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Politique - ÉCLAIRAGE

Le dossier des réfugiés syriens, objet de surenchères et de contre-surenchères

Les partis politiques s’accusent mutuellement de chercher à instrumentaliser cette question.

Le dossier des réfugiés syriens, objet de surenchères et de contre-surenchères

Des réfugiés syriens dans un centre du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le 29 mai 2014. Anwar Amro/AFP

D’un coup de baguette magique, la boîte de Pandore s’est ouverte. Bien que la question du retour des réfugiés syriens chez eux ne relève pas de l’actualité chaude – cela fait des années que des voix s’élèvent réclamant leur rapatriement –, le regain de ce dossier sensible dans l’arène politique et les discours sectaires et xénophobes dangereux qui l’ont accompagné suscitent des interrogations multiples. Qui est donc à l’origine de cette psychose qui s’est répandue à la manière d’une traînée de poudre ?

Si dans les milieux chrétiens principalement le ton est monté, les principales formations politiques réclamant désormais à l’unisson un règlement au plus vite de ce dossier, chez les communautés musulmanes, le ton est plutôt à la modération.

C’est le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui a indirectement ouvert le bal dimanche dernier dans un entretien télévisé, insistant sur l’urgence d’une solution à ce dossier, les gouvernements successifs ayant échoué sur ce plan. D’où la nécessité de tenter de trouver des issues « décentralisées » avec les municipalités, a indiqué M. Geagea en substance, en allusion aux mesures de contrôle et de sécurité prises depuis quelques jours par plusieurs municipalités. « L’affluence des réfugiés à l’élection de Bachar el-Assad (à l’ambassade de Syrie en mai 2021) avait démontré qu’un grand nombre d’entre eux peuvent partir sans craindre la répression », note pour sa part le porte-parole des FL, Charles Jabbour, à L’OLJ.


L'impression de Fifi Abou Dib

Où l’on reparle des réfugiés syriens

Les Kataëb ont aussitôt rattrapé le train. Dans une déclaration formulée à l’issue de sa rencontre mardi dernier avec la coordinatrice des Nations unies, Joanna Wronecka, le chef du parti, Samy Gemayel, a estimé que « la plupart (des réfugiés) ne sont pas en danger s’ils retournent chez eux mais considèrent que la situation au Liban est meilleure qu’en Syrie. Ils sont donc devenus des immigrés économiques et non des réfugiés au sens du droit international ».

Les propos des deux leaders chrétiens sont survenus après qu’une vidéo montrant des opérations d’expulsion par l’armée entamée dès le début du mois d’une cinquantaine de réfugiés – en situation illégale – a fait le tour des réseaux sociaux et suscité une polémique, notamment au sein des ONG et du Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR), qui a critiqué les opérations d’expulsion.

Le Courant patriotique libre – une des premières formations à se braquer contre la présence massive des réfugiés syriens sur le territoire libanais – a pour sa part préféré suivre la controverse suscitée ces derniers jours avant de se prononcer.

Des petits Syriens dans un camp de réfugiés à Jabaa, un village de la Békaa, en décembre 2014. Anwar Amro/Archives AFP

« Un complot »

Dans un tweet, le chef du CPL, Gebran Bassil, ne s’est pas privé de rappeler qu’il fut un précurseur lorsqu’il avait réclamé le départ des réfugiés. Une position qualifiée à l’époque de xénophobe et surtout de populiste, le CPL, qui était alors au pouvoir, n’ayant pas réussi à mettre à profit (ainsi que son allié chiite le Hezbollah) sa relation avec le régime syrien pour tenter de résoudre le problème.

« L’afflux chaotique des réfugiés était un complot auquel nous avions fait face seuls à l’époque. Leur refoulement (aujourd’hui) de manière aussi violente est un autre complot que nous allons faire avorter », a dit M. Bassil mercredi. Et d’affirmer que le CPL est en faveur d’un retour qui garantisse la sécurité et la dignité des réfugiés ainsi que le respect du droit international et libanais pour ce qui est du retour des réfugiés se trouvant illégalement au Liban. « L’opportunité d’un rapatriement digne à l’ombre des développements dans la région existe. Nous ne permettrons pas aux comploteurs et à ceux qui viennent de se réveiller de manquer cette occasion à coups de provocations et de mesures non humanitaires », a-t-il ajouté.

Le leader aouniste faisait référence au rapprochement amorcé par l’Arabie saoudite en direction de la Syrie et dont l’une des conditions est le retour sécurisé des réfugiés syriens chez eux. Mais ses propos visaient essentiellement à adresser des piques dans deux directions : celle qui mène à l’armée tout d’abord, et dont le chef, Joseph Aoun – un présidentiable qui n’est pas du goût de M. Bassil –, est accusé par ses détracteurs de chercher à instrumentaliser ce dossier, et celle qui conduit à ses rivaux chrétiens ensuite, que M. Bassil critique pour avoir tardé selon lui à réagir. « Lorsque nous avions mis en garde contre les conséquences de ce dossier, nous avions été accusés de xénophobie. Aujourd’hui, les autres partis font de la surenchère », accuse l’ancien député aouniste Edy Maalouf.

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Une campagne injustifiée ?

Quant au Hezbollah, il est accusé par ses adversaires politiques d’avoir lui-même orchestré cette campagne d’hostilité à l’égard des réfugiés, dans l’objectif de renflouer la candidature de son poulain, Sleiman Frangié. Ce dernier a promis à plus d’une reprise de tenter de régler ce dossier épineux en mettant à profit ses bonnes relations avec Bachar el-Assad. Mais le parti chiite dément cette thèse et retourne l’accusation à ses détracteurs.

« Qui d’autre que les formations chrétiennes et les médias a rallumé cette affaire ? » s’interroge le porte-parole Mohammad Afif Naboulsi. Il en veut pour preuve le fait qu’aucun incident sécuritaire ou politique majeur n’a eu lieu ces derniers jours pour justifier la résurgence de cette polémique. D’après lui, les FL et les Kataëb auraient monté en épingle cette controverse pour « défendre indirectement le chef de l’armée ».

Pour le Hezb, le règlement de ce dossier doit être envisagé sous l’unique angle d’un dialogue entre le gouvernement libanais, la communauté internationale et le régime syrien. « Nous refusons que cette question se transforme en une carte qu’on utiliserait contre la Syrie », ajoute le porte-parole.

Côté sunnite, la réserve est de mise. Orphelines d’un leader et conscientes de la sensibilité d’un dossier aux relents communautaires – les réfugiés étant majoritairement sunnites –, les figures politiques sunnites gardent un profil bas.

« Ils sont dans une situation difficile et ne peuvent se prononcer pour ou contre les réfugiés », commente une source politique tripolitaine sous couvert d’anonymat.

Le député de Tripoli Achraf Rifi a toutefois voulu se démarquer du lot en formulant une position qui verse dans une logique hostile au Hezbollah plutôt qu’aux réfugiés. Dans une déclaration à la presse, il a tenu à rappeler que si les réfugiés se trouvent au Liban, c’est à cause du Hezbollah. M. Rifi a ainsi proposé une solution qui consiste en un retrait du Hezb des régions syriennes frontalières du Liban de Yabroud, du Qalamoun et de Qousseir – « des localités devenues la plaque tournante de la production du captagon ». Cette issue garantirait « le retour d’au moins 150 000 réfugiés qui se trouvent dans les camps de Ersal », a-t-il souligné.

Dans les milieux islamistes, on défend plutôt les réfugiés syriens. Un rassemblement est prévu ce vendredi devant le sérail de Tripoli après la prière. Vont s’y joindre des figures religieuses salafistes notamment, confie à L’OLJ un responsable du parti al-Tahrir, Mohammad Ibrahim.

Le Parti socialiste progressiste est, lui aussi, contre « le retour forcé » et estime qu’il n’est pas admissible que ceux qui ont fait l’objet de répression en Syrie soit renvoyés chez eux sans garantie. « L’échéance présidentielle contribue malheureusement à exacerber les instincts primaires », conclut Saleh Hdayfé, porte-parole du PSP.

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D’un coup de baguette magique, la boîte de Pandore s’est ouverte. Bien que la question du retour des réfugiés syriens chez eux ne relève pas de l’actualité chaude – cela fait des années que des voix s’élèvent réclamant leur rapatriement –, le regain de ce dossier sensible dans l’arène politique et les discours sectaires et xénophobes dangereux qui l’ont accompagné...

commentaires (6)

Le même scénario de l’exode des palestiniens de 1948. Ils ont fui leur pays en croyant pouvoir y retourner deux semaines au plus tard. Parce qu’il n’y aura pas de solution équitable en perspective, Ils resteront chez nous ad vitam aeternam .

Hitti arlette

17 h 30, le 29 avril 2023

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Commentaires (6)

  • Le même scénario de l’exode des palestiniens de 1948. Ils ont fui leur pays en croyant pouvoir y retourner deux semaines au plus tard. Parce qu’il n’y aura pas de solution équitable en perspective, Ils resteront chez nous ad vitam aeternam .

    Hitti arlette

    17 h 30, le 29 avril 2023

  • Ce qui me surprend dans ce dossier, est que les oligarchies mafio-confessionnelles du Libanistan (à défaut de véritable état) ne se soient pas mis d'accord pour maximiser les profits concernant un sujet qui aurait pu s'avérer extrêmement juteux. Je les aurais imaginer s'accorder sur une comédie de façade (ils ont en pourtant l'expertise) afin de dupliquer le chantage turque qui leur a rapporté des milliards...ils ne sont peut-être pas si futés que cela !

    IBN KHALDOUN

    21 h 46, le 28 avril 2023

  • A la rédaction: y-a-t’il un article (s) sur -Combien l’’ONU dépense sur les réfugiés syriens (et palestiniens) au Liban? -Combien de ses dépenses sont actuellement remis directement aux syriens (après déduction des salaires et coût opérationnels des cadres de l’ONU)? -combien dépensent les syriens de cet argents au Liban, et combien ils en envoient à l’étranger? - les répercussions positives et négatives du retour des syriens en Syrie (A comparer avec l’exode de l’OLP de Beirut vers Tunis en 1982 et l’exode de capitaux qui l’a accompagné)

    Chalouhi Issam

    13 h 54, le 28 avril 2023

  • Ils ne retourneront jamais de leur plein grès que lorsque: 1- le service militaire obligatoire pour les 18-45 ans est annulé 2- l’infrastructure de leur villes/villages et fonctionnelle même au minimum (eau, égout, électricité, ordures, routes) 3- les aides financières ou autres de l’ONU stoppent.

    Chalouhi Issam

    13 h 44, le 28 avril 2023

  • Pourquoi faire référence dans l’intitulé à une surenchère les faits sont la le liban a secouru les syriens et naturellement leur retour s’impose pour des raisons sécuritaires (nos prisons déborde)et des raisons économiques d’ailleurs pendant la guerre du liban nous toutes confessions confondues nous n’avons reçu aucun soutien de la syrie hormis leurs atrocités Nous n’avons rien à nous reproché

    Cyril Assouad

    12 h 49, le 28 avril 2023

  • Effectivement cela fera de la place si déjà tous les réfugiés qui ont défilé en 2014 et en 2021 avec les portraits de Bachar rentrent chez eux. Même ceux qui sont allés voter plus ou moins contraints, par faiblesse. Si tu veux rester dans ton pays d’accueil tu dois avoir un minimum de courage pour ne pas aller réélire ton bourreau. Et les salafistes qui ont l’intention de manifester contre les expulsions font carrément le jeu du Hezbollah. Qu’ils aillent plutôt libérer Qousseir Yabroud et le massif du Qalamoun du Hezb du Captagon. Ou plutôt qu’ils demandent à l’armée libanaise d’aller le faire. Ce serait tout à fait justifiable. Que notre armée aille y chasser notre Hezb, rende ces terres à ses propriétaires légitimes et les enrôle dans une résistance populaire armée qui empêche le Hezb et Bachar d’y revenir. C’est même la seule solution réaliste pour mettre un terme au problème des réfugiés. Encore faut-il que déjà notre armée soit l’exclusive maîtresse de la force militaire dans nos propres frontières. En attendant rien n’empêche l’expulsion immédiate des réfugiés ayant voté Bachar.

    Citoyen libanais

    07 h 37, le 28 avril 2023

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