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Paroles de sayyed

Faut-il donc absolument que des hommes d’État libanais passent de vie à trépas pour se voir enfin reconnaître en chœur, jusque par leurs rivaux, ces mêmes vertus et mérites qu’on leur contesta parfois de leur vivant ou que l’on s’évertua à exiler dans l’oubli ?


Tel aura été le cas, par exemple, de ce président incompris, mal aimé – et beaucoup trop tard regretté – que fut Élias Sarkis. Face à la force brute animant la mainmise syrienne sur le pays, cet homme pourtant dénué de moyens et de toute base populaire ou couverture partisane a en effet opposé une formidable force d’inertie dont les effets devaient, par la suite, s’avérer décisifs*. Différent est certes le parcours de Hussein Husseini, décédé mercredi ; il suscite néanmoins aujourd’hui les mêmes sentiments de regret, ou même de révolte, face aux caprices de l’histoire et aux tribulations qui sont pourtant le lot de toute carrière publique.


Issu de l’aristocratie chiite, Husseini est néanmoins le cofondateur, avec l’imam disparu Moussa Sadr, du Mouvement des déshérités (Amal), dont il fut brièvement le secrétaire général. Président de l’Assemblée nationale, grand-prêtre de l’accord de Taëf devenu l’actuelle Constitution, cet homme d’ouverture et de dialogue se sera toutefois refusé aux pratiques miliciennes et équipées guerrières de son parti, comme à toute soumission aveugle aux injonctions syriennes ou iraniennes. Non content de se séparer du vociférant et belliqueux bébé qu’il ne reconnaissait plus désormais, cet élégant notable de la région de Baalbeck-Hermel aura été amené à jeter aux orties son mandat de député, atterré qu’il était par le déferlement des instincts sectaires et l’abâtardissement du jeu démocratique. Ainsi se trouvait scellé un ostracisme décrété par les volontés d’outre-frontière et qui avait déjà frappé des figures libanaises aussi illustres, aussi indomptables que le maronite Raymond Eddé, le sunnite Saëb Salam et aussi, de manière plus radicale cette fois, le leader druze assassiné Kamal Joumblatt.


Mais même relégué au rang de has been, l’élégant notable de Baalbek-Hermel n’aura jamais cessé de clamer en toute occasion son attachement à la formule libanaise, aux principes de coexistence active et de rejet de tout activisme armé défendus par cet autre grand disparu, le chef historique du Conseil supérieur chiite, le cheikh Mehdi Chamseddine. C’est précisément l’image de ce chiisme intégralement libanais, profondément enraciné dans la terre du cèdre, qu’évoque irrésistiblement le départ de Hussein Husseini.


Non point bien sûr que nos concitoyens de cette communauté ne soient pas des Libanais à part entière et ne se perçoivent pas fièrement comme tels. Nombre d’entre eux ont souffert du peu d’intérêt qu’a longtemps prêté l’État aux régions périphériques du pays. Ils ont enduré les abus des fedayin palestiniens régnant en maîtres absolus dans leur Fatahland, et aussi les représailles et invasions en règle israéliennes. Par le plus grand des paradoxes cependant, un paradoxe frisant l’absurde, une fidélité au sol aussi admirablement préservée, une libanité aussi amplement méritée, tout cela se retrouve aujourd’hui capté, arraisonné, encadré par un Hezbollah étalant sa totale allégeance à la République islamique d’Iran.


Hussein Husseini, Hassan Nasrallah. La même et prestigieuse qualification de « sayyed » – décernée ici à titre honorifique et là religieux – est accolée à ces noms. À l’image du Janus à deux faces de la mythologie romaine, sont ainsi déclinées des visions diamétralement opposées de la vocation du chiisme libanais. Pour formidablement inégal qu’il soit, le duel n’est pas définitivement classé. Engagée dans plus d’un conflit régional au point d’y impliquer, malgré lui, le Liban tout entier, la pléthorique milice se vantait hier encore d’avoir embrigadé des milliers de recrues en prévision de bouleversements à venir. C’est à un avenir d’entente et d’harmonie nationales, loin de toute hégémonie sectaire, qu’œuvre courageusement au contraire une contestation chiite insensible aux actes d’intimidation et de terreur.


Le testament de Hussein Husseini est venu le rappeler : c’est par ses deux faces que Janus pleure ses martyrs.

*Ingrate solitude, éditorial du 27 juin 1995

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Faut-il donc absolument que des hommes d’État libanais passent de vie à trépas pour se voir enfin reconnaître en chœur, jusque par leurs rivaux, ces mêmes vertus et mérites qu’on leur contesta parfois de leur vivant ou que l’on s’évertua à exiler dans l’oubli ? Tel aura été le cas, par exemple, de ce président incompris, mal aimé – et beaucoup trop tard regretté – que...