Regarder les œuvres de David Daoud, c’est voyager, et pas qu’une seule fois, car à chaque arrêt devant ses toiles riches en symboles, il se passe comme un transfert et l’on s’évade, mais jamais pour la même destination. Son exposition inaugure le nouvel espace de la galerie Cheriff Tabet situé à la galerie Abdel Wahab, à Achrafieh. Un espace qu’il partage avec le restaurateur PizzaWa qui y développe un concept de street-food. Des œuvres d’art dans la galerie et de délicieuses créations à côté...
fL’accrochage des tableaux de Daoud apparaît comme un souffle de lumière où les œuvres sondent l’âme de la nature avec des compositions tantôt graphiques, riches en lignes qui s’entrelacent et s’entrechoquent dans une énergie du trait qui confère à son travail une dynamique vitale, tantôt figurative tranchée aux couleurs et aux reflets changeants où il réussit à réunir un clair de lune aux bleus chatoyants, un jaune soleil éclatant d’énergie et les ocres de la terre. David Daoud crée une œuvre singulière et personnelle faite de toutes sortes de figures, autant humaines qu’animales. Ses silhouettes ne sont pas sans rappeler les dessins primitifs réalisés sur les parois des cavernes, exécutés par les hommes préhistoriques.
Né au Liban en 1970, David Daoud fuit Beyrouth en 1978 avec sa famille pour l’Afrique, avant de finalement s’installer en France avec son frère aîné. Ses parents se déplaçaient beaucoup et il a très tôt expérimenté l’exil, mais il avoue que ce qu’il a vécu a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui, intrinsèquement. Pour lui, l’humain n’appartient pas à un pays ; c’est avec le temps et l’expérience qu’il forge son identité. Formé aux Beaux-Arts et à l’École supérieure nationale des arts décoratifs à Paris, il parfait sa technique et fait ses premières armes auprès du grand sculpteur Charles Auffret, formé lui-même par l’atelier des élèves de Rodin. Sa production artistique reste profondément marquée par l’expérience de l’exil et l’ombre des navires qui se profilent dans ses toiles est là pour nous le rappeler.
Auffret lui transmet une philosophie artistique et la manière d’appréhender l’art pour arriver à analyser son lien à la nature. « Pour progresser, dit-il, il faut savoir déchiffrer ce qui vous entoure, un peu comme dans la musique, c’est une affaire de composition et de transcription des sentiments sur une surface. Qu’il s’agisse d’une figure humaine ou d’un arbre, c’est pareil, l’idée est de pouvoir honorer la beauté et suggérer le reste. C’est cette suggestion qui pousse le spectateur à regarder, c’est ce mystère qui fait que le spectateur s’approprie l’œuvre pour y accomplir un voyage spirituel. » David Daoud vit et travaille entre Paris et Beyrouth. « C’est dans mon atelier que de petits miracles s’accomplissent. »
Un atelier comme un lieu de culte
Installé en région parisienne, dans un atelier qui côtoie la nature, il avoue avoir fait ce choix pour d’abord avoir plus d’espace et ensuite ne pas être converti par le monde. Il confie : « Le silence est pour moi très important dans le processus créatif ; il m’aide à trouver une paix intérieure, à me ressourcer. C’est dans la solitude que l’on se construit. L’atelier est un lieu qui déclenche la création, c’est le cocon où je médite, toute mon âme et tout mon être en sont imprégnés, j’en connais tous les recoins et, au fil des années, une certaine familiarité et une forme d’osmose ont pris place. J’écoute les oiseaux, de la musique classique, et je m’évade. Je suis en communion presque religieuse, comme au sein d’une église. Le lieu a une âme et des ondes vibratoires que l’on s’échange. »
Sonder l’âme de la nature
« C’est par l’amour que l’on porte à la nature et la restitution des éléments que l’on porte en soi que l’art s’accomplit, insiste l’artiste. Par la matière, la couleur ou la terre, on façonne comme un boulanger qui pétrit une pâte à pain. Ceux qui arrivent à donner de l’amour à leur pain font forcément un meilleur pain. Lorsque l’on s’approprie les couleurs et les formes de la nature pour les restituer, la narration se fait toute seule. » Pour David Daoud, il faut d’abord aimer les choses, pour réussir à les peindre après. Sonder l’âme de toute chose, c’est regarder deux fois et mieux découvrir, d’abord visuellement, ensuite intérieurement, et « c’est à ce moment-là que l’on décèle des détails que l’on n’avait pas suspectés, dit-il. Pour dessiner les arbres, je les regarde de l’intérieur, les touche, les caresse pour pouvoir entrer en contact avec eux. Un artiste traduit et le spectateur décrypte à sa manière ».
« Respecter le fil conducteur et l’histoire de l’art est essentiel car on est lié au monde et à la société. Pour que l’œuvre d’art existe sur le long terme, il y a des codes à respecter : la texture, la matière, la géométrie, l’espace, tout est lié. Sans eux, l’art n’a plus de valeur intemporelle. Tout comme il impossible de faire de l’art si on ne passe pas par le dessin, si on ne sait pas restituer la nature dans le dessin. Plus on évolue dans le dessin, plus on s’agrandit intérieurement, plus on pousse le dessin et plus la sensibilité s’aiguise », affirme celui qui croit dur comme fer que c’est avec le dessin que l’on apprend à simplifier, à rendre avec très peu d’éléments une certaine grandeur et à acquérir une certaine maîtrise. Le temps se chargera de faire le reste.
Souffle de printemps
Chacun a sa vision du printemps. Pour certains, il est un parterre de fleurs qui éclosent dans une nature parée de vert. Pour David Daoud, cette saison est avant tout symbole d’énergie. Il la traduit d’abord avec la couleur jaune qui est couleur de lumière et synonyme de chaleur. Le printemps, il le ressent sous forme d’ondes vibratoires et non visuelles. « Je voulais, dit-il, transmettre cette énergie par le trait très présent dans mes toiles et qui évoque le mouvement. La grande partie d’une toile est réalisée dès le premier jet, le reste, ce sont des finitions. Lorsque je crée, j’imagine la couleur qui enveloppe la narration, je fais en sorte que la couleur m’accompagne tout le temps. » Pour le peintre, l’instinct est primaire, comme un jet de l’esprit, et à un moment donné, il y a une conscience qui intervient, celle qui nous rappelle qu’une toile est d’abord destinée au public qui doit s’y introduire et s’y perdre. David Daoud ne fait pas de l’art pour l’art. Son art honore la relation qu’il instaure entre le spectateur et lui. « J’essaie de ne pas tuer le tableau en lui accordant plusieurs séances, mais de garder la fraîcheur de l’instinct, d’y raconter une histoire pour préserver les émotions qui s’en dégagent », conclut-il.
« Souffle de Printemps » de David Daoud
À la galerie Cheriff Tabet
Nouvel espace rue Abdel Wahab, Achrafieh
Vernissage le 4 mai. Jusqu’au 9 juin.
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