Critiques littéraires Bande dessinée

Beyrouth, partir ou rester

Beyrouth, partir ou rester

Joseph Safieddine a grandi en France dans une famille franco-libanaise. À tout juste 37 ans, il a déjà une carrière fournie de scénariste de bande dessinée, dont beaucoup de récits sont teintés de cette double-identité.

Cet ancrage familial au Liban, dans un pays en conflit, le fait d’en partir et d’y revenir, constitue la matière première de nombre de ses récits. On pense aux Lumières de Tyr, à Monsieur Coucou, à Je n’ai jamais connu la Guerre mais aussi au remarqué Yallah Bye. Il était venu présenter ces récits, il y a quelques années, lors d’une des dernières éditions du Salon du livre francophone de Beyrouth. Il sera présent cette année aussi, dans la seconde édition de ce qui est désormais le Festival Beyrouth Livres, aux côtés du dessinateur Cyril Doisneau, pour présenter leur nouvel album, toujours imprégné par le Liban, les départs et les retours : Les Fusibles.

Tout commence dans la jeunesse de trois personnages : Abel, Georges et Sarah. Liés par une amitié teintée par les troubles des premiers émois, ils grandissent dans une ville (qu’on devine libanaise). Là, ils font feu de tout bois : la situation difficile du pays, les remous sociaux, sécuritaires ou les coupures de courant seront prétexte pour eux pour s’imaginer en super-héros. Mais des super-héros d’un genre particulier qui se donnent pour mission de « sauver la ville » à leur hauteur, notamment à travers un geste simple, mais qui change le quotidien : relever les disjoncteurs de tous les immeubles du quartier lorsque l’électricité part, revient, et fait sauter les fusibles.

Le récit retrouve les deux garçons de la bande de longues années plus tard, alors que l’un a choisi de partir, l’autre de rester. Abel est installé dans un pays occidental, Georges, lui, malgré vents et marées, a poursuivi son chemin au pays. Les circonstances les mènent à se retrouver tantôt au pays d’adoption d’Abel, dont rêve parfois Georges, tantôt au pays natal, et chaque séquence met en évidence le trouble des binationaux ou de ceux qui voudraient l’être. L’envie de partir, puis la peur de revenir. L’attachement mais aussi le rejet. L’enthousiasme et l’exaspération. Tout cela teinté d’un mystère : qu’est-il advenu de Sarah, la troisième de la bande ?

Joseph Safieddine a développé une manière de raconter des récits forts à travers une narration toute en succession de scènes quotidiennes, de dialogues comme pris sur le vif. Un registre qu’il avait développé, avec son compère Thomas Cadène, sur les feuilletons Été et Fluide, déclinés en BD pensées pour les réseaux sociaux et en série télé. Au fond, la narration des Fusibles doit beaucoup à ce rythme où les scènes tirées de la vie s’enchaînent et construisent sur la longueur un récit dense et fort.

Le dessin de Cyril Doisneau propose un ton très affectif, qui donne, dès les premières scènes, le sentiment qu’Abel, Georges et Sarah pourraient être des amis. Sentiment qui doit aussi beaucoup aux couleurs d’Isabelle Merlet qui donnent à certaines séquences un caractère hors du temps qui va droit au cœur.

Les Fusibles de Joseph Safieddine et Cyril Doisneau, Dupuis, 2023, 176 p.

Joseph Safieddine a grandi en France dans une famille franco-libanaise. À tout juste 37 ans, il a déjà une carrière fournie de scénariste de bande dessinée, dont beaucoup de récits sont teintés de cette double-identité.Cet ancrage familial au Liban, dans un pays en conflit, le fait d’en partir et d’y revenir, constitue la matière première de nombre de ses récits. On pense aux...

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