Roi de l’improvisation, Halim el-Hakawati réinvente l’art du bla-bla

Traversant le public perché sur le toit de Zico House, Halim el-Hakawati s’élance sous les projecteurs de la scène du Studio Laban, accompagné par une fanfare assourdissante. Le conteur propose sporadiquement son spectacle, l’un des rares numéros d’improvisation de la scène artistique libanaise. Le dernier en date a eu lieu le 8 juin. Derrière sa chevelure coiffée d’une toque flamboyante et sa barbe épaisse, se cachent de nombreuses histoires qui brûlent d’être racontées à un public impatient. Vêtu d’une chemise et d’un gilet brodé, ce personnage captivant, interprété par Raffi Feghali, attire tous les regards. Il s’installe sur scène, où trône une chaise unique, et à peine son introduction commence-t-elle que les applaudissements enthousiastes éclatent, répondant à sa demande.

Halim el-Hakawati vient de briser, dès les premiers instants, le quatrième mur. Engageant un dialogue avec le public, il puise son inspiration dans leurs réponses pour poursuivre son récit, tiré d’un livre microscopique. « Mon but est de charmer les spectateurs en racontant des histoires drôles et à la portée de tout le monde. Tout le reste se déroule naturellement sur scène », explique Raffi Feghali à L’Orient-Le Jour. Cependant, ce n’est pas l’aspect le plus surprenant de la pièce ! En effet, un cinquième mur est brisé : celui qui sépare l’acteur, le musicien et l’opérateur lumière. Ainsi, le public fait connaissance avec Kareem et Saeed, qui portent une double casquette. Ils ne se contentent pas de jouer de la musique et de manipuler les lumières, mais ils interagissent également avec l’acteur et le public, contribuant ainsi à l’expérience immersive et unique de la pièce. Toutefois, le rôle de ces deux personnages n’est pas attribué à des acteurs permanents. Feghali révèle qu’ils changent en fonction du lieu où se joue la pièce : « Ils doivent être des spécialistes de l’improvisation et nous nous entraînons suffisamment avant le spectacle afin que je puisse leur donner des indications sur la manière d’intervenir durant la représentation. »

Réincarnation comique du « hakawati »

Quant aux histoires racontées par le personnage, elles se distinguent par leur nature dépourvue de but ou de sens précis. Elles se déploient dans un flux de paroles imprévisible, où l’attention est davantage portée sur le processus de narration et l’interaction avec le public que sur la recherche d’une conclusion logique. Mais même dans le cadre de l’improvisation, les histoires du conteur peuvent emprunter des chemins sinueux, abordant avec une approche comique des sujets provocants, tels que le harcèlement sexuel, entre autres. Feghali met en avant l’importance de la narration d’histoires et rappelle ses origines liées au hakawati, souvent oubliées. Cette réincarnation comique du hakawati, « convaincu d’être le meilleur malgré sa médiocrité apparente », avec une tendance « à rejeter la faute sur le public et à maltraiter ceux qui travaillent avec lui », représente-t-elle la meilleure manière de réintégrer cet art perdu dans la société contemporaine ?

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L’acteur admet que « depuis la première représentation, ce personnage évolue constamment : il y a encore du travail à faire. La pièce ne ressemblera pas à ce qu’elle est aujourd’hui dans quelques années. Ce qui est merveilleux, c’est que chaque représentation est unique et différente des autres. Ainsi, le public peut revenir à plusieurs reprises et assister à l’évolution de la pièce au fil du temps ».

Entre tradition et modernité

En effet, lorsque Raffi Feghali a commencé à jouer cette pièce, son approche initiale était davantage en accord avec celle du hakawati traditionnel. Sa représentation consistait en de brefs contes populaires issus du monde entier, liés au thème de la soirée et se terminant souvent sur un cliffhanger. Cependant, l’acteur avait une autre vision : il souhaitait « adapter ce personnage à l’époque moderne » et créer un conteur capable de s’épanouir dans notre système économique actuel. C’est ainsi qu’est né Halim, une création résultant de cette fusion entre tradition et modernité – un personnage doté d’un complexe d’infériorité et dont les histoires s’inspirent parfois de la vie même du performeur. « Halim possède ainsi de nombreuses caractéristiques qui lui sont propres, mais il incorpore également de nombreux éléments construits à partir de nos recherches sur la nature même du hakawati, sur son rôle et sur ce qu’il représenterait en 2023 », insiste Raffi Feghali.

Dans une société où l’attention est de plus en plus restreinte, où l’on est sollicité en permanence par les écrans et où l’on est assailli par un déluge d’informations, les courtes histoires de Halim el-Hakawati seraient-elles une façon astucieuse d’attirer et de divertir une génération où le temps est compté ?

Où et quand retrouver Raffi Feghali ?

Au mois d’août, il participera au Festival international du conte de Tumanyan en Arménie avec Anatomy of a Home, un monodrame autobiographique explorant le thème du départ de Beyrouth et de la recherche d’un nouveau foyer. Il emmènera cette pièce à Amsterdam, ainsi que son improvisation Halim el-Hakawati, en septembre. Le même mois, Raffi Feghali marquera ensuite son retour à Beyrouth avec Halim el-Hakawati au théâtre Monnot.En outre, l’acteur propose des ateliers ouverts à tous ceux qui souhaitent découvrir la discipline de l’improvisation théâtrale ou à ceux qui aspirent à devenir des artistes professionnels. La prochaine série d’ateliers aura lieu à Beyrouth en août. Pour obtenir plus d’informations sur ces représentations et les ateliers proposés par Raffi Feghali, n’hésitez pas à consulter son site web ou à le suivre sur les réseaux sociaux.https://raffifeghali.com/

https://www.instagram.com/raffifeghali/