Le juge d'instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, dont l'enquête sur la double explosion au port de Beyrouth est suspendue depuis plus d'un an en raison de procédures lancées contre lui par des responsables politiques, a annoncé lundi sa décision de reprendre la main sur l'enquête. Dans ce cadre, il a engagé des poursuites contre huit personnes et décidé de libérer cinq détenus.
La double explosion du 4 août 2020 a fait plus de 220 morts et 6.500 blessés et ravagé des quartiers entiers de la capitale libanaise.
La décision de relancer l'instruction, annoncée par M. Bitar à L'Orient-Le Jour, a été prise "sur base d'études juridiques menées depuis un mois pour sortir de l'impasse devant laquelle de multiples recours judiciaires ont placé l'enquête".
Le magistrat a expliqué avoir décidé de chercher les moyens de reprendre la main sur l'enquête après avoir constaté l'impasse totale dans laquelle se trouvait le traitement des recours légaux.
Cinq remises en liberté
Par ailleurs, des sources au Palais de Justice de Beyrouth ont annoncé que M. Bitar a décidé de remettre en liberté cinq personnes détenues dans le cadre de l'enquête, à savoir l'ancien directeur des douanes Chafic Merhi (prédécesseur de Badri Daher), Ahmad Rajab, un ouvrier syrien qui avait effectué des soudures lors de travaux d'entretien du hangar où se trouvait stocké le nitrate d'ammonium, Sélim Chebli, l'entrepreneur chargé de superviser ces travaux, Sami Hussein, directeur des opérations au port, et Michel Nahoul, directeur de projets au port.
Les mêmes sources judiciaires ont annoncé que le juge Bitar a engagé des poursuites contre huit autres personnes, dont le chef de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, et celui de la Sécurité de l'Etat, Tony Saliba.
Réaction du ministre de la Justice
Suite à cette annonce, le ministre sortant de la Justice, Henri Khoury, a annoncé avoir transmis au Conseil supérieur de la magistrature une copie d'extraits de la décision du magistrat Bitar "diffusés dans les médias" pour examen. "Rien ne peut influencer le cours de ce dossier et le bon déroulement de la justice, notamment en ce qui concerne la nécessité de préserver le secret de l'enquête", a indiqué M. Khoury dans un communiqué transmis par l'Agence nationale d'Information (Ani, officielle).
"Il était temps pour le juge Bitar de reprendre son travail (..) Ils sont tous impliqués dans l'explosion du port et ils ont peur de la vérité", a affirmé à l'AFP en allusion aux dirigeants libanais Tatiana Hasrouty, dont le père a été tué dans l'effondrement des silos du port.
Bataille contre la politique d'impunité
"Le juge Bitar a lancé une bataille contre la politique d'impunité", a de son côté expliqué à l'AFP Nizar Saghié, directeur de l'ONG Legal Agenda. "La confrontation sera rude", a-t-il ajouté, expliquant s'attendre à "des interférences et des pressions politiques" pour l'empêcher à nouveau de poursuivre son travail.
L'enquête était suspendue depuis treize mois en raison des nombreux recours en invalidation contre le juge Bitar, présentés par des responsables politiques convoqués dans le cadre de l’enquête, dont les députés du mouvement chiite Amal Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaiter et l'ancien ministre des Travaux publics Youssef Fenianos, proche du parti Marada de Sleiman Frangié. Une enquête a également été ouverte en France, deux Français figurant parmi les victimes.
La déflagration a été provoquée par un incendie dans le hangar numéro 12 au port de Beyrouth, où étaient stockés depuis 2013 sans mesures de précaution plusieurs milliers de tonnes de nitrate d'ammonium, un explosif également utilisé comme engrais.
Mercredi dernier, M. Bitar s'était entretenu avec une délégation judiciaire française venue au Liban pour enquêter sur la mort de deux citoyens français lors du drame.
Le désordre croissant va peut-être nous mener vers le chaos constructif. Un espoir: La justice libanaise s’est décrédibilisée a un tel point qu’elle ne trouvera pas les ressources pour réagir et seuls quelques juges de bonne volonté pourront se démarquer …avec le support des victimes contre la mafia (manzoume).
10 h 28, le 24 janvier 2023