Seconde journée marathon d’entretiens politiques et un même message : l’Arabie saoudite ne s’ingère pas dans la question souveraine de la présidentielle libanaise et avalisera l’élection d’un chef de l’État qui serait le fruit d’une entente locale. C’est par cette constante que se résume la tournée de l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Beyrouth, Walid Boukhari, auprès des chefs de file politiques, alors que le camp du Hezbollah semble parier sur un feu vert de dernière minute de la part de Riyad pour propulser son candidat, le chef des Marada, Sleiman Frangié, à Baabda, malgré l’opposition de l’écrasante majorité chrétienne.
Le diplomate saoudien a poursuivi hier ses réunions pour la seconde journée consécutive avec les pôles politiques et religieux. Il s’est rendu d’abord à Bkerké où il s’est entretenu avec le patriarche maronite, Béchara Raï. À sa sortie, l’ambassadeur n’a fait aucune déclaration à la presse. C’est le porte-parole du patriarcat maronite, Walid Ghayad, qui s’est chargé de communiquer à la presse quelques détails de la réunion. « Le royaume considère que l’échéance présidentielle est une affaire souveraine libanaise et que les décisions doivent être prises à Beyrouth. Il n’a aucune objection à l’encontre de n’importe quel candidat qui obtiendrait la confiance des Libanais », a rapporté M. Ghayad. Et d’ajouter : « Le royaume est soucieux de ne pas être accusé de bloquer l’échéance. Il n’oppose donc de veto à aucune figure capable d’obtenir la confiance des Libanais, ne soutient pas un candidat en particulier et refuse de se laisser entraîner dans les affaires internes libanaises. » Selon M. Ghayad, Walid Boukhari a salué « les efforts du patriarche Raï en vue d’une entente à même de mettre fin à la vacance à la tête de l’État ». Des propos qui interviennent un mois après une retraite spirituelle qui avait rassemblé une cinquantaine de députés chrétiens (de tous bords politiques) sous la houlette du chef de l’Église maronite. Ce dernier va-t-il mettre à profit les déclarations de M. Boukhari pour relancer un chantier de dialogue interchrétien, alors que les partis de la communauté n’arrivent pas à accorder leurs violons ? « Il n’y a pas de nouvelle initiative. Mais Mgr Raï poursuivra ses contacts pour arriver à une entente autour de quelques noms », affirme Walid Ghayad à L’Orient-Le Jour.
« Le royaume ne nous a rien demandé »
L’ambassadeur saoudien s’est également entretenu hier avec le vice-président du Conseil supérieur chiite, cheikh Ali Khatib, ainsi qu’avec le chef des Kataëb, Samy Gemayel, au siège du parti à Saïfi. Là aussi, le diplomate a réitéré la position officielle de Riyad : oui à tout président fruit d’une entente libanaise, affirme-t-on dans l’entourage de Samy Gemayel. Ce dernier a réitéré, à l’issue de son aparté avec M. Boukhari, son opposition à la candidature de Sleiman Frangié. « Nous refusons l’élection d’un candidat affilié au Hezbollah. Et assurer le quorum à une séance parlementaire qui déboucherait sur un tel résultat, c’est en quelque sorte élire ce candidat », a-t-il averti, brandissant de nouveau l’arme de défaut de quorum mise sur la table par l’opposition depuis plusieurs semaines. « Nous ne demandons pas de remplacer M. Frangié par quelqu’un d’autre. Car notre position n’est pas liée à sa personne, mais au choix politique qu’il incarne », a expliqué le chef des Kataëb, affirmant que « l’important, c’est d’éviter une réédition des six dernières années ». « Nous n’accepterons pas que le Hezbollah nous impose sa volonté. S’ils (le Hezbollah et ses satellites) comptent continuer à torpiller les séances au moyen du défaut de quorum jusqu’à ce qu’ils imposent leur candidat aux députés, il est de notre droit de faire de même pour l’empêcher de mettre de nouveau la main sur le pays », a encore lancé le leader des Kataëb, qui s’est également entretenu avec Ghassan Skaff, député de la Békaa-Ouest, qui mène des contacts avec les opposants en vue d’arriver à un accord sur une candidature commune face à celle du leader des Marada. Samy Gemayel a par la même occasion tenu à préciser que l’ambassadeur saoudien n’a fait aucune pression sur les alliés locaux de Riyad : « Le royaume ne nous a rien demandé. D’ailleurs, nous ne recevons de directive de personne. Nos prises de position sont issues de nos convictions. »
Ce même son de cloche prévaut à Meerab où le chef des Forces libanaises Samir Geagea, plus grand allié des Saoudiens, avait reçu mercredi soir Walid Boukhari. « Nous agissons conformément à nos convictions, loin de tous les diktats », affirme Pierre Bou Assi, député FL de Baabda, présent à la réunion. Selon lui, le diplomate saoudien est venu transmettre un message clair : Riyad refuse de s’ingérer dans la question de la présidentielle et encourage la relance des institutions et les chantiers de redressement économique et social. De son côté, Samir Geagea a exposé devant son hôte la vision des FL. « Nous n’allons pas permettre à la moumanaa de mener son candidat à Baabda », affirme le porte-parole du parti, Charles Jabbour. À ses yeux, l’important, c’est que les propos de Walid Boukhari « ont coupé l’herbe sous le pied au 8 Mars qui pariait sur un revirement de dernière minute de la part de l’Arabie saoudite qui se traduirait par une demande à ses alliés de rejoindre le cortège Frangié », dit-il, dans une pique au président de la Chambre Nabih Berry, dont les milieux se disent « très optimistes » depuis l’entretien avec l’ambassadeur saoudien.
Hier, le chef des FL s’est également réuni avec l’ambassadrice des États-Unis à Beyrouth, Dorothy Shea. « Il est temps de convoquer le Parlement pour qu’il accomplisse sa mission, à savoir l’élection d’un président le plus rapidement possible », a-t-il dit, estimant que le candidat de la moumanaa « n’a plus aucune chance » de gagner la course. D’après des informations obtenues par L’OLJ auprès d’un proche de Aïn el-Tiné, M. Berry ne partage pas cette lecture et serait même sur le point de convoquer les députés à une nouvelle séance parlementaire. En vue d’élire... Sleiman Frangié ?
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LA LIBRE EXPRESSION
17 h 45, le 05 mai 2023