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Culture - Les recommandations culturelles de « L’OLJ »

Huit expositions, et leurs histoires, à découvrir en mai à Beyrouth

État de crise ou pas, les artistes libanais ne chôment pas. Pour le grand bonheur de leurs galeristes comme d’un public toujours croissant d’amateurs d’art. À ceux pour qui la beauté d’une toile, sa poésie, sa pertinence ou son impertinence même réparent un peu l’actuelle laideur des temps, la visite de ces 8 expositions, alliant riches narratifs et maîtrise des techniques, est vivement recommandée.

Huit expositions, et leurs histoires, à découvrir en mai à Beyrouth

Une huile de l’exposition « Breaking Point » de Hannibal Srouji. Photo DR

-Hannibal Srouji, trente ans plus tard, retour au point de départ

En 1991, Hannibal Srouji revient pour la première fois au Liban, après seize années passées à l’étranger. Une courte visite au cours de laquelle il perçoit « cet état de stupeur et de temps suspendu », dit-il, dans lequel se trouvaient ses compatriotes, propulsés du jour au lendemain d’un terrain de combat à un pays en paix. De retour à Paris, où il résidait alors, l’artiste débutant se lance dans une série de peintures à l’huile symbolisant cet état temporel et mental entre « explosions » passées et « éclosions » espérées…Une atmosphère générale qu’il transcrit au moyen de larges et dynamiques coups de pinceau dans de grandes toiles abstraites reflétant ce métissage d’énergies vitales ascendantes et de particules de violence qui enveloppent, lui semble-t-il, le Liban au sortir de la guerre.

Trente ans plus tard, celui qui est devenu un peintre établi, connu et plébiscité pour ses toiles-horizons largement marquées au feu de la mémoire, revient vers ces œuvres anciennes. Non pas avec le regard de la nostalgie mais avec l’étonnement d’y retrouver une sorte de résumé pictural d’une histoire contemporaine libanaise qui se répète.

Et s’il a jugé nécessaire de les présenter au public, dans une exposition baptisée « Breaking Point » et qui se tient jusqu’au 28 mai à la galerie Janine Rubeiz, à Raouché, c’est parce que trois décennies et une terrible et criminelle double explosion plus tard, revoilà le Liban ramené au même « Point de rupture » (pour reprendre le titre de l’exposition) et les Libanais emportés dans ce même état de suspension, entre sempiternelles menaces d’explosions et éternel désir d’éclosions de lendemains meilleurs…

Une œuvre à double face de Shawki Youssef. Photo Z.Z.


-Shawki Youssef, peintre des écorchures et du désarroi

On connaissait les corps écorchés dégageant une violence acide de Shawki Youssef. Ces représentations explosives et viscérales que cet artiste avant-gardiste et exigeant jetait à la figure du spectateur, comme une bête donnée en pâture pour l’amener à déchiffrer et trouver un sens aux traumatismes du monde. Cette fois, ce sont des œuvres d’une totale abstraction qui donnent une impression de territoires et de cartographies qu’il présente au sein du grand espace Saleh Barakat, jusqu’au 3 juin, à Clemenceau. Un travail profond, complexe, tout en strates et frottages de peinture, évocateur d’une certaine esthétique des ruines…

Une série (de la veine et du calibre d’un Sterling Ruby) dans laquelle Shawki Youssef s’est, à l’évidence, beaucoup investi. Car il y a une peinture de l’âme dans ces grandes toiles aux propos aussi impénétrables que troublants. Une peinture des écorchures, des dégâts, de la violence et des atermoiements… Ces états de trouble et de désarroi qu’il transcrit dans des pièces à double face. Des toiles libres offrant une possibilité de réversibilité… Comme l’espoir d’une revanche sur le destin.

Parallèlement à ces grandes œuvres et à leurs déclinaisons sur papier, l’exposition présente également une série mettant en dialogue la peinture de Shawki Youssef et la photographie de Jacques Dabaghian à travers ses interventions réalisées sur une suite de ferrotypies de ce dernier sur le thème des oliviers libanais millénaires.

« Rupture », une acrylique sur toile de Ghazi Baker. Photo DR


-Ghazi Baker, ses « Conversations » en peinture

« Je suis habituellement quelqu’un de très réservé, qui n’aime pas beaucoup parler, qui n’aime pas énormément les interactions sociales. Et cependant, curieusement, durant la période du confinement due au Covid, j’ai ressenti fortement le besoin de communiquer, de dialoguer et de partager quotidiennement avec des proches et des amis mes idées et mes ressentis sur tout et n’importe quoi », confie l’architecte et artiste Ghazi Baker, qui expose à la galerie Mark Hachem de Beyrouth jusqu’au 20 mai la transcription visuelle d’une bonne partie de ses « Conversations ». Une trentaine de peintures à l’acrylique aux couleurs vibrantes – accompagnées de quelques études de figures à l’encre et au pastel sur papier – déployant sur de larges superpositions de plans ces inévitables personnages satiriques aux silhouettes et traits globuleux et défragmentés qui font la signature reconnaissable de ce peintre nettement inspiré par le poststructuralisme et la déconstruction. Des personnages fétiches, faussement clownesques, qui livrent à travers l’intense expressivité de leurs regards alliés aux détails des différents objets qui les entourent sur la toile les réflexions souvent ironiques jaillies des petites discussions entre amis de leur créateur… Sur la vie, l’amour, l’amitié, les modes de rupture, la diversité des liens sociaux ou encore les prétentions intellectuelles… Une cuvée remarquable d’un artiste clairement aujourd’hui au sommet de son art.

« Balcony by the city », acrylique sur toile de Maysam Hindy. Photo DR


-Maysam Hindy ou l’art de peindre les « Non-dits »

Cette femme à sa fenêtre, fumeuse pensive, entourée de ses plantes, qu’observe-t-elle au juste ? Cet homme se prélassant en pyjama, une bière à la main, à quoi aspire-t-il exactement ?

Dans ses toiles construites comme des tranches du quotidien, Maysam Hindy, fraîchement diplômée des beaux-arts de l’Université libanaise, portraiture de gens ordinaires, saisis dans leur espace intime. Leurs regards, leurs postures, leurs attitudes ou encore leurs vêtements et les objets qui les entourent semblent raconter leurs vies à leur insu… Face à ces scènes picturales accrochées jusqu’au 22 juin sur les cimaises de la galerie Marfa’ (située en plein secteur du port de Beyrouth), sous l’intitulé « Unspoken » (Non-dit), le spectateur se fait détective ou romancier… Cherchant à deviner ou à imaginer la vérité des personnes peintes. Indéniablement, la force de cette artiste, nouvelle arrivée dans la ronde des expositions, réside dans ces suggestives mises en contexte de ses représentations d’hommes, de femmes, jeunes et moins jeunes, toujours englués dans leurs vies, leurs soucis, leurs rêveries et surtout leurs non-dits. Car, sous la vivacité des couleurs se dégage comme une impression de secrets sous-jacents. Ces inévitables « histoires cachées d’amis, d’êtres chers, de familles » qui reviennent dans toutes les vies. Même les plus ordinaires.

Dessins de « My ordinary life » de Rola el-Hussein. Photo DR


-Rola el-Hussein, les choses de « sa » vie…

Décidément, les vies ordinaires sont les grandes inspiratrices des peintres libanais ces jours-ci ! Serait-ce l’expression d’un désir subliminal de revenir à des existences normales ? Celle que dévoile Rola el-Hussein dans une série de petits dessins colorés, réalisés au cours de ces deux dernières années, est tout simplement la sienne. Rassemblés sous l’intitulé « My ordinary life » dans une première exposition solo, qui se tient à la galerie Agial (Hamra, rue Abdel Aziz, jusqu’au 3 juin), ses petites œuvres en techniques mixtes (pastel gras et crayons de couleur) sont comme des lucarnes à travers lesquelles cette auteure, journaliste, poète et (nouvellement) artiste (diplômée des beaux-arts de l’Université libanaise) vous donne à voir les choses de sa vie. Un parasol et une chaise longue pour les bains de soleil, une bouteille de bière bien de chez nous, des plantes et des vases fleuris, une vue sur le jardin, mais aussi d’autres objets, accessoires et même des autoportraits plus triviaux que cette « obsédée par la discrète beauté qui se dégage de toutes les choses qui (l’)entourent » réussit à transformer en allégories des petits bonheurs d’un quotidien ordinaire. Et en objets de désir pour les amateurs d’un art pictural qui fait référence aux univers mêlés d’un Egon Schiele et d’un David Hockney.

« Oil Spill III » de Tamara Haddad (acrylique et sable ; 105 x 95 cm). Photo DR


-Ces « Paysages de l’esprit » entre fiction et réalité

Tamara Haddad est libanaise, Szilard Huszank est hongrois, établi en Allemagne. La première traduit dans des huiles sur toiles, incorporant divers matériaux comme le sable, la paille, des écorces, des branchages et des cailloux, les transformations physiques que subit la terre du fait de l’homme. Le second peint à grands traits fluides d’huile sur toile des paysages boisés, oscillant entre figuration et abstraction. Si la galerie Tanit a eu envie de les réunir dans une exposition en duo présentée dans son espace beyrouthin à Mar Mikhaël, c’est parce que ces deux artistes quadragénaires ont, en dépit de leurs approches et techniques différentes, un même souci écologique. Un même engagement pictural envers l’environnement et la nature. Intitulé « Landscape of the mind » (Les paysages de l’esprit), ce double accrochage témoigne de leur désir de sensibiliser aux cicatrices géologiques et à la destruction des paysages, à travers des œuvres où l’utilisation omniprésente de la couleur – texturée chez la première, vibrante chez le second – puise tantôt dans la matérialité et le réalisme, tantôt dans la fiction et la poésie du geste, l’expression d’un attachement à l’essence sacrée de la terre. Jusqu’au 14 juin.

« Le chêne », huile et acrylique de Nada Matta (90 x 140 cm). Photo DR


-Quand Nada Matta vous emporte dans ses « Forêts magiques »

Lorsqu’elle divorce, il y a quelques années, Nada Matta retrouve avec bonheur le sentiment de liberté sauvage qu’elle avait connu enfant, lorsqu’elle courait dans les champs et grimpait aux arbres. Un état de plénitude que cette mère de famille nombreuse va dès lors exprimer par la peinture, son autre passion de jeunesse. Reprenant les pinceaux, la voilà qui s’immerge dans des représentations de clairières, de forêts, de bosquets et d’arbres… Avec une prédilection pour les pins, tout en écorces et élancements vers le ciel, qu’elle croque inlassablement, souvent en contre-plongée, dans des œuvres de grandes dimensions, à l’encre sur papier d’abord, puis à l’encre et à l’acrylique sur toile. Au fil des ans, cette talentueuse dessinatrice va introduire progressivement la couleur, par touches, de plus en plus audacieuses – comme certaines de ses compositions d’ailleurs – jusqu’à aboutir à ces forêts aux troncs bleus et mauves nimbés d’un certain frémissement magique. Une évolution que retrace la vingtaine d’œuvres présentées dans le cadre de l’exposition solo, intitulée « Magic forest », que lui consacre la galerie Art Scene, à Gemmayzé, jusqu’au 7 mai.

Un coin de l’accrochage de Mahmoud Hamadani. Photo Z.Z.


-Les « Fugues » picturales de Mahmoud Hamadani

« Sans liberté l’art ne peut prospérer, mais sans structure aucun système n’est durable. » Voilà le motto de Mahmoud Hamadani, un artiste iranien installé à New York depuis de longues années et dont les œuvres font partie des collections permanentes du Metropolitan Museum of Art et du British Museum.

Connu pour ses délicats dessins à l’encre monochrome, il en présente quelques séries pour la première fois au Liban, à la galerie Art on 56th, à Gemmayzé, jusqu’au 27 mai.

Mélomane averti, Hamadani travaille le plus souvent sur fond de musique classique. Celle de Jean-Sébastien Bach en particulier, qui représente pour lui l’ultime espace où se croisent l’art et la vie. Inspirés par les mouvements de la musique, ses dessins présentent des motifs rythmiques définis dans une structure simple.

Dans cette exposition, intitulée « Fugues », on retrouve ainsi des variations abstraites autour des partitions musicales du grand compositeur et organiste baroque allemand, notamment ses Sonates et suites pour violon ainsi que des paysages miniatures inspirés de ses Requiems. Et qui dégagent une douce et poignante grâce silencieuse…

-Hannibal Srouji, trente ans plus tard, retour au point de départ En 1991, Hannibal Srouji revient pour la première fois au Liban, après seize années passées à l’étranger. Une courte visite au cours de laquelle il perçoit « cet état de stupeur et de temps suspendu », dit-il, dans lequel se trouvaient ses compatriotes, propulsés du jour au lendemain d’un terrain de combat...

commentaires (4)

article interessant et belles photos qui donnent envie! Malheureusement, nous sommes au Liban et nous ne pouvons pas acheter un tableau pour encourager ces artistes et aussi nous faire plaisir....

Madi- Skaff josyan

16 h 18, le 07 mai 2023

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Commentaires (4)

  • article interessant et belles photos qui donnent envie! Malheureusement, nous sommes au Liban et nous ne pouvons pas acheter un tableau pour encourager ces artistes et aussi nous faire plaisir....

    Madi- Skaff josyan

    16 h 18, le 07 mai 2023

  • Belle expressions des émotions toutes libanaises .Malheureusement on ne peut se payer un tableau pour encourager ces artistes car on est a l'étranger.

    Zahi SAAB

    19 h 42, le 05 mai 2023

  • Wowww. Tous ces tablaux sont fantastiques. Comme j'aimerai etre au Liban pour pouvoir les admirer dans ces expositions

    Brasseler Daria

    17 h 05, le 05 mai 2023

  • Époustouflant, merci pour cette revue.

    K1000

    01 h 01, le 05 mai 2023

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