En France, pays qui se vante d’être la nation des droits de l’homme, « le sexisme ne recule pas, mais au contraire, perdure », a pointé le Haut Conseil à l’égalité (HCE) entre les hommes et les femmes, dans son rapport annuel publié le 23 janvier 2023.
Il s'agit d’idées toutes faites très répandues, ancrées dans les mentalités, admises à tort comme allant de soi, et que la plupart des gens ne questionnent même plus : par exemple, on entend souvent dire que les femmes n’auraient « pas le sens de l’orientation », qu’elles seraient « moins douées en maths », plus « sensibles et délicates » que les hommes, mais aussi « hystériques » ou alors « dépensières »…
Pourquoi ces stéréotypes persistent-ils à l’époque de #MeToo ? Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons posé la question à Muriel Salle, historienne spécialisée du XIXe siècle et coautrice du livre À l’école des stéréotypes : comprendre et déconstruire, publié en 2013 aux éditions L’Harmattan. Pour nous, elle décortique quelques-uns des clichés sexistes, nous en explique l’origine et déconstruit les idées reçues sur les différences entre les femmes et les hommes.
Muriel Salle, qu’en est-il réellement du cliché selon lequel « les femmes n’auraient pas le sens de l’orientation » ?
L’idée sous-jacente à cette affirmation est que les femmes auraient des problèmes de compétences visuo-spatiales. Des travaux ont certes montré qu’il y avait des différences entre les hommes et les femmes à ce sujet. Elles réussissent moins bien certains tests de rotation mentale : jeux vidéo, Rubik’s Cube, exercices liés à la 3D… Néanmoins, si on entraîne les femmes, on remédie à cet écart avec les hommes.
Pour résumer, le cliché est partiellement fondé mais il se soigne : c’est en fait une question d’éducation. Le jeu dans la toute petite enfance permet de construire de telles compétences. Or les petites filles se trouvent surtout en lien avec le langage et l’empathie, développés à travers leurs jeux, comme les poupées. Comme les fillettes sont moins incitées à jouer avec des jeux de construction, des briques Lego, par exemple, elles apprennent moins la compétence visuo-spatiale…
La prestigieuse médaille Fields en mathématiques n’a été attribuée que deux fois à une femme. De quoi confirmer l’idée reçue que les filles seraient « nulles en maths » ?
Cette idée est parfaitement fausse. Tous les chiffres de la réussite scolaire publiés par le ministère de l’Éducation nationale (en France) depuis vingt ans prouvent que les filles sont le sexe fort à l’école dans tous les domaines, y compris les mathématiques. Malheureusement, les filles croient qu’elles sont nulles en maths. C’est ce qu’on appelle « la menace du stéréotype » ou « les prophéties autoréalisatrices ». Il suffit de croire à quelque chose pour que d’une certaine façon celle-ci advienne… Les filles ne font donc pas les choix d’orientation scolaire ou professionnelle qui requièrent d’avoir un fort niveau en mathématiques, d’où la sous-représentation dramatique des jeunes femmes dans les filières d’ingénieurs [au niveau européen, en 2018, le CERN, organisation pour la recherche nucléaire, faisait état de seulement 20% de femmes au sein de leurs équipes - NdlR].
En France, depuis la réforme du lycée avec la suppression des filières, le pourcentage de filles qui poursuivent des mathématiques renforcées au lycée s’est effondré à 10 %. Continuer de faire croire aux petites filles et aux adolescentes qu’elles sont nulles en maths renforce leur exclusion des filières prestigieuses.
Les hommes ne seraient « pas capables de faire deux choses à la fois », est-ce vrai ?
Cela les arrange bien de le croire. À l’inverse on aurait tendance à dire que les femmes sont « multitâches ». Tous les travaux qui sont menés en neurologie montrent que les hommes ont des cerveaux tout à fait capables de faire plusieurs choses à la fois. En revanche, ils sont moins forcés de le faire dans la vie quotidienne que les femmes… Celles-ci doivent concilier et articuler des temps de vie, en étant à la fois des professionnelles et des mères de famille.
Les femmes seraient « plus sensibles et délicates » que les hommes, vraiment ?
Ce stéréotype renvoie à ce que la sociologie appelle la « socialisation différenciée ». C’est le fait que les hommes et les femmes sont éduqués de manière différente. Les femmes apprennent par les jeux d’imitation, comme la poupée, à décrypter les émotions. Elles sont aussi et surtout davantage autorisées à exprimer leurs émotions.
Des travaux anciens le montrent, comme l’expérience des pyjamas jaunes, réalisée régulièrement. Des adultes observent deux bébés de 9 mois en pyjamas jaunes [ni bleu ni rose, pour être le plus neutre possible, NdlR], un garçon et une fille sur leur tapis d’éveil. Systématiquement, la fille sera décrite par son physique. Elle sera qualifiée de « mignonne » tandis que le garçon sera décrit comme « tonique ». Et si un bébé se met à pleurer, on considère que la petite fille est « triste », donc on la câline et la réconforte, alors qu’on estime que le petit garçon qui pleure « a faim » ou est « en colère »…
Très tôt, les enfants apprennent qu’il y a des expressions qu’ils peuvent exprimer légitimement en fonction de leur genre. Les filles sont plus émotives certainement, mais c’est le résultat d’un long apprentissage. Cette socialisation différenciée dessert aussi beaucoup les garçons, pour qui le diagnostic de la dépression est difficile à établir.
Pourquoi associer « l’hystérie » aux femmes relève du sexisme ?
Au XIXe siècle, on qualifie les femmes d’« hystériques », pour dire qu’elles auraient les nerfs trop sensibles. Cela rejoint l’idée précédente sur l’émotivité des femmes. Paradoxalement, cette époque est le grand siècle de la poésie romantique avec des auteurs comme Victor Hugo ou Stéphane Mallarmé. Là, on a bien des hommes qui sont sensibles et expriment des émotions. Mais cette expression chez eux est légitime, car elle a un intérêt esthétique. Alors que l’émotion chez les femmes est présentée comme la preuve de leur faiblesse structurelle. L’anthropologue Françoise Héritier a nommé ce principe « la valence différentielle des sexes ». C’est-à-dire que le masculin vaut toujours plus que le féminin.
L’hystérie est associée aux femmes, c’est dans la racine grecque de ce mot, hystera, qui fait référence à l’utérus. Cela suggère que femmes tout entières seraient alors réductibles à leur utérus. Leur univers psychique serait commandé par certains aspects de leur vie physique. Si le cliché date, il existe toujours aujourd’hui. En réunion par exemple, si une femme est agacée, on s’interroge pour savoir si ce n’est pas à cause d’un syndrome prémenstruel… Cela renvoie à l’idée que le corps des femmes, notamment l’utérus, pilote tout le reste.
Les femmes ont-elles réellement ce qu’on appelle « l’instinct maternel » ?
Beaucoup de travaux montrent que l’instinct maternel est le résultat d’une construction culturelle et historique. Mais tout n’est pas que culture. Il existe des « hormones de l’attachement », produites lorsque l’accouchement se passe bien. Porter un enfant et le mettre au monde provoque des conséquences physiques et psychiques, qui influent sur le lien entre la mère et son bébé.
Le terme « maternel » répond aussi tout seul à la question, car il n’y a que les femmes qui peuvent être mères. Mais cela ne veut pas dire qu’elles sont les seules aptes à jouer un rôle parental. Aujourd’hui il existe de nombreuses nouvelles formes de paternités, riches et diverses.
Les femmes sont-elles vraiment « plus dépensières » que les hommes ?
On reproche systématiquement aux femmes des comportements qu’on leur prescrit. On ne peut pas avoir des normes esthétiques envers les femmes – qui se traduisent par le port de belles tenues vestimentaires, de beau maquillage, la préoccupation de garder un poids correct, etc. – tout en leur reprochant de dépenser de l’argent pour les atteindre. Ces injonctions coûtent de l’argent.
C’est le même raisonnement qui s’applique pour les sentiments des femmes. On ne peut pas demander aux petites filles d’être empathiques et à l’écoute, pour reprocher ensuite aux femmes devenues adultes d’être trop émotives. Au final, on reproche aux femmes ce à quoi on les entraîne toute leur vie.
Cet article est publié dans le cadre de “Towards Equality”, une opération de journalisme collaboratif rassemblant 14 médias d’information du monde entier mettant en lumière les défis et les solutions pour atteindre l’égalité des genres.
Comme dans n'importe quoi la position la plus juste se trouve dans les nuances. Je suis heureux que cet article donne des informations des deux côtés, quoique je regrette qu'on ne parle que peu de l'aspect biologique, qui pourrait infirmer ou confirmer certaines idées reçues.
17 h 52, le 08 mars 2023