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L’infrarouge et le noir


Après l’interminable feuilleton de la vacance présidentielle, voilà que débarque en force, sur les pâles écrans de notre vie publique, une série à tiroirs promettant cette fois de tirer sur le genre polar.


Ce thriller politico-financier, il faut dire qu’on le voyait venir ; il y a déjà des mois, en effet, que le gouverneur de la Banque du Liban, soupçonné de corruption et de blanchiment d’argent, a de sérieux démêlés avec la justice, tant locale qu’européenne. En lançant contre lui un mandat d’arrêt international, une juge française mettait fin, il y a quelques jours, à une lassante alternance de dépositions et de défauts de comparution. Comme on sait, la balle vient d’être prestement saisie par Interpol, qui, en vertu d’une notice rouge, demande au Liban d’exécuter le mandat d’arrêt.


Pour prévisible qu’ait pu être le cours des événements, il n’a pas manqué de plonger la République dans la confusion. Après un moment de flottement, le Premier ministre sortant et le président de l’Assemblée, qui soutenaient à bout de bras le gouverneur, lui auraient discrètement fait savoir qu’il était grand temps pour lui de partir. Bien plus explicites ont été les ministres de la Justice puis de l’Intérieur, ce qui porte à croire que le gouvernement démissionnaire serait sur le point de trancher la question. Révocation ? Désignation d’un successeur? Voilà qui pose tout de même problème à un pouvoir exécutif astreint à vaquer aux seules affaires courantes, s’agissant en effet de la troisième fonction la plus haute réservée à une communauté maronite déjà orpheline de président. Le problème se double d’ailleurs du refus de l’intéressé de rendre son tablier avant l’expiration de son mandat, au motif que sa démission équivaudrait à un aveu de culpabilité.


Toujours est-il que du plaidoyer pro domo de Salamé, télévisé jeudi, les citoyens auront surtout retenu sa frustration de se voir l’objet de poursuites judiciaires sans que soient inquiétés les responsables politiques du pays. Sans évidemment préjuger du bien-fondé des charges retenues contre lui (montages financiers délictueux, détournement de fonds publics, évasion fiscale, etc.), cette plainte revêt en effet l’allure d’une mise en garde, voire d’un ultimatum. Car, du fait même qu’il a détenu, des décennies durant, les cordons de la Bourse étatique, cet homme est le dépositaire de tous les noirs secrets d’une république pourrie jusqu’à la moelle. Il est le comptable des innombrables irrégularités et prévarications commises par une bonne part de l’establishment pour s’enrichir aux dépens du peuple. Dûment consignés et répertoriés, vraisemblablement placés en lieu sûr, ces documents sont pour Salamé une véritable police d’assurance : et même une assurance-vie, renchérissent d’aucuns. Du moment que l’on parle de cette notice écarlate émise par Interpol, c’est donc à l’infrarouge – ce rayon électromagnétique invisible à l’œil mais qui permet de reconfigurer l’objectif – que s’en remet désormais le patron déchu de la BDL, dans un pays peu porté sur l’extradition et où, de toute manière, la justice est bafouée de toutes parts. C’est d’ailleurs cette même menace de tout déballer, d’en entraîner plus d’un dans sa chute, qui pourra donner quelque piquant au nouveau feuilleton …


C’est sur les rayons X qu’il faut en revanche se rabattre pour discerner les retombées qu’aura sur notre pays le sommet arabe de Djeddah. Si le revenant Bachar el-Assad y a tenu la vedette (un moment ravie par l’Ukrainien Zelensky), le Liban s’est vu inviter par les congressistes à accomplir sagement ses devoirs constitutionnels en se dotant enfin d’un chef de l’État ; quant à l’assistance financière d’urgence sollicitée par la délégation libanaise, elle n’était qu’un de ces mirages du désert.


C’est bien beau et émouvant, tout de même, la concorde retrouvée au sein de la grande famille arabe !

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Après l’interminable feuilleton de la vacance présidentielle, voilà que débarque en force, sur les pâles écrans de notre vie publique, une série à tiroirs promettant cette fois de tirer sur le genre polar. Ce thriller politico-financier, il faut dire qu’on le voyait venir ; il y a déjà des mois, en effet, que le gouverneur de la Banque du Liban, soupçonné de corruption et de...