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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE/DANS NOS ARCHIVES

Erdogan, grand vainqueur de la séquence OTAN

Le président turc a fait un pas vers les Occidentaux en s’engageant à ouvrir la voie à l’adhésion de la Suède dans l’Alliance atlantique, au grand dam de Moscou. Une décision qui ne semble pas signifier pour autant la fin du partenariat stratégique avec le Kremlin.

Erdogan, grand vainqueur de la séquence OTAN

Le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg (à gauche) et le président turc Recep Tayyip Erdogan, pendant le sommet des dirigeants de l’OTAN à Vilnius, en Lituanie, le 11 juillet 2023. Kacper Pempel/Reuters

Il est loin d’en être à sa première volte-face. Les revirements inattendus du président turc ne se comptent plus. Et pour cause, jusqu’aux dernières heures précédant le sommet annuel de l’OTAN qui s’est ouvert mardi pour deux jours à Vilnius, une ombre pessimiste planait sur sa tenue. La veille, les dirigeants de l’Alliance atlantique, qui multiplient depuis plusieurs mois les efforts pour obtenir le feu vert d’Ankara pour la ratification par le Parlement turc de l’adhésion de la Suède à l’organisation, ne semblaient pas au bout de leurs peines. Adepte des déclarations-chocs, Recep Tayyip Erdogan avait donné le ton en début de journée : « Je lance un appel aux pays qui laissent la Turquie à la porte de l’Union européenne (UE) depuis plus de cinquante ans. Ouvrez d’abord la voie à la Turquie dans l’UE et alors nous ouvrirons la voie pour la Suède, comme nous l’avons fait pour la Finlande. »

Le soir, aux alentours de 22 heures, l’ambiance change pourtant du tout au tout. Après d’intenses négociations menées en Lituanie entre le président turc et de hauts responsables, à l’instar de Charles Michel, président du Conseil européen, le secrétaire général de l’OTAN annonce qu’Ankara acceptait de mettre fin au blocage de l’entrée de la Suède dans l’Alliance et d’assurer son adhésion dans un avenir proche. Près de 18 mois après le début de la guerre en Ukraine déclarée par le Kremlin, à la suite de laquelle Stockholm et Helsinki ont déposé leurs candidatures auprès de l’organisation, celle-ci se félicite d’afficher un front commun face à la Russie.

Recep Tayyip Erdogan, lui, peut se targuer de sa position de maître du jeu, fort des concessions obtenues et habilement négociées. « Le président turc a probablement renoncé à son veto parce qu’il a estimé que les risques associés à la poursuite de l’impasse commençaient à l’emporter sur les avantages qui pourraient découler d’une telle position », observe Özgür Ünlühisarcıklı, directeur du bureau d’Ankara du German Marshall Fund of the United States. Un exercice qui lui est familier, et qui s’est une fois de plus avéré gagnant. « Il s’agit d’une répétition de l’acte d’Erdogan. Le président turc avait déjà repoussé certaines décisions-clés nécessitant son consentement à Londres en 2019, puis à Madrid en 2022, souligne Alper Coşkun, spécialiste de la politique étrangère turque au Carnegie Endowment for International Peace à Washington. Il avait envenimé la situation jusqu’au dernier moment, obligé les alliés de l’OTAN à le courtiser, et il avait fini par céder après avoir obtenu ce qu’il voulait sur certaines de ses attentes essentielles. »

Assouplissement sur les F-16

Et si, fin mars dernier, le Parlement turc avait ratifié l’adhésion d’Helsinki, ouvrant la voie à son entrée au sein de l’Alliance, celle de Stockholm restait toujours en suspens. Ankara, qui l’accuse notamment de passivité face aux « terroristes » kurdes réfugiés dans le pays, exige davantage d’extraditions de militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ainsi que du mouvement de Fethullah Gülen (FETÖ) – bête noire de Recep Tayyip Erdogan qui le tient pour responsable de la tentative de coup d’État de juillet 2016. Deux mouvements classés terroristes par la Turquie. Des blâmes qui avaient été exacerbés le mois dernier après qu’un homme a publiquement brûlé un Coran devant la plus grande mosquée de la capitale suédoise lors d’un rassemblement qui coïncidait avec la fête de l’Adha.

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Quelques semaines plus tard, voilà qu’Ankara opère un virage sur le dossier. Son marchandage a payé, en témoignent les garanties offertes par la Suède, telles que la présentation à venir d’une feuille de route décrivant son travail de lutte contre le terrorisme ainsi que son engagement à soutenir la Turquie sur le front de sa candidature à l’UE. Mais également de la part de Washington. « L’assouplissement de la position du Congrès américain sur le dossier des avions F-16 a été sans nul doute un élément-clé de la décision d’Ankara, explique Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE en Turquie et chercheur au cercle de réflexion Carnegie Europe à Bruxelles. Il faudra voir quels paramètres permettront de finaliser cette éventuelle vente d’armements. » Mardi, en marge du sommet de Vilnius, Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, a déclaré que l’administration démocrate devrait valider la livraison d’avions de chasse F-16 à Ankara en consultation avec le Congrès américain. Une décision hautement attendue par la Turquie, pour qui cette livraison doit compenser l’interdiction qui lui a été faite en 2019 d’acquérir des F-35 américains de cinquième génération, suite à son achat de batteries de défense russes S-400. À travers ses récentes manœuvres, le reïs est également parvenu « à attirer l’attention des États-Unis » et possiblement « à ouvrir la voie à une éventuelle visite à la Maison-Blanche » convoitée depuis longtemps, fait valoir Alper Coşkun, tandis qu’une rencontre entre Joe Biden et son homologue turc est prévue dans la capitale lituanienne.

Une position de force

Au-delà de ces acquis, l’attitude de Recep Tayyip Erdogan interroge sur son positionnement face à son partenaire stratégique russe. Faut-il y voir l’amorce d’un éloignement de Vladimir Poutine, dont le pays s’enlise en Ukraine et dont les fragilités ont été exposées à la lumière du jour fin juin lors de la mutinerie d’Evguéni Prigojine, chef de la milice privée russe Wagner ? Car jusqu’à présent, Ankara jouait les équilibristes dans le conflit opposant Moscou aux Occidentaux. Forte de ses bonnes relations avec les deux parties, la Turquie s’est hissée depuis le début de la guerre en Ukraine comme l’un des interlocuteurs privilégiés des uns et des autres, assurant un rôle-clé de médiateur et conservant toujours des liens avec le Kremlin en dépit des sanctions occidentales à son encontre. Ces derniers jours cependant, les derniers développements laissent présager une évolution du positionnement d’Ankara. Samedi dernier, le rapatriement dans leur pays de cinq commandants ukrainiens depuis la Turquie a suscité la colère du Kremlin. Ces hauts gradés capturés par les forces russes au printemps 2022 dans le cadre d’un échange de prisonniers entre Kiev et Moscou avaient été transférés vers le territoire turc, à la condition qu’ils y restent jusqu’à la fin de la guerre, selon un accord conclu entre les trois parties. Ce rapatriement est intervenu immédiatement après le déplacement du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, auprès de son homologue turc à Istanbul, le premier depuis février 2022. « Ce qu’il faut retenir, c’est qu’Erdogan s’est senti à l’aise en agissant de la sorte, malgré la colère évidente que cela provoquerait à Moscou », note Alper Coşkun.

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Si les deux puissances coopèrent sur de nombreux dossiers et terrains régionaux, Ankara se rend compte qu’il est en position de force face à une Russie transformée en État paria et fragilisée depuis l’invasion de son voisin ukrainien. De l’autre côté, le reïs turc, revigoré par sa reconduite à la tête du pays pour cinq nouvelles années, sait que la crise économique menace à tout moment d’éroder sa popularité. Or l’alignement sur ses alliés occidentaux lui permet d’entrevoir une aide et des investissements émanant de ces pays. Un rapprochement avant tout tactique, qui pourrait ainsi évoluer au gré des priorités turques. « Ce n’est pas le moment de couper les ponts avec l’Occident, et le fait de gâcher le sommet de l’OTAN aurait justement eu cet effet, poursuit Alper Coşkun. Oui, Erdogan courtise clairement l’Occident aujourd’hui, ce qui ne passera pas inaperçu aux yeux de Poutine. Mais il essaiera en même temps de préserver sa relation d’ami-ennemi avec le chef du Kremlin. L’exercice d’équilibre entre l’Occident et la Russie se poursuivra, semble-t-il, avec une dose accrue d’affinités occidentales. »

Il est loin d’en être à sa première volte-face. Les revirements inattendus du président turc ne se comptent plus. Et pour cause, jusqu’aux dernières heures précédant le sommet annuel de l’OTAN qui s’est ouvert mardi pour deux jours à Vilnius, une ombre pessimiste planait sur sa tenue. La veille, les dirigeants de l’Alliance atlantique, qui multiplient depuis plusieurs...

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Ce pays de gangsters qu'est devenue la Russie voit son pouvoir d'attraction s'éroder de jour en jour.

F. Oscar

11 h 29, le 13 juillet 2023

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Commentaires (1)

  • Ce pays de gangsters qu'est devenue la Russie voit son pouvoir d'attraction s'éroder de jour en jour.

    F. Oscar

    11 h 29, le 13 juillet 2023

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