
Un billet fictif de 5 lollars imaginé par l'artiste Tom Young lors d'une exposition tenue à Beyrouth en mai dernier. Photo P.H.B.
La Banque du Liban a une nouvelle fois choisi d’attendre la fin de la semaine pour adopter une mesure annoncée depuis des mois, mais dont les effets sur le taux de change dollar/livre sur le marché sont cependant difficiles à anticiper compte tenu de la complexité de la crise que traverse le pays.
Comme annoncé en novembre dernier par son gouverneur Riad Salamé, la BDL a ainsi officialisé le passage du taux de conversion des « dollars bancaires » ou « lollars » à 15 000 livres pour un dollar. Le changement de taux est programmé pour le 1er février prochain, par deux circulaires intermédiaires datées d’hier, vendredi 20 janvier (n° 657 et n° 658).
Nées dans le débat public, les expressions de « dollars bancaires », « lollars » ou encore « dollars libanais » désignent les fonds que les banques refusent, sans y être autorisées par la loi ou les termes des contrats de dépôts, de restituer à leur valeur réelle à leurs clients, depuis le début de la crise. Si le Parlement et le gouvernement ne sont toujours pas intervenus pour corriger cette anomalie, la BDL a mis en place avec le temps plusieurs dispositifs permettant aux clients des banques de retirer une partie de leurs fonds à petites doses et en subissant une décote. Ces dollars bancaires cohabitent depuis les premiers mois de la crise avec les « vrais dollars », appelés « dollars frais » et échangeables à un taux fixé sur un marché composé d’agents de change autorisés et illégaux. La BDL a protégé la valeur de ces vrais dollars via une autre circulaire (n° 150 du 9 avril 2020).
Annulation des taux de 8 000 et 12 000
Le passage à un taux de 15 000 livres pour un dollar s’applique, lui, aux opérations permises par deux de ces dispositifs, à savoir les circulaires principales n° 151 du 21 avril 2020 et n° 158 du 8 juin 2021, qui ont donc été amendées par les nouveau textes.
Le premier de ces deux dispositifs permet aux déposants subissant les restrictions sur l’accès à leurs comptes en devises d’en retirer chaque mois de petits montants en livres, et à un taux que la BDL avait fixé à 8 000 livres à la fin de 2021, et cela de sorte à ne pas dépasser un plafond de 1 600 dollars par mois.
Le second autorise des retraits mensuels de 400 dollars en espèces et de la somme équivalente en livres converties à un taux qui a toujours été de 12 000 livres pour un dollar, sur les mêmes comptes restreints. Les retraits via ce dispositif sont ainsi limités par la BDL à 4 800 dollars bancaires pouvant être retirés en dollars par an ; et 4 800 autres accessibles en livres sur la même période. Seule la moitié de la portion en livres peut être retirée, alors que l’autre ne peut en revanche servir qu’à effectuer des paiements par carte bancaire.
La coexistence des dollars bancaires et des vrais dollars est une des conséquences de la multiplicité des taux de change qui caractérise la crise libanaise. Ainsi, bien que dépassée par la réalité du marché, l’ancienne parité officielle de 1 507,5 livres a été maintenue longtemps dans le secteur bancaire. En même temps que les banques restreignaient l’accès de leurs clients à leurs dépôts, elles ont également autorisé ceux qui avaient des prêts en dollars à rembourser, à le faire en livres mais en continuant à appliquer l’ancienne parité, ou alors en « dollars bancaires » généralement transférables par chèque. Ce phénomène a favorisé la création d’un marché informel des chèques bancaires en "lollar" et même en "bira" (bank lira) pour ceux qui souhaitent acheter des chèques. Le principe est toujours le même : le chèque est acheté avec du cash mais à un prix inférieur à sa valeur nominale.
Appréciation des chèques en lollars
En plus de ces deux circulaires, la BDL en a aussi publié hier une troisième. Portant le numéro 656, ce texte modifie, à partir du 1er février, les modalités de remboursements des prêts octroyés en devises avant la crise.
S’agissant des clients résidant au Liban, la BDL annule la possibilité de pouvoir rembourser en livres libanaises, au taux de 1 507,5 livres pour un dollar, un prêt octroyé en devises. Si la circulaire ne mentionne pas les moyens acceptés, il sous-entend que ces paiements devront désormais se faire dans la monnaie dans laquelle ils avaient été émis, et qu’ils pourraient se faire à travers des chèques libellés en dollars. Ce qui écarte la possibilité de les payer en livres libanaises, à un taux plus élevé.
En ce qui concerne les clients des banques libanaises résidant à l’étranger, la BDL va encore plus loin. Elle leur impose, également à partir du 1er février, de rembourser ces prêts en devises « fraîches », y compris pour les prêts personnels et ceux pour les logements, jusqu’à présent exclus.
Si les chèques en lollars se vendaient ces derniers jours sur le marché parallèle à environ 15 % de leur valeur nominale, leur contrepartie a hier augmenté à près de 20 % selon deux sources financières. Cette appréciation s’explique en partie par l’augmentation du taux de change applicable sur ces dollars bloqués en banques, mais aussi par la ruée de certains clients voulant rembourser l’intégralité de leurs crédits à travers des paiements par chèques avant l’échéance précitée.
La Banque du Liban a une nouvelle fois choisi d’attendre la fin de la semaine pour adopter une mesure annoncée depuis des mois, mais dont les effets sur le taux de change dollar/livre sur le marché sont cependant difficiles à anticiper compte tenu de la complexité de la crise que traverse le pays.
Comme annoncé en novembre dernier par son gouverneur Riad Salamé, la BDL a ainsi...
commentaires (6)
Ces mesures ont bien tardé à être appliquées. Une grande injustice. Beaucoup de crédits en devises ont été remboursés au taux de 1500 pour un dollar. Réveil tardif la BDL.
Esber
00 h 03, le 21 janvier 2023