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Double plongeon dans l’absurde

Saïda, Aramta : ici un odieux étalage de fanatisme religieux, et là une insolente fantasia milicienne. Les événements que viennent de vivre ces sites du Liban-Sud ne sont rien d’autre au fond que les deux faces d’une même monnaie. Fausse monnaie, on l’aura compris, grossière contrefaçon. Car l’une et l’autre des outrances qui y ont eu lieu sont la claire négation, le très explicite reniement de ce Liban uni dans sa pluralité, tel que l’ont voulu ses pères fondateurs ; tel que souhaite le voir perdurer tout patriote sincère, qu’il soit chrétien ou musulman.

Troisième ville du pays, chef-lieu du Liban-Sud, Saïda ainsi que les localités qui l’entourent ont une longue tradition de diversité confessionnelle. C’est pourtant sur la plage publique de l’antique Sidon que deux couples de baigneurs en tenue adéquate (donc nécessairement revêtus de maillot de bain !) se faisaient invectiver et même bousculer, le 14 mai, par des cheikhs escortés de dizaines de gros bras qui jugeaient indécent un accoutrement on ne peut plus standard pourtant. Dimanche dernier était rudement contrecarrée par les islamistes une manifestation de libéraux et de féministes. Le plus scandaleux cependant est la décision du conseil municipal de la ville, prise dans un bel accès de veulerie, d’interdire aux femmes le port du maillot.

Or Saïda n’est pas, que l’on sache, un coin d’Afghanistan. Libre aux puritains, intégristes et autres excités de réglementer à leur gré les sorties en bord de mer de leur famille. Là s’arrête cependant cette liberté, à supposer que c’en soit bien une. En aucun cas, par contre, ces bigots n’ont le droit d’imposer aux autres leurs rétrogrades options vestimentaires sur un site balnéaire ouvert à tous les citoyens. Entreprendre de le faire quand même, c’est porter un sérieux coup de canif au pacte national par lequel, au siècle dernier, adeptes de Jésus et de Mohammad s’engageaient à vivre ensemble. C’est se façonner un territoire à part, cela par la simple volonté d’hommes de religion ultraconservateurs, par veulerie et même lâcheté des édiles de la ville, et aussi par coupable laxisme d’une force publique qui a failli à sa mission, à savoir la protection des citoyens. C’est aller considérablement plus loin que cette large décentralisation administrative prévue certes par l’accord de Taëf, mais jamais même explorée. C’est surtout y aller en solo, à l’aventure, hors de tout franc et responsable dialogue entre chefs libanais sur la configuration future de leur minuscule arpent du bon Dieu.

Dans ce pays de toutes les susceptibilités qu’est le Liban, c’est en priorité à l’establishment politique musulman, et plus particulièrement sunnite, qu’il appartient de faire face à cette dérive. Or s’il faut applaudir à la vigoureuse réaction de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, lui-même natif de Saïda, on ne peut que déplorer la frilosité dont fait montre le pouvoir en place, lequel, par la bouche du ministre de l’Intérieur, a exprimé son attachement aux libertés mais en se gardant bien de contester la décision des autorités locales…

Mais passons à Aramta. Les manœuvres opérées par le Hezbollah aux alentours de cette localité ne semblent pas avoir impressionné outre mesure Israël, ce qui était pourtant leur objectif déclaré. Ces simulations guerrières étaient en revanche un magistral pied de nez à l’adresse du tout récent sommet arabe de Riyad, qui a proscrit toute activité des groupes armés échappant au contrôle des États. Elles étaient surtout un moyen de rappeler aux Libanais eux-mêmes que le climat de détente régionale instauré par les réconciliations saoudo-iranienne et arabo-syrienne n’affectait en rien la détermination du Hezbollah à conserver, quoi qu’il en coûte, son formidable arsenal. Et même à en user à nouveau contre des Libanais si cela s’avérait nécessaire pour convaincre une fois pour toutes les sceptiques. S’il a malheureusement choisi de faire l’impasse sur le scandale du maillot, le Premier ministre sortant n’a pu faire autrement que de rejeter toute action portant atteinte à la souveraineté de l’État; mais c’était seulement parce qu’il était pressé de questions par la coordinatrice de l’ONU, accourue aux nouvelles.

Entre nostalgies du Moyen Âge et frénésies guerrières, on s’est apparemment donné le mot pour plomber une saison touristique qui s’annonçait prometteuse. En attendant, nos hardis visiteurs étrangers pourront toujours s’essayer à résoudre la devinette du moment : du banal bikini ou du treillis léopard, lequel en définitive est le plus provocant ?

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Saïda, Aramta : ici un odieux étalage de fanatisme religieux, et là une insolente fantasia milicienne. Les événements que viennent de vivre ces sites du Liban-Sud ne sont rien d’autre au fond que les deux faces d’une même monnaie. Fausse monnaie, on l’aura compris, grossière contrefaçon. Car l’une et l’autre des outrances qui y ont eu lieu sont la claire négation, le très...