Se croyant protégé contre toute sanction dans un pays où les pollueurs sont rarement inquiétés, A.K. et ses collaborateurs avaient pris l’habitude de brûler des pneus usagés sur les rives du Litani dans la Békaa, au niveau du village de Houch el-Harimé, afin d'en retirer le cuivre pour le vendre. Des vidéos parvenues à l’Office national du Litani, et que celui-ci a partagées avec la presse, montrent cette incinération sauvage dont se dégage une épaisse fumée noire. Les déchets qui en résultent, hautement toxiques, étaient alors jetés dans le fleuve, provoquant une triple pollution de l’air, du sol et de l’eau.
Cette action aurait pu passer inaperçue, si l’Office du Litani n'avait pas pris l'initiative de porter plainte auprès du parquet, en novembre 2022, après avoir constaté le crime environnemental en cours. À la suite de cette plainte et de l’enquête qui a suivi, A.K. a été arrêté. Le 19 juin, Amani Salamé, premier juge d’instruction dans la Békaa, a pris une décision peu commune, que L’Orient-Le Jour a pu consulter : le détenu « sera libéré contre une caution de trente millions de livres libanaises » et devra « assurer une activité de dépollution du fleuve à l’endroit où les pneus étaient incendiés, durant six heures de temps, supervisée par l’Office du Litani ».
Le président de l’Office du Litani, Sami Alawiyé, a confirmé mercredi à L’Orient-Le Jour que l’homme en question sera contacté juste après le congé de la fête de l’Adha afin qu’il exécute la décision judiciaire, sous la supervision d’une équipe qui sera envoyée par l’institution elle-même. « Nous allons lui demander non seulement de nettoyer le fleuve à l’endroit où il l’a pollué, mais d’y planter des arbres que nous avons pu acquérir grâce à des amendes payées par d’autres pollueurs », dit-il.
M. Alawiyé rappelle que le remplacement de peines de prison et/ou d’amendes par des travaux d’intérêt général, qui est commun dans d’autres pays, a été consacré au Liban par la loi 138/2012. « En tant qu’Office du Litani, nous avons contacté le ministre (sortant) de la Justice afin de lui communiquer notre intérêt pour ce que ce genre de décisions soit appliqué dans les cas des pollueurs du fleuve », dit-il.
Un effet dissuasif sans sanctions ?
Le haut cadre se dit confiant dans la portée de tels jugements, qui s'apparentent davantage à un service communautaire qu'à une pénalité pure et simple. « Aujourd’hui, nous souffrons de la dégradation écologique et de l’absence de conscience environnementale, affirme-t-il. Je pense que de pareils jugements permettent de faire d’une pierre deux coups : réparer le préjudice commis et modifier le comportement des pollueurs. »
Pense-t-il cependant que des comportements aussi ancrés dans les habitudes puissent être modifiés par de telles décisions ? « Il est certain que les travaux d’intérêt commun ne remplacent pas les pénalités, répond Sami Alawiyé. Il faut que de tels cas soient accompagnés d’une application plus stricte des lois. »
Josiane Yazbeck, experte en droit de l’environnement, se montre un peu plus sceptique, bien qu’elle qualifie la décision de la juge « d’audacieuse », les jugements pour des crimes environnementaux restent rares dans le pays. Elle s'interroge toutefois sur le bien-fondé de remplacer les sanctions par des travaux d’intérêt général dans un pays où les pénalités n’ont jamais été appliquées à la base. « Je comprends la nécessité de sensibiliser le pollueur à la gravité de ses actes, mais cela doit s’accompagner d’une sanction quelconque, même s’il s’agit d’une simple amende, afin que les mesures soient réellement dissuasives », estime-t-elle.
Josiane Yazbeck rappelle aussi que la réhabilitation des sites dégradés n’est pas une exigence nouvelle, puisqu’elle « est clairement mentionnée dans la loi 444/2002 sur la protection de l’environnement, dans les articles 51 et 52 », sans oublier les sanctions prévues dans le code de l’eau et le code pénal.
L’experte souligne cependant qu’« une décision de justice condamnant un crime environnemental est trop rare pour ne pas être relevée ». Pour sa part, Sami Alawiyé ne cache pas son espoir « que des décideurs fassent l’objet, un jour, de décisions similaires les obligeant à réparer la pollution qu’ils ont contribué à générer en accordant, à titre d’exemple, des permis à des industries polluantes ».
La sanction ici en l'occurrence travaux d'intérêt général n'est pas à confondre avec la punition pour la punition. La peine de mort n'a jamais dissuader de commettre des crimes. Le but ici est la réparation des dommages et de la sensibilisation de la personne qui a commis le délit à corriger son comportement. Ce qui n'est pas garanti par une peine de prison où la personne sort pire que au moment où elle y est rentrée.
00 h 10, le 30 juin 2023