Critiques littéraires

De l’originalité d’un conte

De l’originalité d’un conte

Le Fil de la lune de Dominique Eddé, Dar Onboz, 2022, 64 p.

On baigne dans la magie en découvrant Le Fil de la lune. Avec ce conte bilingue pour tous les âges, l’écrivaine Dominique Eddé nous embarque, comme sur un tapis volant, vers un espace plein de lumière au-dessus d’un pays plongé dans le noir.

Inspirée par son travail avec les brodeuses au sein de l’atelier Khayt el-Zaman, l’auteure nous met en présence d’une femme qui brode une lune sur un morceau de tissu blanc, à la lueur d’une lanterne. Son fils Rami, accroupi à côté d’elle, a peur. Traumatisé par le souvenir de l'explosion du 4 août 2020, alors qu’il avait cinq ans, il est même en colère. Il s’empare d’un balai pour combattre l’ennemi inconnu qu’il imagine dans la partie obscure de la pièce. Le dialogue qui s’engage entre lui et sa mère est un voyage au pays des sentiments qui vont de l’effroi à l’amour qui se découvrira, juste après, à la fin du récit. Ainsi la paix sera-t-elle un long chemin blanc imprimé sur une double page. L’atmosphère est féérique, le sujet cruel.

L’ouvrage est illustré par les aquarelles de l’auteure, ainsi que par des broderies d’Imane Salameh et Randa Slimani. En couverture, une magnifique photo de Sarah Moon, d’une pleine lune dans un ciel noir aux reflets bleutés.

L’arabe, calligraphié par Samir el-Sayegh, est en soi une œuvre d’art au sein de ce livre intense, aussi dense que dépouillé. La traduction du français vers l’arabe est assurée par Nadine Touma qui dirige la maison d’édition Dar Onboz.

Étant donné que les brodeuses avaient du mal à reproduire « la colère », et que l’une d’elle a même senti qu’elle s’effondrerait si elle le faisait, c’est l’artiste Anouk Grinberg qui s’en est chargée dans le cadre d’une correspondance, entre Paris et Beyrouth, entretenue avec fils et aiguilles, à défaut d’une langue commune.

Il y a de l’innovation dans ce travail qui combine harmonieusement plusieurs outils visuels. Une alliance de techniques artistiques qui fait que l’œil va et vient d’une langue à l’autre, d’un paysage à l’autre, avec un double effet de douceur et de puissance. La dynamique engendre une dimension cosmique. L’intime devient ainsi universel, et l’universel de l’ordre de l’intime.

« Tu vois ? dit Imane à son fils qui découvre sur les genoux de sa mère la lune qu’elle vient d’achever, il y a toujours moyen de faire quelque chose même quand on n’a presque plus rien. »

C’est autour de cette phrase que s’articule le récit et que s’ouvrent les perspectives. « Et à quoi va servir cette lune ? » demande l’enfant. « Nous allons la vendre, répond sa mère, elle nous rapportera de quoi manger durant trois jours. » Le livre nous rappelle avec simplicité, à quel point, toute personne, pour peu qu’elle y croie, est capable de surmonter les épreuves, si dures soient-elles. Capable de transfigurer son vécu. On a là un exemple d’un phénomène paradoxal de notre pays, celui du courage individuel qui résiste miraculeusement aux ravages de l’impunité, un fléau qui sévit depuis plusieurs décennies.

Ce message, habité de poésie, a une portée philosophique : quand l’horizon est bouché, l’amour, le dialogue, la persévérance sont les meilleurs moyens d’entretenir la lumière. Message on ne peut plus lumineux, à l'heure où se poursuit inexorablement l'effondrement du Liban.

Oui, nous sommes bien, comme le chante Fayrouz, les voisins de la lune qui, à travers des interstices, éclaire nos nuits.


Le Fil de la lune de Dominique Eddé, Dar Onboz, 2022, 64 p.On baigne dans la magie en découvrant Le Fil de la lune. Avec ce conte bilingue pour tous les âges, l’écrivaine Dominique Eddé nous embarque, comme sur un tapis volant, vers un espace plein de lumière au-dessus d’un pays plongé dans le noir. Inspirée par son travail avec les brodeuses au sein de l’atelier Khayt el-Zaman,...

commentaires (1)

C'est beau. Merci

Brunet Odile

23 h 55, le 14 février 2023

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Commentaires (1)

  • C'est beau. Merci

    Brunet Odile

    23 h 55, le 14 février 2023

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