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Fugueuse Arabie


Celle-là, bien peu l’avaient vue venir.


Depuis les accords d’Abraham forgés par Donald Trump et son gendre Jared Kushner, les spéculations les plus hardies couraient quant à la suite raisonnable de ce sensationnel regroupement : à savoir le ralliement attendu, et d’ailleurs amorcé par légères touches, du colosse saoudite à une alliance visiblement hostile à l’Iran et alignant, côte à côte, Israël et des royaumes du Golfe. On avait tout faux, comme vient de le démontrer l’imprévisible Mohammad ben Salmane.


En reprenant langue, au contraire, avec la République islamique, en offrant à cette fin une fracassante victoire diplomatique au médiateur chinois, c’est à un acte d’émancipation (tout de même contrôlée) que se livre, en fait, MBS. À l’Amérique de Joe Biden qui le bat froid depuis cette monstrueuse affaire que fut l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi ; à cette même Amérique qui se désengage graduellement du Moyen-Orient, qui n’a pas levé le petit doigt lors des attaques répétées contre les installations pétrolières d’Aramco, le prince héritier et monarque de facto entend signifier ainsi que la priorité absolue va désormais aux intérêts bien compris de son royaume, sans pour autant que soit sérieusement remise en cause la vieille alliance avec l’Oncle Sam. Pour Riyad, le plus pressé est de mettre un terme à la catastrophique guerre du Yémen, ce Vietnam où MBS lui-même avait imprudemment posé le pied et qui, au siècle dernier déjà, avait vu la déroute d’une Égypte nassérienne, pourtant au faîte de sa puissance. Le même message s’adresse d’ailleurs à Israël, premier bénéficiaire du clivage sunnito-chiite planté – et assidûment entretenu – en divers points du monde arabe.


Toute transaction implique normalement, pour les partenaires, des concessions à accorder et des acquis à engranger. Aussi, les paris sont-ils déjà ouverts sur les retombées de ces improbables retrouvailles, partout où les deux poids lourds régionaux se sont trouvés en féroce compétition. Beyrouth se trouvant au nombre des capitales arabes que Téhéran se flatte d’avoir mises dans sa besace, on ne saurait cette fois reprocher aux Libanais de céder à leur proverbial nombrilisme en s’adonnant, avec bien plus de fébrilité que d’autres, au décodage de la grande devinette. En attendant qu’émergent les provisions souterraines du rétablissement des rapports diplomatiques irano-saoudites, on s’en tiendra cependant aux quelques constats suivants.


L’Arabie devant impérativement se désembourber – à grands frais sans doute – du Yémen, il serait logique qu’elle obtienne compensation sur d’autres terrains. Dont, veut-on espérer, le libanais : la fugue chinoise du royaume, bien que toute relative, jetant alors une lumière cruelle sur l’extrême, la tragique dépendance de notre pays qui attend quelque entente étrangère pour se doter d’un président de la République. L’affaire ne tient pas cependant à la seule élection présidentielle; principal bailleur de fonds de notre pays exsangue, l’Arabie ne donnera accès à ses coffres qu’à un Liban ami, rompant avec la dialectique et la subversion active du Hezbollah.


De là où il paraissait, la veille encore, minimiser l’impact qu’aurait tout rapprochement saoudo-iranien, Hassan Nasrallah n’a pu finalement que se joindre au concert de louanges qui a salué ce dernier. Subsiste néanmoins un problème de taille, à savoir la douteuse crédibilité de la République islamique et, bien sûr, de ses instruments. De l’entente de Mar Mikhaël à la fantomatique stratégie de défense, en passant par la fallacieuse politique de distanciation des conflits régionaux, nombreuses furent les mises à l’épreuve d’une milice se disant elle-même à la botte de l’Iran et que l’on s’est épuisé, mais en vain, à libaniser. Tout aussi nombreuses furent les déconvenues.


Bien du plaisir quand même, MBS !

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Celle-là, bien peu l’avaient vue venir. Depuis les accords d’Abraham forgés par Donald Trump et son gendre Jared Kushner, les spéculations les plus hardies couraient quant à la suite raisonnable de ce sensationnel regroupement : à savoir le ralliement attendu, et d’ailleurs amorcé par légères touches, du colosse saoudite à une alliance visiblement hostile à l’Iran et...