Critiques littéraires Nouvelle

Julien Gracq, de retour à La Maison

Julien Gracq, de retour à La Maison

Chez José Corti, son éditeur de toujours, paraît une nouvelle inédite, écrite à la fin des années 40.

L’écrivain Julien Gracq est mort en 2007, à 97 ans. C’était non seulement un auteur majeur, l’un des rares à être entré de son vivant dans « La Bibliothèque de la Pléiade », notre Panthéon littéraire sur papier bible, relié pleine peau de mouton néo-zélandais et doré à l’or fin, mais aussi une espèce de « vache sacrée », le parangon de l’écrivain qui n’a jamais fait de concession commerciale avec sa conception de la littérature, exigeante, altière : toute son œuvre a été publiée chez le même éditeur indépendant José Corti, libraire-éditeur dans la mouvance surréaliste (comme Gracq à ses débuts, qui fréquenta Breton et les siens, avant de s’en éloigner) ; il a refusé le prix Goncourt pour Le Rivage des Syrtes, en 1951, et s’est toujours opposé à ce que ses livres soient repris en collection de poche. Il était de bon ton, pour un certain nombre de jeunes écrivains, comme Jérôme Garcin ou Philippe Le Guillou, d’effectuer le pèlerinage jusqu’à Saint-Florent-le-Vieil, en Vendée, là où vivait le Maître, loin de l’agitation parisienne, afin de bavarder avec lui, de lui demander conseil, ou de partager un déjeuner.

Le professeur d’histoire-géographie Louis Poirier (d’ailleurs plus géographe qu’historien, ce qui n’est pas si fréquent), son vrai nom à la ville, avait organisé, on s’en doute, soigneusement, par testament, le devenir posthume de son œuvre. Volontés que respectent scrupuleusement son ayant-droits, Bernhild Boie, et son éditeur : toujours pas de poche, donc ; quant aux inédits, trois sont déjà parus (Manuscrits de guerre, en 2011, Les Terres du couchant, 2013, et Nœuds de vie, 2021). La Maison, aujourd’hui publié, sera le dernier, jusqu’aux vingt-neuf cahiers intitulés Notules qui seront accessibles seulement après 2027, vingt ans après la mort de l’écrivain.

La Maison est une nouvelle d’une trentaine de pages imprimées, qui remonterait à la fin des années 40, et que Gracq n’a jamais publiée. Il aurait alors été requis, à ce moment-là, par d’autres travaux de plus d’envergure. De 1945 à 1950, d’Un beau ténébreux à La Littérature à l’estomac, l’écrivain fait paraître pas moins de cinq ouvrages qui vont l’imposer sur la scène littéraire française et internationale.

L’histoire se nourrit d’éléments personnels, contés sur le ton de la confidence, ce qui est rare chez Gracq. En 1941-1942, Louis Poirier enseignait sa discipline au Lycée d’Angers. Chaque semaine, il prenait un autocar, depuis A. (Angers) jusqu’à V. (Varades), pour rentrer chez lui, à Saint-Florent-le-Vieil. Le bus traversait un paysage des plus hostiles, des plus inhospitaliers qui soient. Mais, à un détour, lui apparut une maison en bord de mer, visiblement abandonnée, repoussante. Il n’en fallait pas plus pour piquer sa curiosité. Un soir d’hiver, au crépuscule, le car l’arrête non loin, et il marche jusqu’à la demeure. Il pleut des cordes, l’atmosphère est inquiétante. À l’extérieur, sur une table, les restes d’un repas pour deux, inachevé. Depuis la maison, il entend du Keats chanté en gaélique. La nouvelle bascule alors d’une espèce de réalisme à une sorte de « fantastique froid », cher aux Allemands, aux Anglais, et aux surréalistes. L’intrus va être le jouet d’une vision « surréelle », à la fois sensuelle et angoissante… On n’en dira pas plus.

On pourrait déceler dans ce texte les influences majeures de Gracq : le merveilleux allemand, le surréalisme, Baudelaire, Proust. De tout cela, il a fait son miel et en émane un charme unique qui rappelle Au château d’Argol, premier livre signé Julien Gracq, en 1938, et annonce Le Rivage des Syrtes auquel il devait être en train de travailler alors, et qui paraîtra, on l’a vu, en 1951.

Afin de nourrir son édition, Corti a adjoint à La Maison le fac-similé du manuscrit autographe. Soit le plan de la nouvelle, intitulée d’abord La Maison des taillis, suivi des deux états du texte. Le premier, magnifiquement raturé, biffé, retravaillé, ressemble à s’y méprendre à un « placard » de Proust, justement. Le second, soigneusement recopié par Gracq, presque calligraphié et presque calibré en vue d’une publication qui ne se fera pas, porte néanmoins encore quelques corrections… Cette archéologie littéraire est passionnante, on y voit réellement l’écrivain à son bureau, comme un artisan jamais satisfait de son travail, et qui le retient jusqu’à la dernière seconde. C’est également une entreprise émouvante : on a l’impression d’entrer dans son intimité, comme s’il avait laissé là ses treize feuillets, tout juste achevés, sur un coin de table, et qu’il allait revenir les chercher.

Un inédit de Gracq, c’est rare, forcément. Alors, même bref, savourons notre plaisir.

La Maison de Julien Gracq, éditions Corti, 2023, 80p.

Chez José Corti, son éditeur de toujours, paraît une nouvelle inédite, écrite à la fin des années 40.L’écrivain Julien Gracq est mort en 2007, à 97 ans. C’était non seulement un auteur majeur, l’un des rares à être entré de son vivant dans « La Bibliothèque de la Pléiade », notre Panthéon littéraire sur papier bible, relié pleine peau de mouton...

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