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Merci, mais non merci


Un patriarche maronite hôte de la France n’est certes pas chose banale. Mais ce n’est guère non plus un événement exceptionnel, pas depuis qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, c’est le chef spirituel de cette communauté, l’indomptable père fondateur Élias Hoayek, qui prenait la tête d’une délégation s’en allant plaider, à la conférence de paix de Versailles, la cause du Grand Liban.

Secousses internes, révoltes, guerres civiles ou guerres tout court, invasions, occupations et maintenant blocage des institutions et effondrement financier : ce serait peu dire qu’en un peu plus d’un siècle d’existence, l’État libanais en a vu, plus qu’à son goût, des vertes et des pas mûres. À tous les coups cependant, c’est invariablement vers l’ancienne puissance mandataire (tendre mère ou bienveillante marraine pour d’aucuns, et colonisatrice repentie pour d’autres) que notre pays s’est tourné en priorité pour quêter – et obtenir – soutien et réconfort. À plus d’une occasion, nous aurons même parfois pressé la France d’en faire toujours davantage, d’intervenir carrément dans nos affaires intérieures déjà profanées, il est vrai, par mille mains étrangères ; ces singuliers appels à l’ingérence, il serait aussi futile qu’ingrat de les nier.

Or c’est loin d’être le cas cette fois ; c’est même le contraire qui arrive avec l’entretien qu’avait hier, avec le président Macron, le patriarche Béchara Boutros Raï ; voilà ce qui fait de cette rencontre une sorte de première. Sans bien sûr aller jusqu’à inviter Macron à se désintéresser carrément de la course à la présidence libanaise, le chef de l’Église maronite lui a très vraisemblablement conseillé avec insistance de changer de favori, en l’occurrence, et en dépit des dénégations répétées de Paris, le leader du Liban-Nord, Sleiman Frangié. Ce dernier est en effet le candidat déclaré du Hezbollah, comme l’a déjà fait valoir le prélat ; son éventuel accès à la suprême magistrature, charge dévolue aux chrétiens, est donc naturellement rejeté par la quasi-totalité des forces politiques relevant de cette communauté.

On peut présumer que dans l’intimité feutrée du palais de l’Élysée, le président Macron a protesté de ses bonnes intentions envers le Liban. Sans doute s’est-il vigoureusement défendu des motivations mercantiles (le réaménagement des ports de Beyrouth et de Tripoli, les gisements de gaz offshore) que certains prêtent à la fluctuante politique étrangère de la France. Peut-être a-t-il rappelé que la politique est seulement l’art du possible, et prêché à son pieux visiteur les vertus du réalisme, de la realpolitik, celle-là même pourtant qui, dans un passé récent, lui a valu de se voir reprocher une suspecte complaisance pour la milice pro-iranienne.

C’est ailleurs toutefois que pourrait funestement se situer le défaut de l’armure patriarcale. Car – techniquement parlant, du moins – le patriarche n’était toujours pas en mesure, hier, de décliner une quelconque candidature qui serait déjà officiellement, publiquement endossée par une opposition réellement unifiée. Édifiante est à ce sujet la valse-hésitation d’un Courant patriotique libre visiblement soucieux de s’assurer des gages pour l’avenir mais répugnant à défier de front le Hezbollah.

Pour finir, il me faut absolument en revenir à cet art du possible qu’est censée être la politique, comme le soutenait Gambetta. La lapidaire formule convient parfaitement pour l’action publique, toute en artifices, marchandages et transactions, telle qu’elle est hélas pratiquée chez nous. Mais vaut-elle vraiment pour ce qui est de la sauvegarde de ce pari fou, mais ô combien exaltant, que fut la création de notre pays dans sa configuration démographique et ses frontières actuelles ? Sans cesse déstabilisé, sinon remis en question, par la subversion étrangère, le Liban est, c’est bien vrai, le pays de l’improbable, voire de l’impossible. Mais c’est précisément pour cette raison qu’il mérite d’exister, de démentir les sournoises prédictions des faux prophètes.

Et puis, rappelez-vous, Monsieur le Président Macron, impossible n’est pas français. Et ça, nul besoin d’être empereur pour le croire.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Un patriarche maronite hôte de la France n’est certes pas chose banale. Mais ce n’est guère non plus un événement exceptionnel, pas depuis qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, c’est le chef spirituel de cette communauté, l’indomptable père fondateur Élias Hoayek, qui prenait la tête d’une délégation s’en allant plaider, à la conférence de paix de Versailles,...