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Idées - Commentaire

La guerre des généraux menace l’avenir du Soudan et ses voisins

La guerre des généraux menace l’avenir du Soudan et ses voisins

Photo d’illustration : de la fumée s’échappant de la capitale soudanaise Khartoum, théâtre de violents combats depuis bientôt trois semaines, le 4 mai. Photo AFP

Depuis la mi-avril, les combats entre les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel-Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammad Hamdan Dagalo (dit Hemetti) ont fait plus de 700 morts et plus de 5 000 blessés à travers le Soudan, en particulier à Khartoum. La lutte pour le pouvoir entre le chef du Conseil de souveraineté transitoire – mis en place suite au coup d’État de 2019 contre l’ancien président Omar el-Bachir – et son second est multidimensionnelle.

Lors des dernières années du règne de Bachir, l’alliance entre les hauts gradés de l’armée et les islamistes qui a prévalu pendant trois décennies a vu son équilibre pencher vers les premiers. Et au sein de cette armée, la concurrence entre les deux généraux est apparue dès le début de leur rôle dans l’ère post-Bachir. Burhane appartient à une institution formelle, dont les dirigeants visibles sont pour la plupart originaires du centre du Soudan – l’État du Nord et Khartoum –, tandis que Hemetti dirige une milice périphérique fondée il y a seulement deux décennies pour combattre une rébellion au Darfour. Les tensions entre les FAS et les FSR ont été la principale raison de l’échec de leur coup d’État d’octobre 2021 contre le gouvernement civil dirigé par Abdallah Hamdok, qui sera rétabli peu après sous la pression internationale, mais ne tiendra que jusqu’en janvier 2022, dans un contexte de tensions avec l’armée et de protestations croissantes dans la rue. Néanmoins, les généraux ont maintenu leur alliance pour repousser les demandes croissantes du mouvement de protestation après ce coup de force. L’une des premières demandes des négociateurs de l’opposition, représentée par les Forces de la liberté et du changement (FLC), était que les FSR fusionnent avec les FAS conformément à l’accord-cadre de décembre 2022. Mais tandis que les FAS souhaitaient une période de transition de deux ans, les FSR souhaitaient la prolonger à une dizaine d’années, compte tenu de ce que cela signifiait pour l’influence de Hemetti dans le pays. Cette divergence en termes de calendrier a aggravé les tensions entre les deux parties.

Le rôle des islamistes constitue un autre aspect du conflit actuel. Les membres des FLC ont fait part de leur inquiétude quant à leur retour au pouvoir dans un contexte où certains d’entre eux semblent prêts à prendre les armes avec l’aide de l’armée. Récemment, des dirigeants de l’ancien régime ont été libérés de la prison de Kober à Khartoum, les FSR et les FAS s’accusant mutuellement de l’opération. Or, l’une des personnes libérées est Ahmad Haroun, un leader du mouvement islamiste et l’un des principaux anciens alliés de Bachir, recherché par la Cour pénale internationale. Un message audio pro-FAS qu’il a enregistré a été largement diffusé, renforçant les craintes d’un retour des islamistes.

Changement majeur

Une troisième dimension de la lutte entre les deux généraux découle de leurs origines. Hemetti est originaire de la région marginalisée du Darfour, à l’ouest du pays, tandis que Burhane est originaire de la ville de Gandatu, au Nord, qui a dominé la politique soudanaise pendant des décennies. Bien que les FSR, autrefois connues sous le nom de milice Janjawid, aient été créées pour aider à réprimer les groupes rebelles du Darfour, ses contingents ont été recrutés au sein de tribus qui partageaient une marginalisation similaire. La quête de pouvoir de Hemetti dans la capitale constitue un changement majeur dans un statu quo vieux d’un siècle. Son influence sur Burhane reposera en fin de compte sur la capacité de ses forces à surmonter la puissance de feu supérieure des FAS dans un environnement urbain. La détérioration de la situation humanitaire et la pression internationale sont à son avantage, car, plus longtemps il pourra se maintenir à Khartoum, plus il aura de chances de s’imposer à la table des négociations. D’un autre côté, si les FAS le poussaient hors de la capitale, Hemetti pourrait mobiliser les tribus arabes du Darfour et d’ailleurs, avec un risque sur l’unité du pays.

Les combats vont également à l’encontre du mouvement de protestation soudanais, qui a d’abord été mené par l’Association des professionnels soudanais puis par les comités de résistance locaux. Les manifestations ont contraint le Conseil de souveraineté transitoire à accepter un accord de transition après son coup d’État contre Hamdok. Toutefois, en raison des combats qui se déroulent aujourd’hui à Khartoum, le mouvement de protestation, déjà affaibli, perdra probablement de son élan et de sa capacité à mettre en œuvre des réformes. En effet, tout règlement futur pourrait bien se traduire par un accord de partage du pouvoir entre l’armée soudanaise, les FSR et leurs acolytes civils.

Cette issue pourrait définir le paysage politique du Soudan compte tenu du déplacement d’un grand nombre de civils. En outre, le conflit en cours pourrait créer une incertitude quant aux différents processus visant à mettre fin aux rébellions armées dans le pays. Ces processus faisaient également partie de l’accord-cadre. Maintenant que la situation s’est complètement transformée dans le pays, il n’est pas certain que ces processus de paix soient finalement mis en œuvre. Il est plus probable qu’ils échouent, comme tous les accords de transition précédents.

Dimension régionale

Enfin, le conflit revêt une dimension régionale. L’Égypte soutient l’armée soudanaise, tandis que les FSR seraient soutenues par un certain nombre d’acteurs régionaux, dont les Émirats arabes unis, le commandant de l’armée nationale libyenne, le maréchal Khalifa Haftar et le groupe Wagner russe.

Si les deux hommes poursuivaient leur affrontement militaire, leur emprise sur le pouvoir pourrait toutefois se relâcher, et d’autres acteurs militaires, qu’il s’agisse de groupes rebelles existant dans les provinces ou de nouveaux groupes, pourraient intensifier la violence, entraînant des déplacements de population plus importants. Avant le conflit actuel, le Soudan comptait déjà 1,1 million de réfugiés et 2,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les combats, qui ont déjà provoqué une vague importante de déplacements à partir de Khartoum et mis hors service 60 % des centres de santé de la capitale, pourraient rapidement provoquer une crise humanitaire majeure ayant des répercussions régionales.

Toute intervention politique internationale devrait prendre en considération la nécessité de rétablir l’équilibre sur la scène politique soudanaise. Cela signifie qu’il faut mettre en œuvre une transition plus inclusive, qui donne plus de pouvoir et élargit la représentation civile. Faire pression sur les acteurs régionaux pour qu’ils s’engagent de manière constructive dans le processus contribuerait également à ouvrir la voie à une paix plus durable. Faute de quoi, s’installerait une instabilité durable qui pourrait ensuite s’étendre aux pays voisins.

Ce texte est disponible en anglais sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.

Ali AL, Enseignant en droit islamique à la School of Oriental and African Studies (SOAS, Londres).

Mohanad HAGE AL, Chercheur et directeur de la communication du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center.

Depuis la mi-avril, les combats entre les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel-Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammad Hamdan Dagalo (dit Hemetti) ont fait plus de 700 morts et plus de 5 000 blessés à travers le Soudan, en particulier à Khartoum. La lutte pour le pouvoir entre le chef du Conseil de souveraineté...

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