Rechercher
Rechercher

Le syndrome du remake

Le chaudron de Gaza qui se remet à bouillonner, le Hamas qui prend ses aises au Liban et même le front du Golan, pourtant frigorifié depuis des décennies, qui fait mine de se réveiller au rythme de quelques roquettes tirées vers Israël : de ce triangle de feux follets menaçant d’enserrer notre partie du monde, se dégage un pénible sentiment de déjà-vu, de déjà-vécu.


Rien là de plus normal, vous assureraient les disciples de Thucydide, cet illustre Athénien qui arborait tout à la fois les casquettes de stratège et d’homme politique, de philosophe et naturellement d’historien. Pour lui en effet, de guerre en guerre, de massacre en massacre et d’occasions manquées en occasions manquées, l’histoire n’est qu’un perpétuel recommencement. À quoi on a pu répondre par cette non moins célèbre sentence, à savoir que l’histoire ne repasse pas les plats. Mais sans doute la vérité se niche-t-elle à mi-chemin : ces singuliers remakes arrivant seulement quand, par bravade, imprudence ou pure incompétence, ceux qui ont charge d’âmes se sont refusés à tirer les leçons du passé.


C’est de bon cœur et par élémentaire fidélité à ses traditions d’hospitalité que le Liban avait accueilli en 1948 les réfugiés palestiniens chassés de leurs foyers. Mais il n’a jamais invité la guérilla palestinienne, brutalement expulsée de Jordanie, à venir s’installer sur son territoire, à y établir son quartier général, à s’y comporter en État dans l’État, à imposer au gouvernement local les infamants accords du Caire. Ainsi l’OLP parvenait-elle à faire de notre petit pays sa principale base d’opérations, ce qui nous valait de dévastatrices représailles et invasions israéliennes, et, de surcroît, quinze années de guerre dite civile.


Plus incroyable encore, où donc avait-t-on vu un squatter armé jusqu’aux dents inviter à la ronde les groupes les plus radicaux de la planète (entre autres l’Armée rouge japonaise, les forcenés allemands de la bande à Baader) à venir se faire la main dans son chez-soi ? Mais au fond, n’est-ce pas cette impensable situation qui se trouve en quelque sorte rééditée aujourd’hui ? Au lendemain de la barbare irruption israélienne dans la mosquée al-Aqsa, et alors que le chef du Hamas séjournait à Beyrouth où il s’est concerté avec Hassan Nasrallah, c’est avec le clair assentiment du Hezbollah que cette organisation islamiste palestinienne tirait, à partir du Liban-Sud, des salves de roquettes sur Israël qui ripostait aussitôt.


On voit d’ici ses partisans signaler qu’à la différence de l’OLP, le Hezbollah est constitué de Libanais, qu’il est d’ailleurs représenté en force tant au Parlement qu’au gouvernement. Le fait demeure cependant que son organique et tonitruante filiation à l’Iran ne rend que plus contestables encore ses équipées en Syrie ou au Yémen ; plus choquante aussi sa prétention à décider lui-même de la paix ou de la guerre en faisant abstraction des autres Libanais ou alors à réunir en congrès, dans son fief de la banlieue sud, les rebelles des divers royaumes du Golfe.


Face à cette captation en règle des prérogatives étatiques, la classe dirigeante libanaise est aujourd’hui bien plus divisée, plus faible et velléitaire, plus déconsidérée surtout, qu’elle ne l’était sous le règne de l’OLP. Le Liban officiel n’a pu certes que condamner le tir de roquettes opéré à partir de son territoire, qu’il a attribué à des éléments non libanais, laissant à Netanyahu le soin de pointer du doigt le Hamas. D’avoir pratiquement admis ainsi les causes premières de la flambée à la frontière ne l’empêchait pas pourtant de déposer une plainte contre Israël auprès de l’ONU, tout en protestant, bien sûr, de son propre attachement aux résolutions internationales.


Si enfin cette poussée de fièvre a tout de même de quoi surprendre, c’est parce qu’elle survient au lendemain du spectaculaire rapprochement irano-saoudien : lequel implique à l’évidence des concessions mutuelles et peut donc déboucher sur le meilleur comme sur le pire. Or, même s’il s’avérait que l’incursion libanaise du Hamas n’était en somme qu’un baroud d’honneur pour l’offense faite à al-Aqsa, un dérapage d’ampleur est bien vite arrivé sous nos tropiques.


Non moins incertains restent d’ailleurs les termes s’un éventuel bazar saoudo-persan. Jamais en effet le Liban n’aura paru plus tributaire des arrangements étrangers, y compris pour une question aussi capitale et intime que celle de se doter d’un président. Accablé qu’il est de crises de toutes sortes, jamais non plus ses avocats locaux n’auront paru moins préparés pour la tâche.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Le chaudron de Gaza qui se remet à bouillonner, le Hamas qui prend ses aises au Liban et même le front du Golan, pourtant frigorifié depuis des décennies, qui fait mine de se réveiller au rythme de quelques roquettes tirées vers Israël : de ce triangle de feux follets menaçant d’enserrer notre partie du monde, se dégage un pénible sentiment de déjà-vu, de déjà-vécu.Rien là de...