Raï met les députés chrétiens face à leurs responsabilités

« Qu’avez-vous fait pour faciliter l’élection d’un président de la République et relancer les institutions de l’État ? » C’est par ce reproche que le patriarche maronite Béchara Raï a résumé le message politique qu’il a voulu adresser aux députés chrétiens réunis hier sous sa houlette à Notre-Dame de Harissa dans le cadre d’une retraite spirituelle. S’il a toujours rejeté le fait que plusieurs protagonistes, notamment le tandem chiite Amal-Hezbollah, font assumer au camp chrétien la responsabilité du blocage de l’échéance, le prélat a quand même tancé les parlementaires chrétiens, les mettant face à leurs responsabilités : dialoguer pour s’entendre sur des alternatives sérieuses. Car si les principales formations de la communauté convergent sur leur opposition à la candidature du leader des Marada Sleiman Frangié, officiellement soutenu par le tandem chiite, elles ne parviennent pas à s’entendre sur un candidat afin d’avoir leur mot à dire dans cette échéance.

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Dans son homélie au cours d’une messe célébrée à la fin de la journée spirituelle (clôturée autour d’un déjeuner), le patriarche a pris le soin de ne pas s’attarder sur les questions politiques, comme pour confiner sa démarche à sa stricte dimension religieuse. Il a néanmoins tenu à mettre le doigt sur la plaie. S’adressant aux députés chrétiens, il a posé une série de questions : « Comment avez-vous aidé le peuple à avancer ? Quel impact avez-vous laissé dans la société ? Quels véritables liens avez-vous créés ? Quelles ondes positives avez-vous dégagées ? À quel point avez-vous instauré la paix ? Comment avez-vous été productifs dans le cadre des responsabilités qui vous ont été confiées ? » leur a-t-il demandé. Outre cet appel à une prise de conscience, Mgr Raï a réitéré implicitement son plaidoyer en faveur d’un dialogue interchrétien. Citant un texte du pape François, il a déclaré : « La mauvaise politique est celle qui élimine les autres, n’œuvre pas pour le bien public et use de tous les moyens pour parvenir à des intérêts personnels. C’est celle où le pouvoir est exercé avec despotisme et n’est pas au service des autres (...) Elle ne sait pas dialoguer », a-t-il dénoncé dans ce qui sonne comme une critique à peine voilée à l’adresse des partis chrétiens dont certains excluent la possibilité d’un dialogue, notamment les Forces libanaises qui rejettent les appels du Courant patriotique libre allant dans ce sens. « Nous ne pouvons plus faire ce que nous avons déjà fait en 2016 », réagit pour L’Orient-Le Jour Ghayath Yazbeck, député FL de Batroun, dans une allusion aux longues négociations entre les deux formations qui avaient mené à l’accord de Meerab et pavé la voie à l’élection de Michel Aoun à la tête de l’État.

Le patriarche maronite Béchara Raï présidant la messe en présence d’une cinquantaine de députés chrétiens, hier, à Notre-Dame de Harissa. Photo tirée de la page Facebook du patriarcat

Briser la glace

En attendant que les hypothétiques résultats de cette journée se fassent sentir, le chef de l’Église maronite peut se targuer d’avoir gagné son pari. Fort de son autorité religieuse et morale, il a pu réunir 53 députés chrétiens, ne serait-ce que pour quelques heures de prière. Il s’agit principalement des députés du CPL et des FL, ainsi que de leurs collègues Kataëb et Tachnag. Il y avait aussi le député Marada Tony Frangié et deux de ses collègues regroupés dans le cadre du Rassemblement national Farid el-Khazen et William Tok. Parmi les participants aussi, Adib Abdel Massih, délégué par le bloc du Renouveau de Michel Moawad. Une liste à laquelle il conviendrait d’ajouter plusieurs députés indépendants, comme Nehmat Frem, Jean Talouzian, Michel Daher et Charbel Massaad. Onze députés ont manqué à l’appel, majoritairement issus de la contestation, représentée uniquement par Élias Jaradé. Parmi les absents dans les rangs du changement, Michel Doueyhi, Paula Yacoubian, Najat Saliba, Melhem Khalaf et Cynthia Zarazir. Le vice-président de la Chambre Élias Bou Saab et ses deux collègues aounistes Edgar Traboulsi et Assaad Dergham ont eux aussi boycotté la retraite spirituelle, au même titre que le candidat de l’opposition à la présidentielle Michel Moawad, ainsi que le député et ministre sortant de l’Industrie Georges Bouchikian, et Michel Murr.

Les députés chrétiens réunis hier à Harissa sous la conduite du patriarche maronite Béchara Raï. Photo tirée de la page Facebook du patriarcat

Mais en dépit de cette longue liste d’absents, la démarche du patriarche était « un succès parce qu’elle a brisé la glace sur la scène chrétienne, même si les dossiers politiques n’ont pas été discutés », pour reprendre les termes de Simon Abiramia, député CPL de Jbeil contacté par L’Orient-Le Jour. De même, Ghayath Yazbeck se félicite de l’atmosphère positive dans laquelle s’est déroulée la réunion. « D’autant que, contrairement aux idées reçues, nous avons des liens d’amitié, et nous coopérons sur plusieurs points », dit-il, prenant cependant le soin de rappeler que les divergences politiques demeurent profondes. « Nous sommes de bons chrétiens capables de dialoguer. Mais une retraite spirituelle ne suffit pas pour régler tous les problèmes. Surtout que le camp de la moumana’a (piloté par le Hezbollah) ne veut rien entendre et tient à son candidat », ajoute le député, en référence à Sleiman Frangié confronté à une opposition chrétienne de taille. Quid de la prochaine étape ? Pour Simon Abiramia, la réponse est à chercher à Bkerké. « Le patriarche devrait capitaliser sur la rencontre de Harissa pour parrainer la prochaine étape », estime-t-il. Un point de vue que son collègue de Batroun ne partage pas. « Le patriarche a fait tout son possible. La balle est dans le camp des partis qui bloquent la présidentielle », estime M. Yazbeck dans une pique au Hezbollah et à ses satellites.

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