Pour l’IFI, le PIB libanais va continuer de s’écrouler en 2023

La crise libanaise et l’inaction de la classe politique face aux défis à relever pour remettre le pays sur les bons rails ont décidément bien eu raison de l’optimisme persistant, bien que de plus en plus prudent depuis 2019, de l’Institut de la finance internationale (IFI) dans ses attentes par rapport à la conjoncture libanaise.

L’organisation, qui regroupe plus ou moins 400 banques et sociétés dans l’industrie de la finance dans le monde, a ainsi estimé dans son dernier rapport, relayé cette semaine par le Lebanon Weekly Monitor de Bank Audi, que le PIB libanais s’écroulerait de 7 % en 2023, soit à un rythme plus élevé qu’en 2022 (-6,5 %). En valeur, le PIB devrait atteindre 14,8 milliards de dollars à la fin de ce même exercice, alors que l’IFI le mesurait à 51,7 milliards à fin 2019 (selon un de ses anciens rapports publié en 2020). Selon nos calculs, la contraction anticipée sur 4 ans est donc de l’ordre de 70 %. Si les prévisions de l’IFI sont proches des plus récentes établies par la Banque mondiale au cours de l’automne dernier (-5,4 % en 2022), cette dernière institution ne s’était alors pas avancée pour 2023, jugeant le niveau d’incertitudes trop important. Une délégation du Fonds monétaire international doit pour sa part se rendre au Liban au milieu du mois en vue de mettre à jour son diagnostic du pays. à noter que les estimations officielles libanaises sont très décalées, le Premier ministre sortant Nagib Mikati ayant annoncé en décembre dernier que le PIB libanais avait augmenté de 2 % en 2022.

Six taux de change !

Au niveau des causes, l’IFI cite sans surprise le blocage politique persistant et l’absence de réformes, près d’un an après la signature de l’accord préliminaire entre le FMI et les autorités libanaises. Ces dernières s’étaient engagées à lancer un certain nombre de chantiers préalables pour obtenir un accord définitif du FMI sur un programme de soutien de 3 milliards de dollars déboursés sur 4 ans. L’unification des taux de change coexistant sur le marché depuis le début de la crise, l’adoption d’une loi de contrôle des capitaux, d’une autre levant le secret bancaire, ou encore l’initiation des étapes préparant un assainissement du passif libanais et restructurant son secteur bancaire, faisaient partie de la liste.

L'éditorial de Issa Goraieb

Faune de caverne

Or, en un an, les autorités libanaises se sont contentées d’adopter une loi imparfaite pour lever le secret bancaire ainsi qu’un budget déséquilibré entré en vigueur avec 10 mois et demi de retard. Le processus d’unification des taux de change a bien commencé, mais il semble très mal embarqué vu que le taux du marché (plus de 80 000 livres pour un dollar) coexiste actuellement avec 5 autres : celui de Sayrafa (70 000 livres) ; celui de Sayrafa appliqué aux fonctionnaires pour les salaires payés en mars (45 400) ; celui du nouveau dollar douanier (45 000) ; le taux applicable pour les factures d’électricité de novembre et décembre 2022 (52 320, soit un ancien taux de Sayrafa majoré de 20 %) ; et enfin, la nouvelle parité officielle imposée le 1er février (15 000) en remplacement de l’ancienne (1 507,5).

Miracle

Pas étonnant dans ce contexte que l’IFI qualifie la possibilité que ces réformes soient lancées de « miracle » et se borne à mesurer l’ampleur du désastre provoqué sur l’économie formelle. L’institut anticipe ainsi que l’inflation continue d’afficher une croissance à trois chiffres dans la ligne des précédentes années (171,2 % d’inflation moyenne en 2022, selon les chiffres officiels).

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L’IFI voit de plus le dollar dépasser la barre des 110 000 livres, soit un taux de dépréciation de 99 %, par rapport à l’ancienne parité officielle, qui entraînera avec lui une augmentation de la décote (haircut) subie par les dépôts en dollar toujours illégalement bloqués dans le secteur bancaire.

L’organisation pense également que les réserves de change de la Banque du Liban, en dehors des près de 17 milliards de dollars d’or au cours actuel et des 5 milliards de dollars d’eurobonds que l’État ne semble pas près de commencer à rembourser, devaient passer de 10,6 milliards à près de 6 milliards de dollars en un an. La dégradation de la situation poussera 200 000 Libanais de plus à quitter le pays en 2023, soit autant qu’en 2022, considère encore l’IFI.L’organisation souligne enfin que, selon ses calculs, l’équivalent de 3 milliards de dollars sur les 19 milliards d’importations répertoriés en 2022 a été absorbé par la contrebande à destination de la Syrie. Le phénomène a été encouragé par l’ajustement tardif des droits de douane au Liban à la réalité du taux de change, la hausse globale des prix des denrées alimentaires et du carburant, et la porosité des frontières.