Au Liban-Nord, les communautés libanaise et syrienne coexistent dans un équilibre délicat. En raison du conflit syrien, plus de 800 000 Syriens sont enregistrés comme réfugiés au Liban, soit le plus grand ratio par habitant au monde. L’équilibre entre les deux est toutefois menacé par des tensions croissantes, une tendance alimentée en partie par l’influence envahissante des réseaux sociaux.
D’une part, les réseaux sociaux renforcent les liens sociaux sur les plateformes numériques, facilitant ainsi l’accès à l’information. D’autre part, la prolifération des réseaux sociaux a entraîné une diffusion rapide d’informations erronées, de préjugés et de rhétorique xénophobe, creusant ainsi le fossé entre les communautés et exacerbant les désaccords confessionnels. Ces tensions sont alimentées par divers facteurs, notamment la concurrence économique, les divergences politiques et les griefs historiques.
Dans le cadre d’une étude réalisée par Triangle et soutenue par le programme Atlantic Fellows for Social and Economic Equity de la London School of Economics, nous avons tenté d’analyser la manière dont les réseaux sociaux sont utilisés par les communautés de réfugiés et d’accueil dans cinq districts du gouvernorat du Liban-Nord pour accéder à des biens primaires, des ressources et de l’information. Nous avons également comment les réseaux sociaux sont perçus à contribuer aux conflits intercommunautaires et intracommunautaires.
Faux récits et caisse de résonance
Notre étude – comprend 460 enquêtes et huit groupes de discussion – a montré que près des trois quarts des personnes interrogées estiment que les réseaux sociaux ont joué un rôle dans la création de cette discorde. Les participants libanais étaient légèrement plus susceptibles que les non-libanais de percevoir les réseaux sociaux comme facteur de tension.
Les participants aux groupes de discussion ont également signalé l’impact négatif des discours haineux et des fake-news – principalement propagés à travers les réseaux sociaux – sur la cohésion sociale au sein des communautés de réfugiés et d’accueil au Liban. Les Syriens ont illustré avec plusieurs exemples récents d’informations circulant sur les médias sociaux qui ont eu un impact négatif sur leur vie quotidienne.
En effet, le gouvernement libanais a déclaré à plusieurs reprises que l’accueil des réfugiés syriens mettait à rude épreuve les ressources publiques, telles que l’électricité, l’eau et le pain. Le récent plan des autorités libanaises visant à rapatrier de force les réfugiés syriens, ainsi que la séparation des files d’attente dans les boulangeries entre Syriens et Libanais, auraient contribué à attiser la discorde.
« En tant que syriens, nous avons parfois peur de sortir », a déclaré un homme résidant dans le quartier de Minieh-Dennieh, à l’est de Tripoli, la capitale du Liban-Nord, lors de l’un des groupes de discussion.
Le flux d’actualités des réseaux sociaux, régi par des algorithmes, a créé des caisses de résonance, où les utilisateurs ne sont exposés qu’à des contenus confirmant leurs croyances. Par conséquent, ils sont moins exposés à des perspectives diverses, perpétuant ainsi les attitudes négatives à l’égard de certains groupes.
La prévalence de la discrimination à laquelle sont confrontés les réfugiés syriens au sein de leurs communautés d’accueil souligne encore davantage les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Plus d’un tiers des Syriens interrogés dans le cadre de l’enquête ont déclaré avoir été victimes de discrimination en raison de leur pays d’origine. Au sein de ce groupe, 47 % ont déclaré que cela se produisait entre une et trois fois par an. Près d’un tiers des Syriens (31 %) et près de la moitié des Palestiniens ont déclaré être victimes de discrimination environ une fois par mois. A contrario, la majorité des Libanais (84 %) ont déclaré n’avoir jamais été victimes de discrimination, et ceux qui l’ont été ont précisé que cela était dû à leur appartenance religieuse ou confessionnelle (11 %).
Des disparités significatives ont été observées entre les zones urbaines et rurales. Par exemple, environ un tiers des personnes interrogées vivant dans les zones rurales ont déclaré avoir été victimes de discrimination au sein de leur communauté en raison de leur lieu d’origine. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’un plus grand nombre de répondants syriens déclarent résider dans des zones rurales.
Apaiser les tensions
L’impact de la désinformation propagée sur les réseaux sociaux rend difficile la promotion de la compréhension et de la collaboration entre les communautés. Pour y remédier, l’adoption d’une approche pluridimensionnelle est nécessaire.
Les programmes d’éducation aux médias, par exemple, peuvent aider les individus à évaluer de manière critique les informations et à identifier les faux récits, tandis que les initiatives d’engagement communautaire peuvent créer des opportunités de dialogue et de compréhension entre les différents groupes.
L’harmonie sociale entre les communautés d’accueil et les réfugiés au Liban nécessite un effort collectif pour aborder les causes profondes des tensions sociales et créer une société plus inclusive et plus compatissante. Une utilisation efficace des réseaux sociaux peut également jouer un rôle crucial dans cette entreprise, en favorisant un dialogue respectueux et en encouragent une meilleure compréhension et acceptation des différentes perspectives.
Ce texte est une traduction synthétique d'un article publié en anglais sur le site de la LSE.
Par Shaya Laughlin, chercheuse au laboratoire d’idées libanais Triangle.
Nizar Ghanem, directeur de recherches à Triangle.
Par Sami Halabi,directeur des politiques publiques à Triangle.
Article à proscrire ! À déchirer ! Calamiteux et nocif ! Néfaste et prenant les libanais pour des insectes !
13 h 58, le 12 juin 2023