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Moyen-Orient - Entretien express

« L’Iran ne sera pas la voie espérée par Moscou pour contourner les sanctions »

Les économies russe et iranienne sont exsangues. Trouveront-elles une planche de salut avec leur nouveau système bancaire commun et la création possible d’une cryptomonnaie ? Éléments de réponse avec Nikita Smagin, spécialiste des deux pays au Carnegie Endowment for International Peace. 

« L’Iran ne sera pas la voie espérée par Moscou pour contourner les sanctions »

Ali Khamenei recevant le président russe Vladimir Poutine (g) en présence de son homologue iranien, Ebrahim Raïssi Photo d'archives AFP

Moscou et Téhéran ne sont pas des alliés naturels. Dans le secteur gazier par exemple, les deux pays disposant respectivement des première et deuxième réserves mondiales de gaz naturel sont plutôt des concurrents directs. Ainsi, après que les Européens ont commencé à boycotter le gaz russe dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine, l’Iran a un temps espéré se poser en alternative, un vœu pieux au vu des sanctions sévères qui le touchent depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire en 2018. Leurs différends tiennent aussi à la coopération de Moscou avec Riyad, dans le cadre de l’OPEP+, ainsi qu’à la Syrie, où ils soutiennent tous deux le régime de Bachar el-Assad avec parfois des intérêts divergents. Mais depuis quelques mois, pour les Occidentaux, Téhéran a encore aggravé son cas en réprimant brutalement le mouvement de contestation né après la mort de Mahsa Amini en septembre dernier puis en livrant des drones à la Russie à partir d’octobre. Sous le coup de sanctions supplémentaires, la monnaie iranienne a perdu près de 30 % de sa valeur sur le marché depuis septembre. De son côté, la Russie a rejoint l’Iran au rang de paria sur la scène internationale et multiplie les appels du pied vers son nouvel allié de circonstance dans leur opposition commune face à l’Occident. En juillet, Gazprom a signé un mémorandum de 40 milliards de dollars avec la Société nationale iranienne de pétrole, tandis qu’un député iranien a annoncé que Moscou allait livrer des avions de chasse d’ici à mars à Téhéran en échange des drones iraniens fournis. Dernière étape de ce rapprochement à marche forcée ? L’annonce le 30 janvier d’une alliance de leurs systèmes bancaires afin de se passer du réseau interbancaire Swift, dont les banques iraniennes et la majorité des établissements russes sont de fait exclus par les sanctions, ainsi que des discussions sur le lancement d’une cryptomonnaie commune. Ces outils permettront-ils aux économies des deux pays de sortir de l’ornière ? Rien n’est moins sûr, selon Nikita Smagin, chercheur sur l’Iran et la Russie au Carnegie.

Dans quelle mesure l’établissement d’un système bancaire alternatif entre Moscou et Téhéran est-il à même de soulager leurs économies, voire d’attirer d’autres États sous le coup de sanctions occidentales ?

L’Iran et la Russie ont annoncé un accord pour lier leur système bancaire. Il semblerait qu’un système de paiement commun entre les deux pays soit déjà en vigueur. Mais à l’heure actuelle, nous n’avons pas encore assez de données pour évaluer l’efficacité de ce système, notamment le niveau des commissions prélevées pour chaque transaction ainsi que le taux de change adopté. Or, ces questions sont cruciales pour savoir si ce système sera profitable pour les entreprises iraniennes et russes. On peut revenir sur l’exemple de la banque publique iranienne Melli, qui, en 2002, avait ouvert une branche à Moscou sous le nom de Mir Business Bank. Cette banque avait lancé un système de paiement commun entre les deux pays. Mais elle prenait une commission allant jusqu’à 30 % par transaction, ce qui a grandement freiné le commerce bilatéral. Des conditions plus acceptables pourraient marquer une étape concrète dans le développement des échanges commerciaux.

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Le problème est que le potentiel de commerce bilatéral est limité par la nature de leurs économies respectives. L’an dernier, malgré tous les efforts déployés par les deux pays pour les approfondir, leurs échanges commerciaux n’ont augmenté que de 15 % pour atteindre 4,6 milliards de dollars, soit seulement 1 % de ceux de la Russie. Ainsi, leurs relations vont continuer de s’approfondir de manière générale, mais leur potentiel économique limité, combiné aux défis internes de la République islamique, ne permettra pas à l’Iran d’être la voie de sortie espérée par Moscou pour contourner les sanctions.Par ailleurs, ce système a un faible potentiel de développement, car les sanctions ont rendu toxique tout ce qui est en lien avec la Russie et l’Iran. Seuls des alliés très proches, tels que la Syrie ou la Biélorussie, pourraient être intéressés de se joindre à l’avenir.

Outre cette alliance bancaire, Moscou et Téhéran ont annoncé qu’ils allaient lancer une cryptomonnaie commune. Ce genre d’outil financier peut-il aider leurs entreprises à contourner les sanctions ?

Le fait même que les Russes veuillent créer une cryptomonnaie, adossée à l’or, au moment où ils ont annoncé la création d’un système bancaire commun avec l’Iran, démontre que les autorités ne sont pas certaines que ce nouveau système fonctionnera bien. Le principal défi de ce nouveau système bancaire est en effet que la monnaie iranienne, le rial, fluctue de manière significative et qu’il existe actuellement deux taux différents par rapport au dollar – un taux officiel approuvé par la banque centrale et celui en vigueur sur le marché –, ce qui complique les calculs pour les exportations russes. À l’heure actuelle, le rouble est plus stable, mais, étant donné la profonde crise économique en cours en Russie liée aux sanctions, il reste à voir si le cours de la monnaie demeurera stable dans un futur proche.

Concernant les discussions sur la cryptomonnaie, il s’agira dans tous les cas d’un nouvel outil pour les entrepreneurs des deux pays. Ils auront besoin de temps pour le maîtriser, et je ne pense pas qu’il sera utilisé de façon généralisée, mais plutôt dans un nombre limité de secteurs. Le fait est que les deux pays, pour des raisons politiques et sécuritaires, ne sont pas intéressés par la transparence de leurs opérations financières. En ce sens, cette cryptomonnaie pourrait devenir un outil parfait pour le blanchiment d’argent, même si son but originel n’était pas de faciliter ce phénomène.

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Le rapprochement entre Moscou et Téhéran ne semble donc pas optimal, mais les deux pays y sont néanmoins incités par les sanctions. Est-ce le signe que ces dernières portent leurs fruits ? Les sanctions empêchent en effet les deux pays de rechercher de nouveaux partenaires commerciaux. C’est pour cette raison qu’ils sont attirés l’un vers l’autre. Si l’objectif est d’isoler Moscou et Téhéran et de compliquer leur développement, alors le but est atteint. Reste à voir dans quelle mesure cette approche suffira à restreindre leur capacité à créer des défis sécuritaires pour les autres pays. L’exemple iranien est en ce sens éloquent : malgré des années de sanctions, la République islamique continue de mener une politique étrangère menaçante au Moyen-Orient et au-delà.

Moscou et Téhéran ne sont pas des alliés naturels. Dans le secteur gazier par exemple, les deux pays disposant respectivement des première et deuxième réserves mondiales de gaz naturel sont plutôt des concurrents directs. Ainsi, après que les Européens ont commencé à boycotter le gaz russe dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine, l’Iran a un temps espéré se poser...

commentaires (8)

L'economie russe exangue , vraiment? Vous faites dans le comique ?

Eid Nasser

14 h 16, le 02 février 2023

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Commentaires (8)

  • L'economie russe exangue , vraiment? Vous faites dans le comique ?

    Eid Nasser

    14 h 16, le 02 février 2023

  • La dictature russe finira par plier, économiquement avant de plier militairement. La vieille eutope est comme les vieilles marmites et continue à faire de la très bonne soupe. L'inflation est maîtrisée, le chômage est au plus bas, le moral des européens, qui majoritairement soutiennent l'Ukraine, est au veau fixe. Jamais l'humanité n'acceptera de nouvelles dictatures. La Russie, tout comme l'Iran, ont choisi de semer la mort et le chaos au détriment de leurs peuples dont ils en ont que faire.

    Citoyen

    12 h 38, le 02 février 2023

  • 0 + 0 = 0 Par contre , l europe surprend en 2022 avec une croissance de 3,5 % encore plus élevée que la CHINE (2,8 %) ou les USA (2,1 % ),alors qu elle partait avec les pires handicaps !

    HABIBI FRANCAIS

    12 h 27, le 02 février 2023

  • Le troc conclut entre ces deux pays est représentatif de leur manière loufoque de fonctionner. Drones bas de gamme et efficaces livres contre avions de chasse hypothétiques, monnaie rare chez les russes qui peine à en avoir assez pour sa propre défense. Tout repose sur la confiance mutuelle de ces deux régimes menteurs et c’est que ça ne tient pas la route. Leur accord tournera vite au conflit et plus si affinité.

    Sissi zayyat

    10 h 44, le 02 février 2023

  • Il est temps pour la russie de realiser qu'elle ne pourra pas s'imposer par la force sur l'Ukraine ou n'importe quel autre pays. La Russie est un pays qui ne produit rien, a part le petrole, et de suite est considere comme une force mondiale a pouvoir tres limitee. Si la Russie n'avait pas la bombe nucleaire, elle serait considere comme un pays de troisieme classe.

    Ma Realite

    09 h 17, le 02 février 2023

  • Il est temps pour les occidentaux de signer la paix avec Poutine et arrêter le massacre qui ne mènera à RIEN !

    Chucri Abboud

    07 h 14, le 02 février 2023

  • Pas si pauvre que ça la Vieille Europe. En quelques mois, et contrairement aux prévisions c cataclysmiques que vous citez, l’Europe a réussi: . A réduire de 85% sa dépendance à l’égard du gaz russe. . A juguler l’inflation de manière spectaculaire. D’une inflation à 2 chiffres, on tourne autour de 5,5-6% et la baisse s’accélère. . La consommation rebondit et le moral des investisseurs est au beau fixe: les bourses européennes sont en hausse malgré le trou d’air provoqué par l’agression de la Russie en Ukraine. Il faut s’informer avant d’écrire.

    Massabni Antoine

    06 h 03, le 02 février 2023

  • La situation dans la pauvre Europe est beaucoup plus lamentable , on se demande comment ce vieux continent pourra résister aux crises épouvantables qui y sont déjà prévues !

    Chucri Abboud

    20 h 11, le 01 février 2023

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