Un jour, quelqu’un demande à Schubert : « Dites, Herr Schubert, vous n’auriez pas de la musique triste ? » Interdit, il regarde alors la personne avant de lui répondre : « Mais existe-t-il donc une musique qui ne soit pas triste ? »
Son quatuor, le 13e, dans la tonalité de la mineur, exprime tout le désespoir du compositeur. Le 1er mouvement s’ouvre sur un dessin qui ressemble à celui du lied Marguerite au rouet, même atmosphère avec ce sentiment de solitude, sans révolte, sans amertume.
Intimiste dans son approche, le quatuor français Hermès, composé de deux violons, Omer Bouchez et Élise Liu, de l’alto Lou Yung-Hsin Chang et du violoncelliste Yan Levionnois – lors d’un concert extra-muros en l’église Saint-Élie de Kantari dans le cadre du Festival al-Bustan –, a réussi à trouver l’intense qualité essentielle à Schubert : la qualité du son.
Murmures, mi-voix, ombres mystérieuses et nostalgie... L’amplitude du son et du geste permettait aux musiciens de varier leurs attaques, sans les durcir. Avec des sonorités parfois légèrement embuées quand il le fallait. Les effets d’étirement et de redite, les « divines longueurs » dont parlait Schumann nous sont apparues ici encore plus divines que jamais.
Le morceau Mon âme est triste jusqu’à la mort de Lekeu était empreint d’un sourd désespoir et de passion. Les interprètes ont su faire jaillir l’abîme profond ainsi que l’affliction infinie de ce molto adagio sempre cantate doloroso.
Le Quatuor Hermès s’est ingénié à rendre à ce texte si difficile ses volutes et ses arabesques. Les phrases se voulaient en vrilles. On accélère, on ralentit, on force les pizzicatos, tout devient instable, mouvant. Le volume s’enfle pour mourir subitement et repartir dans une direction imprévue. Toute la partition zigzaguant de la « Belle Époque » faisait feu sur seize cordes. Force est de reconnaître que le Quatuor de Ravel est rendu, en conclusion, de main de maître avec un violoncelliste à la musicalité exceptionnelle.
Le Quatuor Hermès, formation qui en 10 années d’existence s’est hissée au rang des quatuors français désormais incontournables et rayonnant dans le monde entier, a terminé le concert avec un éclat qui nous a donné des frissons.
N’étaient-ce les applaudissements entre les mouvements, et ces insupportables portables qui s’allument, qui clignotent et qui sonnent, le Quatuor nous aurait peut-être offert un « encore ».