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Culture - Photo

Kaveh Kazemi, photographe iranien, dévoile ses religieuses !

De l’ex-Yougoslavie à l’Inde, de la Colombie à l’Italie, de l’Espagne en passant par la Grande-Bretagne et le Liban, il a immortalisé les religieuses à chaque coin du monde où il pouvait les rencontrer. Beit el-Laffé, maison d’hôtes située au cœur de Beyrouth, propose son sixième recueil, « Nuns ».

Kaveh Kazemi, photographe iranien, dévoile ses religieuses !

En couverture de l'ouvrage « Nuns », une religieuse derrière un grand orgue. Photo Kaveh Kazemi

Comment photographier le silence et la solitude ? Comment reproduire en images le sacré, le recueillement dans la prière et rendre compte de la vie monastique qui propose un subtil agencement de la parole et du silence, où ce dernier est privilégié ? Kaveh Kazemi, photographe iranien né à Téhéran en 1952, a traversé les intérieurs des couvents, a figé dans son objectif le quotidien des religieuses, en prière, à l’œuvre dans les réfectoires, en musique quand elles s’emparent du clavier de l’orgue de la chapelle, dans le jardin à nettoyer les mauvaises herbes ou à planter, au chevet des malades, ou même gérant un petit établissement hôtelier. Il s’est aussi penché sur le minimalisme de l’ameublement, le caractère monochromatique des pièces, l’absence d’objets personnels, a traqué l’obscurité ambiante, ou la lumière filtrant à travers les vitraux, a parcouru l’intimité des lieux, a aussi souvent partagé des moments avec ces communautés, comme ce jour où il assiste à la consécration d’une jeune religieuse. Chaque endroit était pour lui une invitation à s’arrêter, une pause qui scande et ordonne le passage du temps et sollicite la concentration à travers le florilège des symboles et des représentations du divin. Une démarche qui revient à donner à voir une part d’invisible. Les religieuses ! (« Nuns ») un sujet sur lequel s’est penché le photographe depuis sa tendre jeunesse.


Kaveh Kazemi a été durant de longues années le regard intransigeant sur la révolution de son pays et une importante voix photographique en Iran. Photo DR


Du boucan de la guerre au silence des couvents

Longtemps, il a été le regard intransigeant sur la révolution de son pays et une importante voix photographique en Iran, documentant des événements importants qui ont eu une énorme incidence historique. Présent dans des points chauds de la planète autres que l'Iran (Irlande du Nord, guerre du Golfe en Irak 1991, Liban 1986 et 1996, Syrie 2012), réussir à faire son travail avec succès a été tout un exploit.

Celui qui a étudié la photographie au West Surrey College of Art and Design en Angleterre (devenu depuis University of Creativ Art) était  de retour dans son pays natal au début de la révolution en 1979, dont il a commencé à couvrir les événements. 

A 27 ans à peine, il photographiait ainsi un groupe de femmes manifestant contre le port du voile islamique, tout en agitant leur hijab en l'air devant le bureau du Premier ministre à Téhéran. Il ne le savait pas encore mais ce cliché allait marquer la fin d'une époque. Bientôt, le Parlement iranien allait adopter une loi rendant le port du voile islamique obligatoire. À partir de ce moment, toutes les images de Kaveh Kazemi de la révolution iranienne et de ses conséquences révèlent la transition du pays d'une autre époque et un contraste avec son bouleversement social actuel.

Tout au long de ses quatre décennies de carrière, sa principale préoccupation était simplement de documenter. « Aujourd’hui, dit-il, dans une entrevue accordée à un journal anglais, avec des caméras partout et une explosion incessante d'images sur les réseaux sociaux, la nouvelle génération numérique ne réalise pas à quel point la photographie a documenté l'histoire iranienne, ces appareils photos ont ruiné le vrai plaisir de la photographie et ont également détruit le marché des vrais photographes. Nous avons vécu et travaillé à l'époque dorée du photojournalisme. Ce que nous voyons aujourd'hui est un marché inondé de production de masse et de photos de journalistes citoyens. La majorité d'entre eux n'a aucune valeur photographique réelle. »


Des nonnes en train de jardiner sous l'objectif du photographe iranien. Photo Kaveh Kazemi


« À chacun de mes voyages, je traquais les religieuses »

Pour avoir longtemps durant sa jeunesse été un adepte des films de grands maîtres italiens Pasolini et Fellini, c’est naturellement qu’il se tourne vers le sujet des couvents lorsqu'à l’université on lui propose de choisir un sujet pour un projet. « Pour une raison que j’ignore encore jusqu’à ce jour, j’étais attiré d’abord par l’ambiance intimiste, par le clair-obscur qui règne souvent dans les monastères et les cloîtres, par le silence et la solitude qui occupent les espaces, par la palette de couleurs assez monochromes. Mon projet a été très bien accueilli par mes professeurs et le sujet est devenu mon sujet de prédilection. À chaque fois que je voyageais, j’allais à la recherche de religieuses. » Un jour, alors qu'il était de passage en Andalousie avec son épouse pour assister à un mariage, il interpelle un passant adossé à une porte métallique en lui demandant où se trouvait le couvent le plus proche. Le jeune homme lève l’index et lui indique la porte sur laquelle il était adossé, une coïncidence qu'il interprète comme un signe. Depuis, il n’aura de cesse de traquer les voiles et les soutanes, « sans aucun penchant, dit-il, pour la religion, ni aucune quête ou questionnement mystique, mais par simple souci esthétique ».

Entamé lors de ses années universitaires, ce projet a évolué pour aujourd’hui passer enfin à la publication. Mais il a fallu de la détermination, du cran et de la volonté pour pénétrer les cloîtres ou les religieuses vivent en communauté. « Pénétrer ces lieux sacrés n’était pas facile, confie le photographe, il m’a fallu des lettres de recommandation de mon université, revenir frapper à la porte plus d’une fois et essayer de solliciter la gentillesse de la mère supérieure. » Il a fallu aussi de la créativité et un œil aiguisé pour faire ressortir les détails révélateurs, pour traverser ces univers où une distance avec le monde est établie, pour réussir à rendre compte de la solitude qui fait partie intégrante de la vie monastique, et attestait qu’elle est presque un enseignement.

Au Liban, un pays que le photographe connaît bien pour avoir souvent couvert les moments de guerre, Kaveh Kazemi revenait souvent. De Kadicha à Harissa, de Qannoubine à Beyrouth, il parcourait tous les couvents, des carmélites aux religieuses orthodoxes, des franciscaines à d’autres ordres, il avoue avoir pénétré avec beaucoup de facilité dans des cloîtres interdits au public.


La caméra de Kazemi a traversé les intérieurs des couvents, a figé dans son objectif le quotidien des religieuses. Photo Kaveh Kazemi


Les images de Kaveh Kazemi racontent leur propre histoire d'une manière que les mots ne peuvent exprimer. Elles représentent son expérience personnelle et sa vision, mais montrent surtout sa curiosité. À travers son objectif, ce photographe iranien a réussi à capturer des portraits uniques et engageants de personnes qui évoluent dans un monde différent du nôtre mais surtout du sien.

« Nuns » de Kaveh Kazemi

En vente à Beit el-Laffé,

Achrafieh, Beyrouth

Tél. : 961 3 676590

Comment photographier le silence et la solitude ? Comment reproduire en images le sacré, le recueillement dans la prière et rendre compte de la vie monastique qui propose un subtil agencement de la parole et du silence, où ce dernier est privilégié ? Kaveh Kazemi, photographe iranien né à Téhéran en 1952, a traversé les intérieurs des couvents, a figé dans son objectif le...

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