont pas du fait de la négligence mais d'une politique délibérée de non concurrence qui dure depuis des décennies. Les exemples sont multiples: le port, la foire internationale, la raffinerie, etc. Qui par exemple sait que la région de Dannieh est un paradis sur terre avec un potentiel touristique énorme ? Pourquoi le ministere du tourisme n'a jamais communiqué la dessus ? Dire que le projet du nouveau aéroport n'aboutira pas du fait du Hezbollah est une énorme hypocrisie. La marginalisation du nord dure depuis bien avant que le parti Chiite ne prenne le pouvoir. Le nord est une bombe à retardement qui finira par exploser. Mais malheureusement au Liban désamorcer les bombes on sait pas faire, on attend juste que ça explose.
W. ABDUL RAHMAN
23 h 26, le 19 juillet 2023