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Urgence, qu’ils disent...

S’il est deux mots qui dominent régulièrement le lamentable jargon politique libanais, ce sont bien ceux de nécessité et d’urgence : piètres faux-fuyants, cependant, que ceux-là. On en use en ce moment, on en abuse même, pour justifier la réunion formelle en Conseil des ministres, et en l’inexistence de tout président de la République, d’un gouvernement démissionnaire depuis plus de trois mois et qui n’a d’autre vocation que d’expédier les affaires courantes. Le même argumentaire est développé pour banaliser, en flagrante violation de la Constitution, une séance législative du Parlement, lequel ne peut précisément se réunir qu’à seule fin de donner chair et os à ce fantomatique président.

Nécessité fait loi, professait déjà Montesquieu, et il peut certes arriver que des circonstances particulières viennent commander des mesures d’exception. Mais du moins, les démocraties les plus évoluées ont-elles prévu de tels cas de figure, et codifié les moyens légaux de contourner la procédure en étendant la compétence et les prérogatives des autorités. Rien de tel ici, hélas, mais passons. Car, bien davantage que cet alibi de nécessité invoqué par les dirigeants, c’est celui d’urgence qui suscite à juste titre une sainte colère, une rageuse indignation. Quoi, c’est maintenant seulement que ces messieurs du gouvernement et de l’Assemblée font enfin connaissance avec la notion d’urgence ? Ces cerveaux embrumés ne se sont-ils donc jamais doutés que l’urgence est par définition fille de soudaineté ? Qu’elle implique, toutes affaires cessantes, l’impératif d’une intervention rapide pour parer à une situation de détresse vitale brusquement apparue ?


Les voilà, pourtant, l’œil en alerte et le ton grave, à nous parler d’urgence, alors que le pays a entamé, il y a déjà plus de trois ans, cette inexorable descente aux enfers que lui promettait (et il a tenu parole !) le dernier en date des présidents. C’est quasiment en spectateurs à peine concernés que les responsables successifs ont géré, à coups d’expédients, la gangrène des institutions, le délabrement des services publics, la vertigineuse dépréciation de la monnaie et la cherté de vie, les pénuries répétées de denrées essentielles, de carburants et de médicaments, le délabrement des hôpitaux, les misères que connaissent nos écoles et universités...


Or, tous ces fléaux, Messieurs les faux urgentistes, n’ont pas surgi par génération spontanée. Ils n’ont fait que se développer, se ramifier, s’épanouir en monstrueuses floraisons sur ce terreau idéal que forment l’inconscience, l’incurie et la corruption : avec, pour engrais, les obscurs desseins nourris par d’aucuns envers le Liban. Sans forcément être un adepte de la théorie du complot, comment ne pas s’effarer en effet de ce chaos made in USA qu’évoquait l’autre soir Hassan Nasrallah en menaçant d’y répondre en l’étendant à la région tout entière ? À quels manipulateurs du presse-bouton faisait allusion hier le Premier ministre sortant à propos des actes de vandalisme commis la veille par des manifestants contre plusieurs agences de banque ? S’il est clair que des banques privées, la Banque du Liban et la mafia politique doivent se partager la responsabilité du désastre financier, les déposants croient-ils vraiment améliorer leurs chances de récupérer leur bien en mutilant un secteur déjà invalide ? Mais en revanche, quel crédit d’impartialité et d’équité pourrait-on raisonnablement accorder aux poursuites engagées contre des banquiers par une procureure qui s’est largement illustrée par ses attaches partisanes et qui a épargné de ses foudres vengeresses la banque illégale du Hezbollah ?


Réponses exigées. De toute urgence, comme le veut l’air du temps.

Issa Goraieb
igor@lorientlejour.com

S’il est deux mots qui dominent régulièrement le lamentable jargon politique libanais, ce sont bien ceux de nécessité et d’urgence : piètres faux-fuyants, cependant, que ceux-là. On en use en ce moment, on en abuse même, pour justifier la réunion formelle en Conseil des ministres, et en l’inexistence de tout président de la République, d’un gouvernement démissionnaire...