Le suspense aura duré tout le long de la journée. C’est à 17 heures que la décision tant attendue par les uns, appréhendée par les autres, est tombée : Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban visé par plusieurs procédures judiciaires locales et à l’extérieur, fait désormais l’objet d’un mandat d’arrêt international, délivré par la juge d’instruction française Aude Buresi, chargée de l’enquête sur le patrimoine européen du gouverneur. La décision est survenue après son refus de se présenter à un interrogatoire à Paris.Si les pourfendeurs du patron de la BDL, et à leur tête le Courant patriotique libre, qui mène depuis des années une campagne contre M. Salamé, se réjouissent de ce développement, d’autres partis, en l’occurrence le Hezbollah et Amal, ont préféré se terrer dans le silence, alors que les Forces libanaises ont commenté l’affaire en choisissant très prudemment leurs mots. Les députés de la contestation et les Kataëb ont, pour leur part, appelé à démettre immédiatement le gouverneur de ses fonctions. Pour le CPL, c’est sans le moindre doute une victoire qui vient à point. Le mandat d’arrêt contre le gouverneur lui a été servi sur un plateau d’argent alors qu’il avait fait de son hostilité au gouverneur son cheval de bataille depuis le soulèvement d’octobre 2019, lui faisant assumer une grande part de responsabilité dans l’effondrement du pays.
D’ores et déjà, le CPL cherche donc à investir ce développement en politique. « Le mandat d’arrêt international émis à l’encontre de Riad Salamé constitue un tournant important dans la lutte contre la corruption », estime la formation aouniste dans un communiqué à l’issue de sa réunion hebdomadaire. « La messe est dite », tweete Simon Abi Ramia, député CPL de Jbeil. Ancien député du bloc du Liban fort et fidèle du patron du CPL Gebran Bassil, Eddy Maalouf se plaît à reprendre des propos du Premier ministre sortant, Nagib Mikati, qui, en 2021, avait dit, en évoquant la mise à l’écart de M. Salamé à l’époque : « On ne change pas de capitaine en pleine tempête. » Sauf que la position de M. Mikati a évolué depuis. Le 11 mai, il déclarait à L’Orient-Le Jour qu’il était prêt à tenir un Conseil des ministres pour désigner un successeur à Salamé.
Pour les Forces libanaises, la situation est plus délicate. Tout d’abord « le processus judiciaire est en cours, puisque M. Salamé va contester cette décision », commente Ghassan Hasbani, député FL de Beyrouth. Il préconise une « séparation claire entre la personne du gouverneur et sa position, de sorte à préserver les droits de l’État libanais à récupérer les fonds dilapidés et à sauvegarder la BDL ». « Ce qui nous inquiète au plus haut point est l’instrumentalisation de ce mandat d’arrêt en politique par différentes parties », ajoute-t-il.
Une heure à peine après l’annonce de la décision de la juge Buresi, le parti Kataëb a publié un communiqué dans lequel il réclame une mise à l’écart immédiate du gouverneur. « Les poursuites engagées contre Riad Salamé rendent son maintien à ses fonctions (à la tête de la BDL) inacceptable et supposent sa démission immédiate. Toute autre solution serait une nouvelle humiliation pour le peuple libanais qui a été la première victime de ses crimes financiers, commis en complicité avec des personnalités influentes. » Le parti lance ainsi un appel aux autorités judiciaires libanaises pour « faire immédiatement respecter les lois et cesser d’obstruer le cours de la justice ».
Dans les milieux des députés de la contestation, la décision de la juge Buresi est vivement applaudie. « Nous étions conscients du parcours de M. Salamé entaché de corruption et de sa mauvaise gestion et attendions depuis longtemps que justice soit rendue. Malheureusement, c’est la justice étrangère et non libanaise qui a été la première à sanctionner ses malversations », commente l’un de ces députés, Ibrahim Mneimné. Selon lui, la prochaine mesure à prendre sera une question adressée au gouvernement par les parlementaires pour comprendre « pourquoi M. Salamé, qui aurait dû être démis de ses fonctions du seul fait des soupçons qui pesaient sur lui depuis un certain temps déjà, est toujours en poste ».
À son tour, le député Mark Daou a invité, dans un tweet, le gouverneur de la BDL « à démissionner sur-le-champ pour sauvegarder les institutions et préserver leur prestige ».
Contacté, le Hezbollah a préféré ne pas répondre pour le moment, soulignant qu’il aura probablement une position dans les prochaines heures. Quant au premier conseiller du chef du Parlement Nabih Berry, réputé pour sa proximité du gouverneur, il était hier injoignable.
Il est peut-être un peu tôt pour crier victoire tant les caciques qui ont profité de ses largesses et continuent de le protéger ont les racines profondes dans les hautes sphères de l'État et il risque de les entrainer tous dans sa chute. Le vrai problème maintenant est combien durera cette attente!
13 h 05, le 17 mai 2023