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Moyen-Orient - TURQUIE

À la veille des élections, Erdogan déploie ses dernières cartes

Fragilisé par une économie en berne, une mauvaise gestion du séisme et un adversaire à la tête d’une large coalition, le président, qui brigue un troisième mandat, capitalise sur ses acquis et multiplie les déclarations clinquantes pour séduire les électeurs turcs.

À la veille des élections, Erdogan déploie ses dernières cartes

Recep Tayyip Erdogan se présente pour la troisième fois à l’élection présidentielle de son pays, le 14 mai courant. Photo AFP

L’industrie militaire est la success story de ses 20 ans au pouvoir, et il aime le rappeler, surtout en période électorale. Lundi 1er mai, Recep Tayyip Erdogan a dévoilé le nom du nouvel avion de combat de l’armée turque, Kaan, qui signifie le roi des rois, en service depuis mars. Ce chasseur de cinquième génération made in Türkiye doit remplacer la flotte vieillissante de F-16 américains. « Grâce à cet avion, la Turquie deviendra l’un des cinq pays disposant de ce type de technologie », s’est félicité le chef de l’État lors d’un événement organisé par l’Industrie aérospatiale turque (TAI), à Ankara.

Le florissant secteur de la défense a rapporté plus de 4 milliards de dollars à la Turquie en 2022. Le drone TB2 Bayraktar est devenu symbole de victoire grâce à ses succès en Ukraine, après avoir été utilisé en Syrie, en Libye et au Haut-Karabakh. En écho à cette fierté, Ankara a dévoilé le 10 avril son premier porte-drones, le TCG Anadolu. Long de 231 mètres, il peut accueillir dix hélicoptères ou onze drones de combat sur son pont d’envol.

Éclairage

Poutine affiche son penchant pour Erdogan avant les élections turques

« Erdogan, qui se présente à son électorat comme le père de la Turquie, joue sur la fibre nationaliste, qui se matérialise en particulier par toute sa propagande autour de l’industrie militaire, observe Jana Jabbour, spécialiste de la Turquie et enseignante à Sciences Po Paris. Ce secteur a contribué à la souveraineté et à l’indépendance du pays sur la scène internationale, ce qui est très bien perçu par la population. »

Dans la même veine, le chef de l’État a récemment annoncé la mort du « chef présumé de Daech, nom de code Abou Hussein al-Qourachi », « neutralisé » le 29 avril en Syrie dans une opération des services de renseignements turcs (MIT). Selon l’agence Anadolu, le leader jihadiste a déclenché sa ceinture d’explosifs après que les forces turques ont fait exploser les murs latéraux et les portes arrière de la maison. Si les États-Unis ont par la suite déclaré que c’était un autre membre senior du groupe État islamique (EI) qui avait été tué, l’annonce du président turc indique néanmoins qu’il a à cœur de se positionner comme un acteur indispensable de la lutte antiterroriste.

La Turquie, longtemps critiquée pour la porosité de sa frontière qui a permis à des combattants du monde entier de rejoindre le califat autoproclamé, a finalement lancé des opérations anti-EI en Syrie à partir de 2015. En janvier, elle a mené des actions conjointes avec les États-Unis contre un réseau financier clé du groupe terroriste.

Victoires successives de l’AKP

Des arguments de taille pour détourner l’attention des faiblesses du président-candidat dans sa course à l’élection du 14 mai. Distancé fin mars par le principal candidat d’opposition Kemal Kiliçdaroglu crédité alors de 55,6 % des votes (Aksoy Research), le chef de l’État a pourtant réussi depuis à resserrer l’écart dans l’opinion publique. Dans un nouveau sondage de TEAM, les intentions de vote pour le candidat d’opposition sont retombées à 47,4 %, contre 44,4 % pour Erdogan. Si le président a rattrapé son retard, il lui reste encore des points à gagner.

La gestion du séisme du 6 février (44.374 morts en Turquie) a été catastrophique à ses débuts, l’aide peinant à atteindre certaines régions sinistrées. L’économie est en berne, marquée par un taux de chômage élevé, une dévaluation de la livre turque et une inflation explosive. Bien que retombée à 43,68 % en avril selon des chiffres officiels, l’inflation annuelle avait atteint 85,5 % en octobre, un record en 24 ans. « Le développement économique de la Turquie a toujours été un facteur des victoires électorales successives de l’AKP (parti d’Erdogan), car les gens, islamistes ou pas, ont continué à voter pour lui pendant deux décennies parce qu’ils ont vu leur niveau de vie s’améliorer, souligne Jana Jabbour. La question économique est aujourd’hui vraiment le point faible d’Erdogan. »


Le plus grand gisement de l’histoire

Alors, pour consolider sa base conservatrice, le président brandit l’épouvantail LGBT, communautés victimes de discrimination croissante ces dernières années. « Aucun LGBT ne peut être le produit de cette nation ! » a-t-il fulminé samedi au cours d’un meeting à Izmir. Et face à son électorat nationaliste, il utilise l’appartenance alévie revendiquée par son principal rival Kemal Kiliçdaroglu, leader du CHP, comparant cette minorité religieuse à des animaux. « Nous avons également du respect pour les alévis. Nous respectons toutes les espèces », a-t-il lâché lors d’un discours dimanche à Ankara.

Mais pour ratisser plus large et conjurer la morosité économique, le président-candidat multiplie les promesses de soutien aux ménages. Indemnités de 100 000 livres turques (5 134 dollars) pour les besoins urgents des victimes du tremblement de terre, gratuité du gaz naturel pendant un an… Dans cet esprit, le chef de l’État enchaîne les déclarations de « bonnes nouvelles fraîches », comme ce mardi 2 mai où il a annoncé la découverte de « réserves de pétrole d’une capacité de production de 100 000 barils par jour à Cudi et Gabar », au sud-est de la Turquie.

Récit

Erdogan et les Kurdes, histoire d’une trahison

Moins de deux semaines plus tôt, le 20 avril, le reïs a inauguré le début de la production de gaz du site de Sakarya, en mer Noire, qu’il avait une fois présenté comme « le plus grand gisement de gaz naturel de l’histoire ». Celui-ci doit d’abord produire 10 millions de mètres cubes de gaz par jour puis quatre fois plus d’ici à quatre ou cinq ans. Le tout accompagné d’une promesse d’indépendance énergétique de la Turquie et d’une baisse à terme des factures de gaz qui ont augmenté de 164 % pour les particuliers en 2022. « La crise a fait disparaître la classe moyenne en Turquie, donc il vise la classe moyenne-basse ou les catégories plus défavorisées, analyse Didem Isci Kuru, assistante de recherche à l’Université des sciences sociales d’Ankara. Les gens se diront peut-être que malgré les conditions difficiles, Erdogan fait quelque chose pour eux. »

Reste néanmoins à régler aussi la question du retour des 3,6 millions de réfugiés syriens, préoccupation majeure de l’électorat turc sur fond de crise économique. Malgré leur aversion réciproque, Recep Tayyip Erdogan et Bachar el-Assad ont montré des signes de rapprochement ces derniers temps, encouragés par Vladimir Poutine. Les ministres turc et syrien des Affaires étrangères devraient ainsi se rencontrer à Moscou dans les jours qui viennent. « Erdogan espère que son rôle de vedette dans la diplomatie mondiale, notamment en aidant à négocier l’initiative céréalière russo-ukrainienne de la mer Noire l’année dernière, convaincra les électeurs qu’il est celui qui négocie le retour des réfugiés syriens, qui ont pesé sur l’économie turque », écrit le politologue Andrew Parasiliti sur le site Al-Monitor. Une autre façon pour le reïs de placer la Turquie, et sa propre personne, au centre du jeu diplomatique régional.

Malgré tous les efforts déployés, une inconnue demeure toutefois pour les élections du 14 mai : les 9 millions de jeunes de 18 ans qui voteront pour la première fois. Et qui perçoivent l’AKP comme « assez oppressif, qui ne laisse pas de marge de manœuvre à la liberté d’expression », avance Jana Jabbour. « Le fait qu’ils ne soient pas pro-AKP ne veut pas dire qu’ils vont nécessairement voter pour l’opposition. »

L’industrie militaire est la success story de ses 20 ans au pouvoir, et il aime le rappeler, surtout en période électorale. Lundi 1er mai, Recep Tayyip Erdogan a dévoilé le nom du nouvel avion de combat de l’armée turque, Kaan, qui signifie le roi des rois, en service depuis mars. Ce chasseur de cinquième génération made in Türkiye doit remplacer la flotte vieillissante de...

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Vous allez un peu trop vite dans ces analyses ...

Chucri Abboud

17 h 21, le 12 mai 2023

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  • Vous allez un peu trop vite dans ces analyses ...

    Chucri Abboud

    17 h 21, le 12 mai 2023

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