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Culture - Entretien

Que donne aujourd’hui une relecture des films de Jocelyne Saab ?

Dans le cadre du festival « Beirut the Second Encounter », une projection d’anciens documentaires inédits et restaurés de la cinéaste et journaliste libanaise (1948-2019) aura lieu au cinéma Galaxy ainsi qu’une conférence où intervient Mathilde Rouxel au sujet de la restauration de ces derniers. Rencontre avec la chercheuse et enseignante en cinéma, ancienne assistante de l’intrépide artiste pionnière, auteure de « Jocelyne Saab, la mémoire indomptée » (éditions an-Nahar, 2015).

Que donne aujourd’hui une relecture des films de Jocelyne Saab ?

Une image extraite du documentaire « Lettre de Beyrouth » (1978), de Jocelyne Saab. Photo DR

Qui êtes-vous Mathilde Rouxel et comment est née l’association Jocelyne Saab ?

Je suis chercheuse universitaire, programmatrice des films arabes au festival Aflam à Marseille. J’ai été aussi l’assistante de Jocelyne Saab. Au sein de l’association qui s’est créée après le décès de la cinéaste libanaise, j’ai travaillé pour la valorisation de ses films en compagnie de Jinane Mrad qui s’est occupée de toutes les questions administratives.

On avait décidé, avec le fils de Jocelyne, de créer cette association après son décès pour m’occuper légalement des archives. On a fait ça juste après son décès parce qu’elle voulait que je m’occupe aussi de la distribution des films. J’avais très envie de restaurer ses films. On a constitué donc un groupe dont fait partie notamment Michèle Tyan (actrice, cinéaste et productrice).

Le festival The Second Encounter vous a donné l’occasion de montrer ces films restaurés. Que donne aujourd’hui une relecture des films de Jocelyne Saab ?

Dans le cadre des conférences du festival The Second Encounter, j’interviendrai mercredi 23 janvier (voir encadré) pour parler de la possibilité de restaurer des films au Liban sans trop dépenser de l’argent et aller dans des laboratoires en Europe ou ailleurs. Nous avons pu restaurer quinze films avec un budget de 30.000 euros alors que ça pouvait atteindre les 300.000 euros ailleurs.

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Par ailleurs, à l’Institut français, une exposition se déroule jusqu’au 2 février. Elle montre une infime partie de notre travail car, outre les films, l’association s’occupe également de la restauration des archives papiers (scénarios, photos, lettres, textes annotés…). Il y aura aussi la projection du making of d’Une Vie suspendue où on voit Jocelyne à l’œuvre. On veut montrer que le cinéma se fait aussi avec des papiers. Cette exposition est un prélude à un plus grand événement qui aura lieu plus tard.

Pourquoi avoir voulu restaurer les films de Jocelyne Saab et avaient-ils vraiment besoin d’être restaurés ?

À l’origine, ce projet est né parce que nous nous sommes rendu compte qu’un grand nombre de ses films n’étaient pas très connus et que les gens avaient du mal à les voir. Une des raisons pour lesquelles on ne pouvait accéder aux films, c’est que Jocelyne elle-même n’avait pas accès à tous ses films, le matériel original ayant été déposé par elle au Centre national du cinéma en France (CNC) en 1990 quand elle avait réalisé le film Il était une fois Beyrouth. De plus, les copies en notre possession étaient en très basse résolution, des copies issues de versions bêta, de cassettes, qui n’étaient pas forcément en bonne qualité. Nous étions donc partis de ce matériel-là puis nous avons trouvé d’autres montages, ceux qui avaient été faits pour la télévision. Ce projet de restauration a pris quatre ans de travail.

Comment vous avez fait la connaissance de Jocelyne Saab ?

J’avais fait un master en cinéma à l’ENS de Lyon. Suite à cela, j’étais venue passer une année à l’Institut des études scéniques et audiovisuelles de l’USJ (Iesav) en 2013. C’est comme cela que j’ai rencontré Jocelyne et j’ai travaillé sur ses films. D’abord en tant que chercheuse sur son cinéma puis en tant qu’assistante. D’une part, je faisais de la recherche et, de l’autre, j’étais l’archiviste de son travail. Elle et moi avions commencé à recenser tout son travail et à rassembler les cassettes sans toucher au problème de restauration. J’avais ainsi toutes les clés en main.

Mounir al-Mahmoud, Ralph Aoun et Adrien von Nagel à l’œuvre dans l’atelier de restauration sur les films 16mm de Jocelyne Saab, en août 2021. Photo DR

Qu’est-ce qui vous a d’abord frappé en Jocelyne et qui vous a poussé à vouloir travailler avec elle ?

Je n’avais jamais vu ses films mais je devais faire ce travail de recherches comme je l’ai dit auparavant. Par hasard, j’ai vu une interview d’elle à l’occasion de son film Le Liban dans la tourmente en 1975. C’est ainsi que je l’ai découverte et j’ai eu envie de la rencontrer et de travailler avec elle. Aussitôt, elle m’a embarquée dans son projet de festival de résistance culturelle et m’a demandé d’être son assistante. Elle était comme ça Jocelyne, elle emportait tout le monde avec elle. J’étais donc d’abord admirative d’elle avant de l’être de ses films car c’était une femme généreuse qui donnait une entière confiance à ceux et celles avec qui elle travaillait. La relation avec les autres était un engagement comme son engagement pour son pays.

Comment définissez-vous à l’heure actuelle le cinéma de Jocelyne Saab ?

Même si son cinéma était très bien situé, surtout au Liban, il parle néanmoins à tout le monde et il est universel. Elle était une des premières femmes à prendre la caméra pour montrer le réel pas seulement au Liban, mais ailleurs aussi. On ne peut pas considérer que son cinéma est purement militant car elle n’est pas envoyée par un parti ou par une organisation comme l’OLP pour défendre leur cause. C’est une femme libre qui s’arroge le droit de critiquer. Elle n’est engagée que pour son pays, pour qu’on laisse les gens tranquilles et pour que la paix s’installe et persiste. C’est pourquoi ses films aujourd’hui sont très actuels, alors que certains de Randa Chahhal qu’elle avait faits au début de sa carrière pour l’OLP sont moins actuels. On y voit le produit d’une époque alors qu’on a l’impression que les films de Jocelyne traitent du Liban d’aujourd’hui. Ce qui est d’ailleurs assez effrayant, car elle avait détecté les nœuds de la société et comment les gens étaient devenus méchants et commençaient à s’armer les uns contre les autres. Elle regardait du côté humain et non politique. Son cinéma traverse le temps et les frontières. C’est pourquoi on a voulu les restaurer car ça parle à tout le monde. Ses films ont une force telle que ça nous pousse à nous questionner sur nous-mêmes.

Jocelyne Saab, caméra au poing. Photo DR

Si elle était encore en vie, que pensez-vous qu’elle aurait ressenti en voyant son pays dans cet état et même le monde ?

La connaissant, je crois qu’elle aurait été désemparée, surtout pour le Liban, pour cette génération qui s’est battue pour la liberté, pour plus de tolérance. Les derniers mois de sa vie, il y avait l’assassinat de Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite en Turquie, elle n’arrêtait pas de regarder l’actualité. Elle était triste de la tournure que prenait le monde.

Est-ce que la restauration de ses films et une seconde lecture pourraient réveiller les gens, voire les secouer ?

C’est un peu un cercle vicieux. Nous avons effectué la restauration des films avec des jeunes, d’une manière militante et non dans des laboratoires, parce que ces jeunes s’intéressaient déjà aux images de Jocelyne. Ces jeunes-là ont donc envie de revoir ces images et d’avoir des outils en main pour avancer. Grâce au festival The Second Encounter qui invite à une seconde lecture de certains films du passé, il a ainsi cet intérêt pour ces films-là non par nostalgie, mais d’une façon active.

Programme

Les projections des films restaurés de Jocelyne Saab au Grand Galaxy Cinema se déroulent selon le calendrier suivant :

Samedi 21 janvier– 19h30 : Letter from Beirut (49 minutes)

Lundi 22 janvier– 18h : Palestinian Women (12 minutes) ; The Rejection (14 minutes) ; New Crusader in the Orient (10 minutes)

– 19h30 : Lebanon in Turmoil (75 minutes)

Mardi 23 janvier– 19h30 : Children of War (12 minutes), South Lebanon (15 minutes) ; Beirut Never Again (38 minutes) ; For a few lives (21 minutes).

Mercredi 25 janvier

– De 18h à 19h : « Restaurer les œuvres de Jocelyne Saab : conversation avec Mathilde Rouxel ».

Qui êtes-vous Mathilde Rouxel et comment est née l’association Jocelyne Saab ? Je suis chercheuse universitaire, programmatrice des films arabes au festival Aflam à Marseille. J’ai été aussi l’assistante de Jocelyne Saab. Au sein de l’association qui s’est créée après le décès de la cinéaste libanaise, j’ai travaillé pour la valorisation de ses films en...

commentaires (1)

Je vous signale une coquille à corriger dans cer article archivé. Remplacer dans le texte "cercle vicieux" par cercle vertueux. La preuve de cette erreur provient de cet extrait d'un autre article sur le même sujet paru dans votre journal en 2019 : " Il faut, pour ressusciter le cinéma de Saab, créer un cercle vertueux d’information sur ses films et de travaux de restauration. " Merci.

Jad Roukoz

18 h 56, le 15 mars 2024

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  • Je vous signale une coquille à corriger dans cer article archivé. Remplacer dans le texte "cercle vicieux" par cercle vertueux. La preuve de cette erreur provient de cet extrait d'un autre article sur le même sujet paru dans votre journal en 2019 : " Il faut, pour ressusciter le cinéma de Saab, créer un cercle vertueux d’information sur ses films et de travaux de restauration. " Merci.

    Jad Roukoz

    18 h 56, le 15 mars 2024

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