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La garantie du bonheur

La garantie du bonheur

© Marianne Tessier

Enseignant, journaliste et collaborateur régulier de plusieurs quotidiens et hebdomadaires français, Robert Colonna d’Istria est également l’auteur de nombreux ouvrages où la Corse, son histoire et ses traditions tiennent une place de choix. Son dernier opus La Maison qui vient de paraître chez Actes Sud raconte l’histoire de J., femme forte, avocate brillante qui choisit de construire une maison refuge sur une île jumelle de celle où elle a grandi et qui, loin de l’idéal dont elle a rêvé, la met face à la réalité ubuesque des travaux. Au-delà du récit, l’auteur nous invite à une réflexion sur l’attachement indicible qui nous lie à nos lieux de vie. À ces maisons, ports d’attache de nos existences qui finissent par nous habiter, nous apaiser et que nous transportons avec nous partout où la vie nous porte.

Pourquoi avoir choisi de désigner l’héroïne principale par une lettre alors que tous les autres protagonistes du roman ont un prénom ?

De même que je n’indique pas le nom de l’île où se déroule cette histoire – pour que chacun voie le territoire qu’il veut –, je ne voulais pas donner le nom de l’héroïne. Il fallait pourtant la nommer : j’ai choisi cette solution intermédiaire, mentionner la première lettre de son prénom. Cela donne un côté un peu mystérieux, mais permet surtout à l’imagination du lecteur de fonctionner. L’héroïne, chacun la baptise comme il veut – comme le Petit Prince, par exemple –, et chacun se la représente comme il l’entend. Mon récit est un conte, pas une entreprise réaliste…

J’aurais pu également répondre que la lettre J était la plus proche du pronom « Je »… Comme Flaubert assurait que Madame Bovary c’était lui, ne pourrais-je pas dire que J. c’est moi ?… Sans doute un peu… Du moins mes idées et ma vision du monde ont-elles nourri mon personnage. Même si, par jeu, j’ai baptisé un des protagonistes Robert…

Le thème de la famille est très présent dans votre œuvre. Les maisons de famille sont-elles pour vous un apaisement ou au contraire le testament du bonheur ?

Les maisons de famille sont des lieux de rassemblement : c’est là que les générations se retrouvent, que les différents rameaux se croisent. C’est un beau symbole. Un joli point de départ dans la vie. Ces maisons fabriquent de beaux souvenirs – ce qui n’est pas rien –, donnent une expression concrète à l’amour unissant les membres d’une famille. Mais je ne suis pas non plus en dehors de la réalité : je sais aussi qu’entre les murs d’une maison la cohabitation est parfois difficile, que les familles sont aussi le lieu de la jalousie, de l’envie, de la rivalité, et qu’on est souvent loin du bonheur pur et parfait. Une maison demeure néanmoins un rêve : elle donne une représentation de ce qu’on pourrait réaliser pour incarner la beauté, la sérénité. Une maison, c’est d’abord et avant tout une réalité dont on rêve, qu’on idéalise… Quant aux relations de famille, si elles ne sont pas toujours simples, elles demeurent – souvent, et par bonheur – riches en tendresse et en affection.

L’insularité est au centre du livre. J. choisit pour construire sa maison une falaise sur une île près d’un phare. Elle veut réinventer un ancrage, des souvenirs, un refuge et s’embarque en même temps dans nombre de problèmes à résoudre entre chantier et travaux. Pour vous, vivre sur une île est-il plus compliqué qu’ailleurs ou est-ce au contraire une promesse de sérénité ?

J’ai choisi de situer cette histoire sur une île, parce qu’une île est un territoire au premier abord séduisant et rassurant. On sait où il commence, où il finit. On s’y sent protégé du monde extérieur. On s’y croit à l’abri de tout ce qui pollue les continents. Je connais bien les îles – je vis sur une île, la Corse. Et je sais que la vie dans les îles, si elle est prestigieuse, est parfois plus compliquée qu’ailleurs. Parce qu’on est précisément isolé. Il y a l’enfermement, le monde clos insulaire. Il y a la mer à franchir. Elle peut être un obstacle redoutable. Et on a facilement, sur une île, le sentiment d’être marginalisé, oublié, d’avoir la plus mauvaise part. Les insulaires ont souvent le sentiment de leur vulnérabilité, ce qui donne une expression singulière à leur identité : ils se savent fragiles, mais à les écouter, on pourrait les croire une race élue, supérieure… Pour conclure, j’affirme qu’il n’y a pas, au monde, endroit plus riche, sur le plan symbolique, et plus délicieux que les îles.

Les maisons laissent en chacun de nous des parfums et des souvenirs… Quel parfum et quelle image pourraient résumer la vôtre ?

La maison dont je raconte l’histoire est face à la mer. Face à l’infini. Baignée de la lumière surnaturelle du ciel. Elle est entourée de la végétation de l’île, façonnée par les embruns et le vent. Sans doute dégage-t-elle une odeur de bois et d’iode. Une odeur de varech et de vent. Sans doute aussi s’y promènent parfois de délicieuses odeurs de cuisine, de plats préparés pour la joie de ceux qui sont là, membres de la famille, invités, ou bien l’odeur des confitures cuites en prévision des hivers. Et puis il y a forcément des odeurs de feux de bois – sans lesquelles il n’y a pas de soirées ou de souvenirs doux, et sans lesquelles il n’y a pas de vraie maison…

Votre ouvrage invite à la réflexion sur l’attachement que nous avons à nos lieux de vies ; aux vraies valeurs que tout un chacun voudrait dans une vie. Avez-vous bâti ce projet comme un conte philosophique ?

Certainement. Mon livre est une espèce de fable. J’ai été content de raconter cette histoire édifiante : on crée quelque chose, on rencontre des difficultés, on les surmonte, et ces embêtements vous transforment, vous rendent meilleur, font de vous quelqu’un d’autre que celui ou celle que vous étiez au début des opérations… C’est une espèce de parabole de la vie vécue pleinement, généreusement, de la vie acceptée. J’ai écrit ce livre pour montrer qu’il était nécessaire de rêver, indispensable de répondre aux aspirations spirituelles que l’on porte en soi. Qu’il fallait vouloir des racines – des maisons, une maison –, et qu’il était indispensable de s’en détacher… Qu’il fallait consentir à la vie, c’est-à-dire consentir aussi aux difficultés qu’elle nous réserve. Et qu’accepter la vie, c’était la garantie du bonheur.


La Maison de Robert Colonna d’Istria, Actes Sud, 2023, 160 p.

Enseignant, journaliste et collaborateur régulier de plusieurs quotidiens et hebdomadaires français, Robert Colonna d’Istria est également l’auteur de nombreux ouvrages où la Corse, son histoire et ses traditions tiennent une place de choix. Son dernier opus La Maison qui vient de paraître chez Actes Sud raconte l’histoire de J., femme forte, avocate brillante qui choisit de construire...

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