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Idées - Point de vue

Malgré l’échec des printemps arabes, le féminisme maghrébin reste porteur d’espoir

Malgré l’échec des printemps arabes, le féminisme maghrébin reste porteur d’espoir

Manifestation à Casablanca, en août 2017, contre l’agression d’une femme dans un bus. Archives AFP

Les mouvements féministes d’Afrique du Nord ont beaucoup contribué à améliorer les perspectives de démocratisation dans cette région, notamment au Maroc. Ils encouragent l’éducation des femmes, leur production de savoir et leur libération des contraintes sociales. Ils permettent ainsi de progresser sur la voie de l’émancipation – malgré des défis quasi permanents et des retours en arrière – par exemple, la Tunisie est récemment retombée dans l’autocratie sous la férule de Kais Saied, alors que dans le sillage du printemps arabe de 2011, ce pays (de même que le Maroc et l’Algérie) avait adopté des lois destinées à augmenter la présence des femmes dans la vie politique.

La proportion de femmes dans les Parlements de la région est très différente d’un pays à l’autre : en Tunisie leur part à l’Assemblée nationale a chuté de 26 % en 2014 à 16 % en 2022, en Algérie elle a chuté de 31 % en 2017 à 8 % en 2021 ; par contre, au Maroc, leur représentation au Parlement a augmenté de 21 % en 2016 à 24,3 % en 2021.

Progrès accomplis

L’émancipation des femmes dans la région varie aussi en fonction du contexte. En Algérie, les organisations féministes en faveur des droits sociaux et culturels des femmes ne disposent que d’une liberté d’expression limitée et leur financement est insuffisant, mais la marge de liberté de celles qui agissent en faveur des droits civils et politiques est encore plus réduite.

Au Maroc, des associations féministes combattent pour parvenir à l’autonomie politique et financière vis-à-vis du gouvernement, des partis politiques et des autres institutions. Certaines de ces associations travaillent main dans la main avec des organisations démocratiques et des agences gouvernementales sur des projets spécifiques tels que la lutte pour l’éducation et contre l’analphabétisme, la santé reproductive et les microcrédits. Par ailleurs, le gouvernement accorde un budget annuel aux ONG féministes qui luttent en faveur de l’égalité des genres et du développement durable.

Alors qu’au Maroc et en Algérie le féminisme a été très fort entre 2000 et 2010, en Tunisie il a pris son essor après le printemps arabe en réaction à la menace islamiste (ce dont témoigne l’augmentation des manifestations, des sit-in et des pétitions). Dans ces trois pays, les associations de femmes ont utilisé les médias traditionnels et les réseaux sociaux pour atteindre un public plus large et faire en sorte que leurs voix résonnent à la fois dans la rue et dans les lieux de pouvoir.

Conséquence de leur action, le Maroc a procédé à des réformes juridiques et politiques (modification de la Constitution, réforme du code de la famille, augmentation de la représentation des femmes, etc.). La participation des femmes à la société civile a progressé, de même que leur présence dans l’espace public, et parallèlement et le rôle traditionnel des hommes et des femmes a commencé à changer.

En Tunisie, même lorsque les islamistes sont arrivés au pouvoir, les militantes féministes ont réussi à convaincre le premier gouvernement intérimaire de s’engager à respecter la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Dans ce pays, depuis le 16 août 2011, la loi reconnaît l’égalité entre hommes et femmes en matière de mariage, de divorce et de garde des enfants. Plus récemment, le mouvement féministe tunisien a réussi à faire adopter une loi visant à plus d’égalité en matière d’héritage.

Ces exemples illustrent les progrès accomplis pour sensibiliser le plus grand nombre au rôle des femmes dans le développement économique, social et culturel. En faisant progresser leurs droits, les féministes ont beaucoup contribué à la démocratisation et à la modernisation. Les femmes qui penchaient en faveur de la laïcité ont rejoint les forces progressistes et démocratiques, tandis que d’autres ont œuvré au sein du mouvement islamiste pour garantir les avancées sociales et politiques d’importance réalisées depuis le printemps arabe (un plus grand nombre de postes à responsabilité au gouvernement et de sièges au Parlement).

Changement d’état d’esprit

Les quotas de femmes, les nouvelles lois sur la famille et d’autres réformes ont renforcé la participation et la représentation des femmes à la vie politique, mais les autres effets du mouvement féministes sont plus difficiles à quantifier. Nombre de facteurs sociaux, culturels et économiques sont en jeu, et le succès d’une réforme varie suivant le pays et l’ampleur initiale des inégalités hommes-femmes. Selon le Rapport mondial sur les inégalités de genre publié en 2022 par le Forum économique mondial, les pays d’Afrique du Nord ont réussi à réduire de 50 % ces inégalités en matière d’éducation, de santé et d’emploi. Au Maroc, l’analphabétisme des femmes a chuté de 78 % en 1962, à 2,4 % en 2021.

Les mouvements féministes ont transformé le rôle des hommes et des femmes en Algérie, au Maroc et en Tunisie ; et obtenu de haute lutte, ils ont permis des progrès concrets en faveur des femmes et des jeunes filles. La participation et la représentation politique des femmes a sensiblement augmenté, mais elles restent minoritaires aux postes de direction. Malgré les réformes récentes, subsistent d’importantes inégalités juridiques, sociales, économiques et politiques.

De ce fait, beaucoup de féministes donnent maintenant la priorité au changement d’état d’esprit de l’opinion publique, à l’affirmation de la présence des femmes dans l’espace public et dans les postes à responsabilité. Elles militent pour de nouvelles réformes institutionnelles et sociales destinées à améliorer la représentation des femmes en politique, mais aussi pour mettre fin à des décennies de discrimination et d’exclusion. Malgré l’échec inattendu du printemps arabe, les femmes s’unissent et forment des coalitions dans cet objectif. Les soulèvements qui ont eu lieu il y a une dizaine d’années leur ont donné espoir en montrant ce qu’il est possible d’accomplir en s’organisant politiquement et en revendiquant collectivement.

Au Maghreb, l’avenir reste incertain en matière de droit des femmes, néanmoins les avancées réalisées au cours de la dernière décennie constituent un espoir qui laisse entrevoir de nouvelles avancées vers l’égalité. Il reste beaucoup à faire pour combattre les discriminations et protéger les groupes généralement marginalisés, néanmoins les femmes sont de plus en plus nombreuses à vouloir poursuivre les progrès accomplis au moment du printemps arabe. Leur prise de conscience quant à leur rôle dans la société ne va pas disparaître.

Copyright : Project Syndicate, 2023.

Traduction Patrice Horovitz

Par Moha ENNAJI

Professeur de linguistique et d’études de genre à l’université de Fès (Maroc). Dernier ouvrage : « Minorities, Women, and the State in North Africa » (The Red Sea Press, 2016).

Les mouvements féministes d’Afrique du Nord ont beaucoup contribué à améliorer les perspectives de démocratisation dans cette région, notamment au Maroc. Ils encouragent l’éducation des femmes, leur production de savoir et leur libération des contraintes sociales. Ils permettent ainsi de progresser sur la voie de l’émancipation – malgré des défis quasi permanents et des retours...

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