Dans un rapport thématique intitulé Lebanon’s Import Bill: Jewelry Before Baby Formula, publié le 5 juillet, l’ONG Mercy Corps a mis en exergue les incohérences révélées par l'examen des importations libanaises en 2022, par rapport au contexte de crise que traverse le pays depuis 2019.
« Pendant les crises économiques, les importations sont généralement en baisse en raison des coûts élevés et des changements dans les habitudes de consommation. Non seulement les données sur les importations libanaises en 2022 (contredisent) cette tendance, mais indiquent également que les ressources sont allouées avec un sens des priorités douteux », ont notamment énoncé les auteurs du rapport dans leurs conclusions.
Plus de voitures que de médicaments
Les analystes travaillant pour le compte de l'ONG ont également rappelé que les importations ont totalisé 19 milliards de dollars sur la dernière année civile, soit 90,7 % du PIB du même exercice, ce qui est considérablement élevé. Ils ont ajouté que ce même ratio n’était que de 33,2 % en 2020, une année marquée par l’accélération de la crise et les restrictions liées au Covid-19. Une importante partie des importations étaient encore subventionnées cette année-là, lors de laquelle le taux de change dollar/LL avait commencé à sérieusement décrocher. La monnaie nationale a perdu 98 % de sa valeur en près de 4 ans (passant de 1507,5 livres pour un dollar à environ 91 000 livres actuellement, selon le site lirarate.org.). Le mécanisme de subvention du taux de change que la Banque centrale ouvrait depuis fin 2019 à plusieurs catégories d’importations, dont celles concernant les carburants et les produits pharmaceutiques ont commencé à être levées à partir de 2021.
Les auteurs du rapport remarquent également que la facture des importations de « produits de luxe » (2 milliards de dollars et 10,49 % du total), comme « la joaillerie ou les voitures » (1,69 milliards et 8,83 %) avait dépassé en 2022 celles des « médicaments et du lait pour nourrisson », respectivement à 2 % (341 millions de dollars) et 0,1 % du total. Ils constatent par ailleurs que les importations de produits pharmaceutiques, dont font partie les médicaments, ont baissé de plus de moitié entre 2018 et 2022 (de 1,33 milliard à 551 millions de dollars). Les importations de carburants restent les plus élevées.
À noter que la hausse des importations de voitures est liée au fait que les importateurs ont anticipé l’alignement au taux de change du marché parallèle employé pour calculer les droits de douanes en livres à partir des prix hors taxes en dollars qui a commencé fin 2022 - la hausse du fameux « dollar douanier », qui était jusqu'à décembre 2022 encore bloqué sur l’ancienne parité officielle. Les auteurs du rapport relèvent également que seule une partie de la joaillerie importée est réexportée une fois transformée.
Le rapport a été réalisé pour Mercy Corps par l’équipe Lebanon Crisis Analytics Team (LCAT), soutenue par l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et cofinancée par l’Union européenne.
commentaires (11)
J'ai lu le rapport (disponible sur le web), et j'ai noté les points suivants. 1) Le rapport note le fait que le Liban exporte aussi beaucoup de métaux et de pierres précieuses. Cependant les chiffres de l'exportation sont restés stables entre 2021 et 2022, tandis que ceux de l'importation ont explosé, dépassant même ceux de 2018 (même en tenant compte de l'inflation). Il est peu probable que les libanais aient été soudain pris de désirs de luxe. Une explication possible est que l'or soit un moyen de préserver les richesses puisque les gens ne font plus confiance aux banques. Une autre explication pourrait être que les joailliers ont importé davantage en 2022 pour éviter des droits de douane plus élevés en 2023. 2) Le point dans le rapport de Mercy Corps qui est pour moi le plus intéressant n'est pas évoqué dans l'article: C'est le fait que les importateurs peuvent ne plus avoir recours aux banques pour importer de la Turquie et de la Chine, et qu'ils peuvent avoir recours à des "bureaux d'échange" (exchange offices) et des "confirming houses" qui permettent de payer en cash à Beyrouth et qui se chargent de faire parvenir l'argent à sa destination. Si c'est vrai, cela limite fortement l'impact des mesures anti-blanchiment que les banques prennent ou prendront.
Nagi Nahas
15 h 00, le 16 juillet 2023