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Économie - Monnaie

Le taux de change continue de donner le tournis

La BDL permet aux changeurs de catégorie A de traiter les demandes de conversion de livres en dollars au taux de Sayrafa.

Le taux de change continue de donner le tournis

Des manifestants bloquant l’accès au rond-point de Cola, dans le sud de Beyrouth, le 21 mars 2023. Photo Mohammad Yassine

Un pic record à 142 000 livres pour un dollar en matinée avant de retomber aux environs de 115 000 en fin de journée après une nouvelle intervention de la Banque du Liban sur les conversions au taux de Sayrafa, sa plateforme de change qui affiche un taux inférieur à celui du marché. Tels sont les principaux mouvements de la nouvelle séquence de folie qu’a connue le taux de change hier sur le marché réunissant les agents de change légaux et illégaux.

Avant cela, il était resté vaguement stable entre le 15 février et le 8 mars, aux environs de 80 000 livres pour un dollar, avant de commencer progressivement à grimper jusqu’à 110 000 livres du 9 au 19 mars. Et puis en moins de deux jours, le cours a progressé de plus de 30 000 livres avant de perdre cette marge en quelques heures hier après-midi. Le tout dans un marché toujours aussi opaque, vu la difficulté de tracer les transactions en cash et l’absence apparente de contrôle par les autorités.

Sayrafa à 90 000 livres

Juste avant que le taux de change ne repique du nez, la BDL a annoncé dans un communiqué un nouvel assouplissement des plafonds de conversion de livres en dollars au taux de Sayrafa qu’elle autorise via sa circulaire n° 161.

Adopté fin 2021, ce texte permet en effet aux fonctionnaires et autres particuliers, ainsi qu’à une partie des entreprises, d’échanger des livres libanaises contre des dollars fournis par la BDL via leur banque à un taux bonifié. C’est un des principaux mécanismes aménageant les restrictions bancaires illégalement mises en place depuis 2019 et limitant l’accès des déposants à leurs anciens comptes en dollars dans la zone grise entretenue par le gouvernement et le Parlement, qui laissent faire sans toutefois légaliser.

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Les plafonds de conversion sont généralement assez serrés (200 ou 300 dollars par compte et par mois), mais la BDL a entrepris à deux reprises depuis fin décembre dernier d’ouvrir provisoirement les vannes. L’objectif affiché par l’institution étant de tenter de reprendre le contrôle sur le taux du marché en injectant des liquidités en dollars – qui sont en principe achetées sur le marché parallèle avant d’être réinjectées – et d’aspirer des livres en circulation sur le marché.

Cette fois, la BDL a effectué deux changements notables : elle a majoré de manière conséquente le taux de Sayrafa, qui est passé des 83 500 livres fixées lors de l’actualisation de lundi soir à 90 000 livres. Cette variation reste importante, même si elle n’atteint pas le niveau de celle effectuée courant février (passage de 45 400 livres à 70 000 livres pour un dollar en une fois). Mais la grande nouveauté, c’est qu’elle a cette fois autorisé les agents de change de catégorie A (ceux qui peuvent importer et exporter des devises) à traiter les demandes de conversion. La BDL n’a cependant pas communiqué les modalités qui s’appliqueront.

La BDL a aussi assuré que les banques qui décideront de suspendre leur grève pourront « participer à cette opération » et que chaque conversion sera traitée en « trois jours », comme c’était le cas lors des deux dernières fois où l’institution a ouvert les vannes de Sayrafa. Les banques étaient en effet en grève depuis le 6 février dernier pour porter plusieurs revendications dont certaines concernent directement le sort des procédures en justice lancées par certains de leurs clients qui souhaitent retirer toutes leurs économies en cash. L’Association des banques du Liban a toutefois annoncé mardi soir qu’elle suspendait sa grève pour une durée indéterminée, et ce pour faciliter les transactions des clients à l’approche du mois de ramadan qui doit débuter jeudi.

Fermetures et blocages

Avant qu’il ne redescende en dessous de 120 000 livres pour un dollar, l’ascension du taux de change en début de matinée a eu le temps de provoquer d’importantes perturbations sur tout le territoire.

Au niveau des commerces, de nombreux changeurs sur le marché parallèle ont ainsi refusé de servir leurs clients, selon des témoignages parvenus à L’Orient-Le Jour, alors que les propriétaires des stations-service se sont pour leur part réunis en urgence pour décider d’arrêter de suivre la tarification en livres fixée par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, modifiée à trois reprises hier. Une réunion incluant tous les acteurs de la filière du carburant – essence, mazout et gaz – est prévue aujourd’hui pour adopter une position commune et peut-être entériner un nouveau mode de fixation des prix, cette fois en dollars.

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L’ordre des pharmaciens a, lui, appelé ses membres à fermer boutique en attendant de voir venir, la filière étant elle aussi tenue d’appliquer des prix en livres fixés quotidiennement par le ministère de la Santé. Mais l’ordre est revenu sur sa décision mardi soir après un accord avec les importateurs de médicaments.

De manière assez étrange, les groupements de boulangers n’ont apparemment pas donné de la voix alors qu’ils font généralement partie des premiers à monter au créneau dans ce genre de situation.

Sur le plan de l’ordre public, de nombreuses routes ont été bloquées par des manifestants mécontents. À Beyrouth, des protestataires ont bloqué à l’aide de conteneurs la route de Corniche Mazraa et celle de Cola, dans le sud de la capitale. À Tripoli (Liban-Nord), des manifestants ont bloqué un tronçon de l’autoroute avec des bennes à ordures et des pierres, selon l’Agence nationale d’information (ANI, officielle). Dans la Békaa, à Baalbeck, des chauffeurs de camionnette ont coupé la route pour protester contre la dépréciation de la livre et la forte augmentation des prix des carburants. D’autres manifestants ont également fermé l’axe Taalabaya-Chtaura. Enfin, au Liban-Sud, des manifestants ont bloqué l’autoroute Saïda-Beyrouth au niveau de Jiyé et la route Tyr-Naqoura, d’après notre correspondant dans la région Mountasser Abdallah.

Un scénario récurrent

Les causes précises des fluctuations du taux de change sont toujours aussi difficiles à démontrer, au-delà des diagnostics de surface. Ce qui est en revanche confirmé, c’est que le scénario démarrant par une hausse rapide du taux de change jusqu’à un pic précis, pour se conclure par une baisse brutale dans le sillage d’une décision de la banque centrale injectant des liquidités en dollars sur le marché via des canaux spécifiques, s’est déjà reproduit à six reprises depuis le début de 2022.

La première fois en janvier, le taux de change oscillait encore entre 24 000 et 33 000 livres pour un dollar. L’écart était important en valeur absolue, mais il l’était moins au niveau de la dépréciation par rapport à la valeur de la livre lorsque l’ancienne parité officielle avait encore cours, soit 1 507,5 livres pour un dollar. La monnaie nationale avait en effet déjà perdu 95 % de sa valeur début 2022, un ratio qui gravite autour de 99 % aujourd’hui.

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Sur cette période, plusieurs décisions prises par les autorités ont contribué à affaiblir la monnaie nationale dans une économie qui navigue à vue avec un secteur bancaire et des services publics inopérants, des dettes qui s’accumulent et un processus de réforme au point mort fermant la porte à tout soutien extérieur conséquent. Parmi les dernières conséquences de ces mesures, les supermarchés ont été autorisés en février à afficher leurs prix en dollars et à encaisser les montants soit en dollars soit en livres via le taux du marché affiché en quasi-temps réel. Le secteur de l’horeca avait déjà le droit de le faire depuis un moment, et une majorité de petits commerces avaient également pris le pli. Seules les pharmacies, les distributeurs d’essence et de gaz et les propriétaires de générateurs privés sont encore astreints à vendre leurs produits en livres selon une tarification fixée en livres. Une situation qui ne semble plus tenir qu’à un fil.

Un pic record à 142 000 livres pour un dollar en matinée avant de retomber aux environs de 115 000 en fin de journée après une nouvelle intervention de la Banque du Liban sur les conversions au taux de Sayrafa, sa plateforme de change qui affiche un taux inférieur à celui du marché. Tels sont les principaux mouvements de la nouvelle séquence de folie qu’a connue le taux de...

commentaires (4)

Ce que cet article a omis de mentionner c’est le manque de liquidité en monnaie locale. Un détail de taille. La LL est devenue aussi rare que la compétence des dirigeants. Alors que quelqu’un nous explique, avec quel argent et quelle monnaie les libanais sont censés acheter ne serait ce que le pain puisque c’est la seule denrée alimentaire à laquelle un grand nombre de libanais y ont accès. Comment les libanais sont censés vivre avec rien dans leurs poches et encore moins sur leurs comptes bancaires vu que leurs dirigeants les ont dépouillés en amont pour leur couper toute énergie et souffle et l’envie de protester pour réclamer leurs droits? Il n’y a plus rien en circulation dans notre pays à la portée des citoyens sauf la dépression et la folie comme moyens de résistance pour échapper au cauchemar dans lequel les politiciens véreux les ont mis et qui s’activent à serrer la corde autour de leurs cous pour abréger leurs souffrance pour seule solution. Le Liban finira par sortir vainqueur et ces pourris n’ont qu’à bien se tenir pour subir les conséquences de toutes les misères qu’ils ont infligé à un peuple qui n’a eu de tort que de les tolérer pendant une aussi longue période.

Sissi zayyat

11 h 18, le 22 mars 2023

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Commentaires (4)

  • Ce que cet article a omis de mentionner c’est le manque de liquidité en monnaie locale. Un détail de taille. La LL est devenue aussi rare que la compétence des dirigeants. Alors que quelqu’un nous explique, avec quel argent et quelle monnaie les libanais sont censés acheter ne serait ce que le pain puisque c’est la seule denrée alimentaire à laquelle un grand nombre de libanais y ont accès. Comment les libanais sont censés vivre avec rien dans leurs poches et encore moins sur leurs comptes bancaires vu que leurs dirigeants les ont dépouillés en amont pour leur couper toute énergie et souffle et l’envie de protester pour réclamer leurs droits? Il n’y a plus rien en circulation dans notre pays à la portée des citoyens sauf la dépression et la folie comme moyens de résistance pour échapper au cauchemar dans lequel les politiciens véreux les ont mis et qui s’activent à serrer la corde autour de leurs cous pour abréger leurs souffrance pour seule solution. Le Liban finira par sortir vainqueur et ces pourris n’ont qu’à bien se tenir pour subir les conséquences de toutes les misères qu’ils ont infligé à un peuple qui n’a eu de tort que de les tolérer pendant une aussi longue période.

    Sissi zayyat

    11 h 18, le 22 mars 2023

  • Dans un pays qui ne produit pas grand chose, qui achète tout ce qu'il consomme et qui n'a aucune richesse à part l'argent envoyé par les émigrés à leur famille, le taux de change n'a plus aucun sens. Le dollar peut atteindre 200 000, 500 000 ou même plusieurs millions de livres libanaises. Pour les libanais qui ignorent l'histoire économique, nous leur racontons le cas de l'Allemagne durant les années 1920. Le ticket de tram avait atteint le prix de plusieurs milliards de reichmark. Le prix d'une tasse de café doublait le temps de la boire. Et l'Allemagne était un grand pays industriel durant les années 1920. Pauvres libanais qui croient encore au miracle.

    Simon Manassa

    09 h 13, le 22 mars 2023

  • Si la monnaie nationale joue au yoyo, probablement c'est en raison d'une incompétence évidente des responsables en place qui ne savent pas juguler ce phénomène devenu incontrôlable

    C…

    08 h 03, le 22 mars 2023

  • Les précédentes interventions de la BDL n’ont eu d’effet que temporairement. Pourquoi espérer que ce soit différent cette fois-ci ? Nous connaissons tous la solution à ce problème: un gouvernement qui fait son travail en appliquant la feuille de route définie avec le FMI. Au lieu de ça tout le monde est occupé avec la sélection d’un président. Un président qui ne fera rien avancer ou reculer.

    K1000

    00 h 31, le 22 mars 2023

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