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Celui qui sait et celui qui peut

Tarek Bitar face à Ghassan Oueidate. Le premier représente la quête de la vérité, l’autre incarne la force. L’un sait, l’autre peut, mais jusqu’où peut-il ?

Bitar sait : à la manière d’un Giovanni Falcone, en acceptant d’instruire le dossier le plus brûlant de l’histoire du Liban, celui de la monstrueuse double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, il a établi sa méthode. Seul contre tous, se protégeant et se préservant de toute influence ou pression, il a réussi à maintenir le secret d’une enquête qu’il a menée à la manière d’une fourmi, sourd aux menaces, minutieux, invisible, portant des poids qui le dépassent. Sur les dix-sept accusés qu’il a fait arrêter, un certain nombre sont proches de plusieurs partis au pouvoir, ce qui prouve son indépendance et souligne sa crédibilité.

Voilà de longs mois que l’instruction a été « provisoirement » retirée à Bitar et que le cours de la justice est arrêté. Treize mois, plus précisément, que les familles des victimes de l’explosion remuent ciel et terre pour que justice soit faite. Une période que Bitar semble avoir mise à profit pour invalider, textes à l’appui, les nombreux recours en invalidation selon lesquels il a été dessaisi de l’enquête. A-t-il repris courage après sa rencontre, le 17 janvier, avec des magistrats français venus enquêter sur la mort, dans la même catastrophe, de deux de leurs concitoyens ? Est-ce une simple coïncidence, son dossier étant prêt ? Tarek Bitar annonce reprendre son enquête envers et contre tout. Mieux, il engage des poursuites à l’encontre du procureur.

Oueidate est le procureur général près la Cour de cassation qui représente l’action publique. Autrement dit, drôle de paradoxe, les Libanais en tant que société. En réalité, toutes ses actions et réactions montrent qu’il roule pour le pouvoir, ce paquet de haine et d’intérêts imbriqués qui a placé ses pions de manière stratégique dans le plus pur style de la mafia. L’exemple de l’arrestation pour « insulte à la justice », de William Noun, frère du pompier Joe Noun emporté par l’explosion en pleine mission, est en ce sens l’un des plus probants.Le procureur est « partie » et, donc, techniquement, il n’est pas juge. Il ne peut pas être les deux.

Doublement partie, d’ailleurs, puisque Ghassan Ouiedate a des liens de parenté avec l’un des accusés qui n’est autre que l’ancien ministre Ghazi Zaaiter. Ce qui l’a contraint à se désister du dossier. Le parquet prend prétexte de l’absence du procureur pour s’abstenir d’assister aux interrogatoires, incitant du même coup les accusés à ne pas s’y présenter. Treize mois que, par tous les moyens, le parquet paralyse les procédures et protège les accusés.

Hier, coup de théâtre ! Oueidate décide la remise en liberté des dix-sept détenus arrêtés sur ordre de Bitar qui n’a pourtant demandé la libération que de cinq d’entre eux. Les décisions judiciaires, telles que les remises en liberté, appartiennent aux magistrats y compris le juge d’instruction. Oueidate n’est pas juge. Mais la volière est ouverte, et l’un des principaux détenus, le directeur des douanes Badri Daher, faisait hier une sortie triomphale après plusieurs centaines de jours derrière les barreaux. Le procureur fait l’objet de nouvelles poursuites de la part de Bitar, mais il réplique en le poursuivant à son tour « pour abus de pouvoir ». Voilà qui est pour le moins ironique, au regard des prérogatives du procureur.

« Vous n’êtes pas Dieu », dit, solennelle, l’avocate de Daher au juge Bitar. Une petite phrase qui en dit long. Aussi long que l’attente de la justice divine à laquelle l’avocate semble remettre la douloureuse affaire.

Dieu s’immisce d’ailleurs partout, dès qu’il s’agit de la double explosion au port. Il n’est que de lire la brève réponse de Oueidate à Bitar, citant les Évangiles et le Coran, quand le juge d’instruction a annoncé reprendre son enquête. Dieu a bon dos quand il s’agit de se dérober à la justice humaine. Que n’avons-nous entendu répéter par les parties intéressées que les victimes de la double explosion n’étaient victimes que du hasard ? Le hasard, comme disait Einstein, Dieu qui se promène incognito…

L’annonce de ce retournement de situation a enfoncé un peu plus dans le désespoir les familles des victimes qui avaient recommencé à rêver. La justice, dernier rempart de l’État, dernier recours des lésés, des abusés, s’est-elle brusquement effondrée hier, avec tout le reste ? Les familles des victimes appellent à un rassemblement massif ce matin, devant le Palais de justice. Certaines voix appellent à la vengeance. Bitar jure de ne plus lâcher son dossier jusqu’à l’acte d’accusation. Cette obscurité n’en est pas une pourtant. Elle ressemble à un éblouissement. La réaction aussi brutale qu’aléatoire du procureur jette la lumière la plus vive sur les copains et les coquins. La vérité est là, à peine voilée. Et tant qu’à y mêler Dieu en paraphrasant les Écritures, que celui qui a des yeux, qu’il les ouvre.

Tarek Bitar face à Ghassan Oueidate. Le premier représente la quête de la vérité, l’autre incarne la force. L’un sait, l’autre peut, mais jusqu’où peut-il ?Bitar sait : à la manière d’un Giovanni Falcone, en acceptant d’instruire le dossier le plus brûlant de l’histoire du Liban, celui de la monstrueuse double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, il a établi...
commentaires (6)

"Grandeur et misère de la justice", mais d’abord Respekt ! (respect en french) pour votre Edito de ce matin. Evidemment, on ne peut pas mettre la détermination de M. Bitar sur le dos d’une certaine maladie mentale (dans le narratif et articles précédents, un tel a dit de lui qu’il est malade mental), ça sera insulte à toute personne éprise de vérité sur ce drame. ""l’un sait"", on peut déjà dire que, Bitar sait tout mais pas plus, parce qu’on devine la suite à son acte d’accusation ? La peur de la vérité, mais pas de la vérité seulement ! Pourquoi sous certains régimes, les gens ont peur, pourquoi ? Je ne suis pas technicien du droit, ni un procédurier, pour dire si la méthode de travail de Bitar est la plus efficace pour dire la vérité ? La saga de l’enquête, voilà le prix de l’échec d’une transition vers une bonne démocratie, d’abord malmener la justice, l’obstruer, et c’est la raison du plus fort, pas seulement du haut de son hiérarchie, mais de ceux qui se trouvent dans les coulisses. C’est tout à fait ça : ""L’un sait et l’autre peut. Mais jusqu’où peut-il aller""... trop loin, c’est toute la question… Question d’hubris, mais pas seulement d’orgueil. Chez nous, on ne sait pas jusqu’où on peut aller trop loin. La photo de la petite Alexa qu’on brandit suffit pour dire la douleur, et loin du pays.

NABIL

17 h 06, le 26 janvier 2023

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Commentaires (6)

  • "Grandeur et misère de la justice", mais d’abord Respekt ! (respect en french) pour votre Edito de ce matin. Evidemment, on ne peut pas mettre la détermination de M. Bitar sur le dos d’une certaine maladie mentale (dans le narratif et articles précédents, un tel a dit de lui qu’il est malade mental), ça sera insulte à toute personne éprise de vérité sur ce drame. ""l’un sait"", on peut déjà dire que, Bitar sait tout mais pas plus, parce qu’on devine la suite à son acte d’accusation ? La peur de la vérité, mais pas de la vérité seulement ! Pourquoi sous certains régimes, les gens ont peur, pourquoi ? Je ne suis pas technicien du droit, ni un procédurier, pour dire si la méthode de travail de Bitar est la plus efficace pour dire la vérité ? La saga de l’enquête, voilà le prix de l’échec d’une transition vers une bonne démocratie, d’abord malmener la justice, l’obstruer, et c’est la raison du plus fort, pas seulement du haut de son hiérarchie, mais de ceux qui se trouvent dans les coulisses. C’est tout à fait ça : ""L’un sait et l’autre peut. Mais jusqu’où peut-il aller""... trop loin, c’est toute la question… Question d’hubris, mais pas seulement d’orgueil. Chez nous, on ne sait pas jusqu’où on peut aller trop loin. La photo de la petite Alexa qu’on brandit suffit pour dire la douleur, et loin du pays.

    NABIL

    17 h 06, le 26 janvier 2023

  • Si Paris valait bien une messe, faudra montrer de quoi vous êtes faits si jamais il arrive un malheur à Tarek BITAR. Le monde qui semble avoir détourné le regard fatigué des malheurs, Libanais, cette fois vous regardera autrement au cas où vous "laisseriez faire" encore.

    Lillie Beth

    15 h 47, le 26 janvier 2023

  • Incroyable cette envie de tout obstruée contre toute impunité au pouvoir ! Puisse Dieu accompagner Tarek Bitar à aller jusqu’au bout de cette mafia!

    Amal E Sayegh

    11 h 43, le 26 janvier 2023

  • Étonnants ces libanais……. Devant une catastrophe nationale qui a détruit le port et des quartiers entiers , faisant plus de 200 morts et des milliers de blessés, la logique aurait voulu que l’enquête soit diligentée sans tenir compte des procédures qu’on applique normalement devant des accidents de la vie courante. Aucune immunité, aucun obstacle ne doit dans ce cas empêcher le juge de mener son enquête. Le procureur, les ministres , les officiers, etc…..auraient dû se présenter d’eux même pour apporter leur lumière à la recherche de la vérité……ils ont agi comme si c’est un accident de la route entre deux voitures……et on y appliquent les lois qu’on applique normalement sur un accident banal. Or, il s’agit d’une catastrophe nationale et ce sont des lois d’exception qu’il faut appliquer qui n’épargnent personne…… triste situation ….. pauvre pays…..Mafia qui nous tient à la gorge……

    HIJAZI ABDULRAHIM

    11 h 27, le 26 janvier 2023

  • C'est le combat de David contre Goliath. Mais à ce que je sache Goliath n'était pas un grand juriste diplômé des grandes universités chargé de par ses fonctions de faire respecter la Loi et de poursuivre les criminels au nom du peuple de son pays!

    Georges Airut

    03 h 18, le 26 janvier 2023

  • Folie Envie de crier

    Amélie Tig

    00 h 13, le 26 janvier 2023

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