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Culture - Cinéma

Abbas Fahdel, un aveu d’amour au Liban, à la terre et à la vie

Après avoir reçu le prix œcuménique à Locarno et tourné dans de nombreux festivals, le film du cinéaste franco-irakien « Tales of the purple house » est projeté aujourd’hui à l’Institut du monde arabe à Paris. Un rendez-vous à ne pas rater.

Abbas Fahdel, un aveu d’amour au Liban, à la terre et à la vie

La peinture, pour Nour Ballouk, est une histoire de transmission. Photo DR

Plonger dans un film brodé d’esthétique et de pureté. Se noyer dans ce grand jardin qu’on appelait la terre. Se purifier le regard en essayant de s’approprier un temps évanescent, un temps qui semble disparaître. Voici ce que la dernière œuvre de Abbas Fahdel nous invite à faire. Tales of the purple house n’est ni un film ni même un documentaire. On ne pourrait ni le définir ni le catégoriser. Ce que l’on peut en revanche, c’est le sentir avec tous les pores de son corps. C’est un poème visuel, contemplatif qui interpelle tous les sens et appelle au cœur de l’être humain. Il est un retour à cette beauté originelle qui défie et efface toutes les laideurs du monde. À l’instar de Matisse qui disait : « Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir », Fahdel rappelle qu’il y a de la beauté partout pour qui veut bien la contempler. Alors ne perdons pas le temps, saisissons-le plutôt.

« Tales of The Purple House », un film contemplatif. Photo DR

Les disciplines artistiques s’épousent

À ce monde contemporain dans lequel grouillent les manifestations, les foules bavardes, les révolutions filmées à Beyrouth, le cinéaste oppose le silence de la nature et l’éternité des cieux. La peinture de son épouse Nour Ballouk s’en mêle et devant un public d’enfants, son pinceau trace l’horizon et capte l’instant éphémère. Elle essaie de leur transmettre le geste, l’émotion. Tales of the purple House est à la fois une ode au temps qui s’écoule « comme une rivière », dit Nour, et une chronique de la vie quotidienne au Liban en cette époque de fortes turbulences. Il a été tourné dans la maison du réalisateur – une demeure mauve comme le titre l’indique – dans le Sud Liban, en pleine période de confinement. L’espace, bien que Abbas Fahdel le dit plus étroit qu’il ne semble, est en fait plus large que la vie. Les nombreuses fenêtres aux cadres parfois invisibles s’ouvrent sur le Liban mais aussi sur le monde. Le « tempérament » du ciel changeant, la flore qui pousse libre et en folie, les chats qui côtoient parfois des serpents témoignent de cette grande vie à la fois douce et sauvage, sans contraintes. Le regard du réalisateur, à la fois cameraman, scénariste et monteur, glorifie la nature défigurée par l’homme, en lui vouant du respect. En images, en peinture, en mots et en longs silences, Fahdel dessine les traits de son monde fragile intérieur et extérieur. « L’univers n’appartient pas seulement à l’homme, confie-t-il. Il a été certes créé pour lui mais les autres créatures animales et végétales se partagent ce vaste monde, qu’ils animent avec une grande joie. »

Prendre le temps de regarder les fleurs... Photo DR

L’alliance des images

L’histoire d’amour entre Abbas Fahdel et le Liban, qui s’est concrétisée en une alliance conjugale, remonte à 2016 quand il avait le projet de tourner un film de fiction dans une ferme abandonnée. « J’habitais alors la France. C’est une amie sur Facebook, Nour Ballouk (qui est devenue depuis ma femme) qui m’a conseillé le Liban et plus précisément la vallée de la Qadisha. Elle m’a alors envoyé des photos de la région. J’ai eu le coup de foudre et j’ai décidé de venir au Liban pour filmer Yara. J’ai même fait le montage du film à Bécharré. Par la suite, on s’est installés à Deir el-Qamar pour travailler le documentaire sur les réfugiés syriens, Bitter Bread. Enfin, nous avons décidé de nous rapprocher de la famille de Nour à Nabatieh, et nous avons élu domicile dans la maison mauve », indique le réalisateur. « Le projet initial avait pour sujet les gens du Sud, reprend-il. Comme j’avais exploré la terre et les hommes du Nord, je voulais faire de même pour la terre du Sud avec les paysans, les voisins. Mais la pandémie, le confinement et les crises économiques successives ont tout bouleversé. Je devais d’abord convaincre Nour pour qu’elle joue dans ce film et que nous associons nos deux regards superposés, celui du cinéma et de la peinture, pour dessiner notre maison familiale qui s’ouvre sur la grande maison du Liban. Comme la démarche que j’avais prise dans Homeland Irak Year Zero » . Le format du film s’est ainsi inventé au fur et à mesure du tournage, précise le cinéaste. « Il n’y avait pas de scénario et on ne savait pas s’il y aurait eu un film au bout. On ne tournait pas tous les jours. C’était une manière spontanée de faire un film qui n’a pris sa vraie forme qu’au montage », confie celui pour qui le cinéma est une expérience individuelle, intime, tout comme la peinture, la photo, etc. C’est pourquoi on le voit écrire, filmer et monter ses propres films. « J’aime maîtriser mon travail de bout en bout. D’ailleurs, c’est ce que j’essaie d’apprendre aux élèves en audiovisuel : de savoir tout faire dans un film. »

Une fenêtre ouverte sur le Liban. Photo DR

Dans ce siècle, la rapidité des images dans un film nous empêche de bien regarder et d’observer. Abbas Fahdel, lui, aime faire de longues pauses à contempler une montagne, un arbre. C’est un exigeant de l’image puisque pour lui, elle peut raconter en silence des milliers d’histoires. À celui qui lui propose un jour de raccourcir son film, il s’y opposera fermement. « Je ne ferai jamais de concessions sur une œuvre de création. J’apprécie la lenteur d’un film et il faut que les jeunes générations apprennent à l’apprécier », martèle-t-il avant de conclure : « Si j’apprécie aussi la beauté du Liban, c’est probablement parce que j’y suis étranger, je n’en regarde que la beauté (qui est d’ailleurs assez unique) alors que les Libanais qui y sont empêtrés ne la voient plus. » Dans Tales of the purple house, prix œcuménique à Locarno, projeté ce soir à l’Institut du monde arabe à Paris dans le cadre de la 18e édition du Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient (du 10 au 21 mars), il nous invite à la regarder de plus près et à enfin la redécouvrir.

Programme du Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient à retrouver sur http://www.pcmmo.org/

Plonger dans un film brodé d’esthétique et de pureté. Se noyer dans ce grand jardin qu’on appelait la terre. Se purifier le regard en essayant de s’approprier un temps évanescent, un temps qui semble disparaître. Voici ce que la dernière œuvre de Abbas Fahdel nous invite à faire. Tales of the purple house n’est ni un film ni même un documentaire. On ne pourrait ni le définir ni...

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