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Culture - Rencontre

Mathieu Vadepied : Et si le soldat inconnu était un tirailleur ?

Invité par l’Institut français du Liban, le réalisateur français a présenté son film « Tirailleurs » qui est déjà en salle (Grands Cinemas ABC Achrafieh et VOX Cinemas). Un long métrage juste et authentique, un hommage aux soldats africains qui se sont battus pour la France durant la Première guerre mondiale.

Mathieu Vadepied : Et si le soldat inconnu était un tirailleur ?

Omar Sy incarne le personnage du père parti à la guerre rejoindre son fils. Photo DR

Dès les premiers instants, on perçoit chez Mathieu Vadepied un intérêt, doublé d’une curiosité profonde pour les civilisations, pour les peuples qu’il aimerait connaître ou cerner. « C’est dommage, dit-il, que je sois au Liban pour si peu de temps car c’est difficile de sentir ce qu’il y a en jeu dans le moment présent, dans un pays. C’est tellement puissant et il y a tellement de choses à percevoir, comprendre et recevoir. D’ailleurs, poursuit le cinéaste, je pense que mon film Tirailleurs fait écho au travail de mémoire au Liban. J’ai été très touché en visitant la maison jaune (Beit Beirut, secteur Sodeco, NDLR), car en déambulant entre les murs, j’ai ressenti toute cette charge puissante de ce qui s’est passé dans ce lieu qui fait réfléchir à la nécessité de raconter des histoires pour que rien ne se perde. Il faut que les gens aient cette connaissance et cette reconnaissance des événements qui se sont déroulés. Pour les parents, grands-parents et arrière-grands-parents, raconter toutes ces histoires mélangées, cette complexité de confessions et de cultures différentes est essentiel. C’est la seule façon peut-être d’espérer de pouvoir avancer. »

Son film Tirailleurs – qui parle de ces Africains de la France coloniale qui ont été enrôlés de force ou parfois volontairement, pour la solde, dans l’armée française – se veut un devoir de mémoire certes mais constitue aussi une reconnaissance des sacrifices consentis par ces soldats qui ont eu une histoire commune avec la France. « Si la mémoire de soldats français tués sur les champs de bataille est honorée magistralement dans presque chaque village de France, indique le cinéaste, celle des soldats venus des anciennes colonies est boiteuse et douloureuse. » Mathieu Vadepied avait pour ambition de réaliser un film qui parle aux spectateurs d’aujourd’hui mais en prenant pied dans l’histoire, à l’époque où des Africains des colonies françaises sont pour la première fois enrôlés dans une armée loin de chez eux et donc exilés. « Dans le film, précise-t-il, on est dans cette époque mais aussi au présent. Au présent d’aujourd’hui, au présent de l’époque et dans l’époque. »

Mathieu Vadepied à Beyrouth : « Le devoir de mémoire est important. » Photo Ammar Abd Rabbo

Dix ans d’écriture

Pour Mathieu Vadepied, la fiction mêlée à la réalité est constituée de ces multitudes de fragments d’histoires, de personnages croisés dans ses recherches et qui injectent au film cette part d’authenticité. Une authenticité à laquelle s’ajoute l’usage de la langue peule et non pas du français, que parle le personnage principal incarné par Omar Sy. « Comme il n’y a pas de réels témoignages de ce qui s’est passé il y a un siècle, il y a une part de fiction qu’il faut assumer. Celle-là même qui est utilisée pour ramener la chair, la vie et l’émotion. »

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Tirailleurs a nécessité à Mathieu Vadepied dix ans d’écriture. Car il n’était pas simple de mêler l’authenticité à la fiction, de privilégier les émotions et le narratif aux fioritures comme les costumes et les décors (pourtant très bien élaborés) qui auraient risqué de faire de ce long métrage un simple film d’époque, et enfin de travailler dans une esthétique rugueuse pour éviter que ce film d’histoire tombe dans l’autofascination de sa fabrication comme d’autres films historiques qui jouent avec la violence et la mort. « J’ai préféré me connecter avec une forme de réalisme, trouver comment approcher l’expérience de ces soldats il y a 100 ans. » Outre le sujet qui traite de l’individuel et de l’universel en passant par l’histoire de la relation d’un père avec son fils, la mise en scène est à la fois exigeante et humble. Elle est à hauteur d’homme, dans un espace quasiment pas éclairé : « J’ai voulu faire un film très simple, très juste et très près des acteurs », souligne le réalisateur.

Mathieu Vadepied à Beyrouth : "Le devoir de mémoire est important". Photo Ammar Abd Rabbo

« J’étais un cancre »

En se penchant sur son parcours, Mathieu Vadepied assume en riant son passé de cancre à l’école, de même que le fait de n’avoir jamais fait d’école de cinéma. S’il rate son bac à 18 ans, il se libère en revanche de ce système éducationnel scolaire français qui sanctionne les fautes plutôt que de valoriser les compétences. « C’était violent, car lorsqu’on est un cancre, il est très difficile de sortir de cette case dans laquelle on vous a confiné très longtemps. » Cela lui permettra cependant de faire un trajet libre et de développer une autre compétence, loin de tout académisme. Et c’est la photo qui lui ouvre une fenêtre vers le cinéma. « Je suis allé vers les autres par la photographie et par conséquent à la découverte de ma “propre place” dans le “cadré” de la vie. Où se place-t-on pour voir et regarder ? Comment se forge le point de vue ? Ce sont des questions auxquelles j’ai appris à répondre », assure celui qui privilégie la photo de type documentaire, qui « raconte des histoires ». Successivement directeur de la photographie, réalisateur et scénariste sur différents projets, Mathieu Vadepied travaille également avec le documentariste et photographe Raymond Depardon. « La porosité entre fiction et documentaire m’intéresse énormément », dit-il.

À hauteur d’homme

Parti en Afrique très jeune, Mathieu Vadepied a beaucoup voyagé et tissé des liens très forts avec des réalisateurs du continent africain. Il estime avoir eu beaucoup de chance de vivre dans un milieu culturel mixte. En 2014, il entreprend son premier long métrage La vie en grand qui évoque le parcours de deux cancres, issus de l’Afrique subsaharienne. À travers ses rencontres, il s’interroge : le soldat inconnu pourrait-il être un tirailleur ? « Ces soldats africains, malgré tous les sacrifices qu’ils ont fait, ont été méconnus par la suite », indique-t-il. L’idée fait son chemin. Lorsque, par la suite, il rencontre Omar Sy sur le tournage d’Intouchables où il était « op », Mathieu Vadepied échange avec lui certaines idées. Ils resteront en contact jusqu’à ce que le film prenne forme.

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Tirailleurs, qui raconte le départ d’un père sénégalais à la guerre pour suivre son fils enrôlé de force, touche tous les camps et toutes les visions du monde, avec la nécessité de prendre les personnages comme des êtres humains pris dans leur propre destin. « On a tenu à ne pas tomber dans les clichés comme par exemple les Français racistes et les Noirs gentils, dit Mathieu Vadepied. Je ne suis pas là pour alimenter les rancœurs et les douleurs. Quant à mon film, il ne juge pas l’histoire car je ne suis pas historien. Tout ce que je souhaite, c’est comprendre, raconter et transmettre des récits. Je crois en un cinéma qui peut rallier les extrêmes, un cinéma populaire noble, accessible à tout le monde. »

« J’espère que Tirailleurs touchera les Libanais et qu’ils s’y retrouveront », conclut-il, avant de s’en aller.

Dès les premiers instants, on perçoit chez Mathieu Vadepied un intérêt, doublé d’une curiosité profonde pour les civilisations, pour les peuples qu’il aimerait connaître ou cerner. « C’est dommage, dit-il, que je sois au Liban pour si peu de temps car c’est difficile de sentir ce qu’il y a en jeu dans le moment présent, dans un pays. C’est tellement puissant et il y a...

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