Pour Samir Geagea, il est temps de passer à la vitesse supérieure. Quatre mois après le départ du président Michel Aoun, le chef des Forces libanaises semble plus que jamais disposé à affronter le Hezbollah et ses satellites… avec leur propre arme : le blocage. « S’ils (le parti de Dieu et ses alliés) parviennent à assurer 65 voix pour leur candidat, l’isolement arabe du pays sera plus accentué et le Liban ne sera plus une priorité pour l’Occident. Quant à la gestion de ses affaires internes, elle sera semblable à celle des six dernières années. Allons-nous rester les bras croisés ? Évidemment pas. Nous allons certainement boycotter (les séances électorales à la Chambre) », a tonné le leader chrétien dans une interview accordée hier au quotidien saoudien asharq al-Awsat. « Le Hezbollah s’en tient à son candidat. Mais en tant qu’opposition, nous ne sommes pas disposés à avaliser une démarche qui ne fera qu’aggraver la crise », a-t-il ajouté. Il s’est toutefois empressé de préciser que sa prise de position ne concerne pas la personne du leader zghortiote, avec qui il s’était réconcilié en 2018. Les origines de l’adversité, voire de l’animosité, entre les deux formations fortement implantées au Liban-Nord remontent aux jours noirs du début de la guerre civile, plus précisément à l’assassinat de Tony Frangié, père de Sleiman, et de sa famille à Ehden, en 1978, dans le cadre du conflit qui opposait à cette époque les Marada aux Kataëb, dont Samir Geagea était déjà un cadre militaire. Une page qui avait été tournée il y a plus de quatre ans sous la houlette du patriarche Béchara Raï.
Sauf qu’aujourd’hui, le chef des FL est prêt à tout pour barrer la voie de Baabda au candidat du Hezbollah, qui n’est autre que le leader des Marada. D’autant que le parti chiite a lancé le chantier qui devrait assurer les 65 voix requises pour l’élection de son favori au second tour. Cette déclaration du leader maronite rompt avec le discours traditionnel des FL qui se disent soucieuses du respect de la Constitution et du bon fonctionnement des institutions. Elle constitue surtout un subtil pas en arrière. Car, après avoir, dans un premier temps, menacé de bloquer l’échéance si elle devait aboutir à un nouveau mandat sous la coupe du Hezbollah, le chef des FL a récemment multiplié les déclarations dans lesquelles il affirmait se plier au jeu de la démocratie. Comment expliquer ce changement ? Serait-il lié à la réunion de Paris, début février, entre des représentants de la France, des États-Unis, du Qatar, de l’Arabie saoudite et de l’Égypte, consacrée au dossier libanais ? Car selon plusieurs sources concordantes, lors de cette réunion, Riyad – dont M. Geagea est le plus grand allié local – aurait exprimé son opposition à tout candidat proche du Hezbollah. Meerab préfère ne pas commenter la question, laissant la porte ouverte à plusieurs interprétations. Lors de son interview, le chef des FL a révélé avoir donné la même réponse à une partie locale et une autre internationale qui lui ont posé la question de savoir s’il était disposé à avaliser l’option Frangié pour débloquer la crise. Ni le chef des FL ni les milieux de son parti ne précisent de quelles parties il est question.
Mais dans certains milieux politiques, on n’exclut pas la thèse selon laquelle les Français seraient favorables à cette option ainsi qu’à la nomination de Nawaf Salam, ancien ambassadeur du Liban à l’ONU et juge à la Cour internationale de justice, au poste de Premier ministre. Pour les FL, cela n’est qu’un détail et l’important est ailleurs. « Quatre mois sont écoulés depuis le début de la vacance à la présidence, et le délai pour élire un nouveau chef de l’État a expiré il y a deux mois. Tout au long de cette période, nous nous sommes prêtés au jeu », a dit M. Geagea, accusant la formation jaune de « modifier les règles du jeu ». C’est dans ce cadre qu’il a inscrit sa volonté de boycotter les séances électorales si le parti chiite parvient à assurer les 65 voix requises à l’élection de son candidat.
« Nous ne sommes pas là pour exécuter leur agenda »
« Nous ne pouvons pas nous rendre à la Chambre quand le camp du Hezbollah décide que l’heure de l’élection du président (qui ne serait autre qu’une figure qu’il soutiendrait) a enfin sonné. Nous ne sommes pas là pour exécuter leur agenda », explique le porte-parole des FL, Charles Jabbour, dans des propos très similaires à ceux que le chef des Kataëb, Samy Gemayel, avait tenus il y a un mois lors du congrès général de son parti. Cela donne à penser que les composantes de l’opposition commencent à accorder leurs violons dans la perspective de la prochaine phase. Sauf que leur probable boycott risquerait d’anéantir les chances de leur candidat, le député réformiste de Zghorta, Michel Moawad, surtout en l’absence d’un plan B. « Cette prise de position de MM. Geagea et Gemayel est coordonnée avec M. Moawad, mais aussi avec des députés de la contestation », assure à L’OLJ un député opposant qui a requis l’anonymat. Il rappelle que la véritable bataille « est celle de mener un candidat souverainiste et réformateur à Baabda ». Une idée qui transparaît dans l’interview de Samir Geagea. Assurant « continuer à œuvrer pour assurer le plus de voix à M. Moawad », il a déclaré que le député n’est pas attaché à sa candidature. « De plus, nous ne brandissons pas le slogan “Moawad ou personne”. Mais nous n’avons toujours pas trouvé de meilleure alternative », a-t-il ajouté. L’escalade verbale de Samir Geagea face au Hezbollah coïncide avec le forcing international pour que l’échéance présidentielle se tienne dans les plus brefs délais, notamment depuis la réunion du 6 février à Paris. Une rencontre dont les résultats sont communiqués aux chefs de file libanais par l’ambassadrice de France à Beyrouth, Anne Grillo, et son homologue américaine, Dorothy Shea. Cette dernière s’était entretenue mardi avec le président de la Chambre, Nabih Berry, le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, et Samir Geagea. Hier, elle a rencontré Samy Gemayel à Saïfi. « Les grandes puissances veulent voir le pays doté d’un président mais pas n’importe lequel », confie Richard Kouyoumjian, ancien ministre FL présent à l’entretien avec la diplomate américaine. « À leurs yeux, il est urgent d’élire un président autour duquel les Libanais s’entendent », ajoute-t-il, assurant que les noms de présidentiables n’ont pas été évoqués ni avec Mme Shea ni avec Anne Grillo. Une façon de démentir les informations véhiculées dans les médias du 8 Mars selon lesquelles Mme Shea aurait laissé entendre, devant Nabih Berry, que Washington ne s’opposerait pas à l’élection de Sleiman Frangié.
La meilleure réponse à un mariage toxique est le divorce. Ici les grands enfants choisiront leur camp et les 20% ont de fortes chances de voir leurs rangs étoffés par ceux, majoritaires, qui, comme eux, aspirent au progrès de la Liberté de Penser.
12 h 42, le 05 mars 2023