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Moyen-Orient - Portrait

Mohammad Hamdane Dagalo, le pompier pyromane du Soudan

En décembre 2022, Mohammad Hamdane Dagalo a été nommé homme de l’année par la Commission nationale soudanaise des droits humains. Une tentative de blanchir un peu plus le passé du chef paramilitaire, prêt à tout pour faire oublier son parcours sulfureux et se poser en réconciliateur du Soudan.

Mohammad Hamdane Dagalo, le pompier pyromane du Soudan

Mohammad Hamdane Dagalo en 2019 au Soudan. Photo d’archives AFP

À l’ombre du général Abdel Fattah el-Burhane, le chef de l’armée soudanaise et actuel dirigeant de facto du Soudan, se dresse un homme à la fois puissant et discret, aussi redouté qu’admiré, dont beaucoup considèrent qu’il est en passe de devenir le véritable homme fort du pays. Un personnage jonglant avec cynisme entre deux identités, l’une étant savamment construite pour faire oublier l’autre. 

Face caméra, Mohammad Hamdane Dagalo est le chef militaire capable de faire des promesses de compromis avec le pouvoir civil et de clamer son amour de la démocratie. Après avoir participé au putsch du 25 octobre 2021 ayant mis un coup d’arrêt à la transition démocratique civilo-militaire entamée par la chute de Omar el-Bachir en avril 2019, il reconnaît dix mois plus tard que le coup d’État a « échoué ». Une concession qui a facilité la reprise des négociations avec ce qui subsiste des Forces de la liberté et du changement (FLC). Le 5 décembre, la signature d’un accord en deux phases entre cette coalition de partis civils et le tandem militaire Burhane-Dagalo pour relancer la transition démocratique, bien que dénoncé par les manifestants soudanais, a été saluée tant par l’ONU que par les diplomates occidentaux et du Golfe.

Au cours de la cérémonie, le général Dagalo a réitéré l’engagement de l’armée à quitter la scène politique, déclarant « essentiel de construire un régime démocratique durable ». Une semaine plus tard, il était nommé personne de l’année par la Commission nationale des droits humains. Pourtant, les cinq dossiers épineux concernant l’avenir du Soudan, ayant déjà provoqué la rupture entre pouvoir civil et junte militaire en 2021, ont tous été laissés de côté pour la seconde phase. Lundi, les parties ont commencé à aborder la question sensible du démantèlement du régime de Bachir. Restera ensuite à se mettre d’accord sur la justice transitionnelle et la réforme de la sécurité notamment.

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Ce n’est pas la première fois que le chef paramilitaire des puissantes Forces de soutien rapide (FSR) est salué pour sa position de façade en faveur de la démocratie. En avril 2019, il s’était affiché comme défenseur du peuple soudanais, six mois après le début du soulèvement populaire contre le dictateur Omar el-Bachir, au pouvoir depuis 1989 après un coup d’État. En demandant à ses hommes de retenir leurs fusils quand la foule a convergé vers Khartoum, il a participé à la chute de son ancien mentor et rendu possible le début d’une transition vers un régime civil. À l’époque, on pouvait notamment le voir, compassionnel, rendre visite à l’hôpital Royal Care de Khartoum à Essam Ossmane, un jeune de 19 ans incapable de marcher après avoir été atteint par une balle.

Des membres des Forces de soutien rapide au Soudan. Photo d’archives AFP

Gentillesse inquiétante

Mais derrière ces opérations de séduction, il y a la part d’ombre qu’aimerait faire oublier « Hemetti », surnom aussi affectueux que trompeur qui signifie « petit Mohammad », en raison du visage de poupon de l’homme de 48 ans. Car ce faciès censé rassurer est précisément ce qui a fait frémir le journaliste néerlandais Klaas van Dijken, lors d’une rare rencontre en 2020 : « Il n’élève jamais la voix, il est très éloquent et agréable, voire sympathique. Mais en même temps, il représente le pouvoir et il le sait. Il a l’aura de celui qui décide de si tu quitteras la pièce vivant ou pas. Et sa gentillesse apparente le rend encore plus inquiétant quand on sait de quoi il est accusé », décrit-il.

Issu des Mahariya, l’une des tribus du groupe ethnique arabe des Rizeigat installé au Darfour, il quitte l’école après la primaire, devenant commerçant de camélidés avant de partir faire ses classes dans les rangs de la milice arabe des Janjawid. Utilisés par le pouvoir de Khartoum contre les groupes rebelles du Darfour, ces « cavaliers diaboliques » ont tué, violé et pillé dans des massacres qui ont fait quelque 300 000 morts et 2,7 millions de déplacés entre 2003 et 2005, selon l’ONU. Et pour lesquels Omar el-Bachir est accusé par la Cour pénale internationale de crimes de guerre et génocide.

Hemetti est peu à peu promu par le pouvoir de Khartoum, jusqu’à ce que ses Janjawid soient regroupés dans un corps paramilitaire, les FSR, directement placé sous la responsabilité de Omar el-Bachir. Ce dernier s’en sert pour poursuivre la répression qu’il mène dans toutes les marges du pays. Hemetti devient alors « Himayti » (mon protecteur), surnom donné par le dictateur qui ne sait pas encore qu’après avoir doublé le leader des Janjawid Musa Hilal, Hemetti finira par le trahir à son tour.

« L’UE devrait me remercier »

À la tête de ce groupe armé, l’ex-commerçant illettré construit ce qui va devenir au fil des années un véritable empire commercial, outil essentiel pour redorer son image. « Les FSR ont été un instrument de Bachir contre la rébellion au Darfour, mais aussi un avantage économique décisif pour Hemetti, lui permettant de prendre des terres aux déplacés avec toutes les ressources en minerais qu’elles contiennent », précise Kholood Khair, fondatrice du groupe de réflexion Confluence Advisory à Khartoum.

Les FSR se transforment peu à peu en une armée soudanaise parallèle, au gré de pillages de ressources autant que de contrats officiels, précise Anette Hoffmann, chercheuse au Clingendael Institute : « Quand Bachir a promu les FSR comme gardes-frontières en 2013, elles ont obtenu un financement de l’UE dans le cadre du processus de Khartoum (initié en 2014 sous l’égide de la Commission européenne pour renforcer la coopération migratoire avec les pays de la Corne de l’Afrique), ce qui a donné un boost de légitimité aux FSR, tout en leur permettant de renforcer leurs capacités militaires. » L’occasion rêvée pour Hemetti de commencer à ripoliner son passé de criminel de guerre : « L’UE devrait me remercier pour les sacrifices consentis par mes hommes », avait-il alors déclaré à la presse locale, provoquant la rédaction d’un communiqué paniqué de démenti de tout soutien financier par la délégation de l’UE au Soudan.

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Ce coup de pouce polémique aide dans la foulée les FSR à « accroître leur emprise territoriale dans la province frontalière du Darfour, où ils ont ensuite pris en 2017 le contrôle par la force des mines d'or du Djebel Amir », ajoute Anette Hoffmann. « Si l’armée de Burhane contrôle la majorité de l’économie, les RSF de Hemetti ont la main sur le produit d’exportation le plus lucratif », observe la plateforme d’information Sudan in the News. De quoi renforcer par ricochet les liens de Hemetti avec la Russie et les Émirats arabes unis, les deux principaux acheteurs du précieux minerai soudanais.

L’appui émirati va s’avérer décisif pour parachever la mutation de Hemetti. À partir de 2015, les FSR sont recrutées par la fédération émiratie comme mercenaires pour aller combattre au Yémen aux côtés de la coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite. « J’ai moi-même vu des avions remplis de sacs de billets à l’aéroport du Darfour pour payer les RSF ayant combattu au Yémen. Les jeunes femmes de la région ont alors commencé à chanter l’espoir d’épouser ces combattants et des maisons sont sorties de terre un peu partout », poursuit la chercheuse.

Fort de ces nouvelles rentrées d’argent, le leader des FSR peut désormais étendre ses activités à l’économie formelle. D’après le rapport « Breaking the bank » de l’ONG C4ADS, la puissance financière des FSR repose sur des sociétés écrans soudanaises et émiraties, la plupart liées à des membres de la famille Dagalo, qui détiennent la quasi-totalité de la banque soudanaise al-Khaleej. Parmi elles, la société émiratie de commerce Aljil Alqadem, détenue à 49 % (maximum autorisé par la loi émiratie) par le frère de Hemetti, Abdelrahim Hamdane Dagalo, ou encore une société de sécurité récemment renommée pour brouiller les pistes, précise Anette Hoffmann. « Lorsqu’il a été révélé que More Secure avait été formée par les RSF, la société a été renommée Shield Securities. Ainsi, elle peut continuer à servir des ambassades, les Nations unies ou encore des banques » en toute discrétion, dit-elle.

Pompier pyromane

Aujourd’hui, Hemetti est considéré comme l’homme le plus riche du Soudan. Cette manne, il l’emploie sans compter pour blanchir son image. En 2019, il signe un contrat de 6 millions de dollars avec le lobbyiste israélo-canadien Ari Ben-Menashe, cet autoproclamé ex-agent du Mossad qui lui a fait miroiter des rencontres avec de hauts dirigeants russes et américains, dont le président de l’époque Donald Trump, ou encore des investissements américains dans des projets pétroliers. En parallèle, le chef de guerre s’est recyclé en médiateur pacifique, ayant participé aux négociations de l’accord de Juba (signé le 3 octobre 2020 entre 13 groupes rebelles et le gouvernement de transition, depuis au point mort) ainsi qu’à des accords locaux de réconciliation dans le Darfour. « Cela lui a permis de forger des alliances avec les mouvements armés soudanais et les tribus locales », explique Sudan in the News. Une façon de se lier avec ses ennemis d’hier au Darfour et de se poser en garant de la paix dans la région, marchepied vers le pouvoir qu’il convoite tant.

Pour mémoire

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Dans sa région natale, beaucoup estiment cependant que son nouveau costume de réconciliateur lui sied mal. Selon l’association du barreau du Darfour, entre juin et août, quelque 350 personnes ont été arrêtées par les FSR pour s’être opposées aux accords de réconciliation locaux obtenus par Hemetti.

Malgré tous ses efforts, la violence dissimulée de M. Dagalo n’est jamais loin de resurgir. Après le coup d’État du 25 octobre 2021, les FSR ont joué un rôle de premier ordre dans la répression ayant tué quelque 120 Soudanais, comme elles l’avaient fait lors du massacre de la place de la Qiyadah à Khartoum, le 3 juin 2019, faisant 128 morts et des centaines de blessés, selon un comité de médecins.

En décembre, quand ses paramilitaires ont été accusés d’avoir attaqué dix villages de la tribu Daju à Beleil, dans le sud du Darfour, tuant neuf personnes et en déplaçant 16 000 selon l’ONU, il a tenu un discours aux airs de menace aux leaders tribaux locaux, rapporté par Radio Dabanga : « Nous allons poursuivre en vue de l’obtention d’un accord (entre civils et militaires), que les gens le veuillent ou non. »

À l’ombre du général Abdel Fattah el-Burhane, le chef de l’armée soudanaise et actuel dirigeant de facto du Soudan, se dresse un homme à la fois puissant et discret, aussi redouté qu’admiré, dont beaucoup considèrent qu’il est en passe de devenir le véritable homme fort du pays. Un personnage jonglant avec cynisme entre deux identités, l’une étant savamment...

commentaires (1)

Un pays plein de charme, avec des "dirigeants" tout aussi charmants...

IBN KHALDOUN

13 h 45, le 16 avril 2023

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Commentaires (1)

  • Un pays plein de charme, avec des "dirigeants" tout aussi charmants...

    IBN KHALDOUN

    13 h 45, le 16 avril 2023

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